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Les médias publics russes sont plus libres que les chaînes privées


Les médias publics russes sont plus libres que les chaînes privées

alena vugelman russie

Vu d’ici, le métier de journaliste en Russie semble un sport de combat- Qu’en est-il vraiment ?

Alëna Vugelman: Vous parlez des journalistes qui se définissent comme étant d’opposition. Or, dans le journalisme, l’opposition n’est pas une fin en soi. Le métier de journaliste  consiste à rechercher l’objectivité, avec recul et honnêteté, et ça, ça n’existe presque  plus. Sur notre chaîne TV4, par exemple, on présente toujours au moins deux points de vue. Quand un journaliste de ma chaîne me propose un travail tout ficelé, prêt à être diffusé,  mais qui ne présente qu’un seul point de vue, sans contradiction, je le refuse.

En tant que directrice de chaîne publique, pensez-vous qu’il y ait des sujets qu’on peut moins facilement  aborder dans le publique que dans le privé ?

La quatrième chaîne appartient à une usine d’Etat, une entreprise qui produit du matériel urbain et routier. Donc, il s’agit d’une structure à capitaux publics, mais qui n’est pas directement dirigée par l’Etat. En réalité, il n’y a que très peu de journaux privés en Russie, presque toute la presse a un lien, d’une manière ou d’une autre,  avec le gouvernement. D’expérience,  je constate qu’on  est  plus libre dans les médias à capitaux publics. La quatrième chaîne  a été privée pendant  21 ans  avant de retrouver le giron du public il y a deux ans, alors je peux en parler. Dans les médias privés, les dirigeants sont des hommes d’affaires, des banquiers, des oligarques qui s’imposent et les journalistes deviennent tributaires de toutes leurs pressions. Ils mettent les médias au service de leurs intérêts propres et ne veulent pas non plus se brouiller avec le pouvoir. En réalité, dans de tels médias, il y a deux courants de pression, du côté du propriétaire  et du côté du pouvoir. Mais, cela ne concerne pas la 4ème chaine.

Vous avez commencé votre carrière journalistique il y a plus de 20 ans, comment voyez-vous l’évolution de votre métier ?

J’ai démarré en pleine Perestroïka. Les jeunes journalistes que nous étions voulions nous battre pour la vérité. Nous aurions fait n’importe quoi pour ça. C’était notre idéal.Depuis, il y a eu un énorme changement, un nivellement vers le bas du niveau du journalisme. Les jeunes préfèrent aller là où il y a l’argent, notamment dans les relations publiques. Ils sont désabusés. Ils ne pensent plus à la recherche de la vérité, mais tiennent à leur confort personnel.

Qui en est responsable ?

C’est en partie de la faute de la génération précédente. Ceux de mes confrères qui n’ont pas respecté les normes déontologiques ont dégoûté les suivants de ce métier. Plus de la moitié de la production journalistique  n’est plus du journalisme à proprement parler mais de la communication. Ces jeunes  journalistes écrivent des articles, commandés, sur le business, sur la redistribution des marchés, sur les nouveaux produits etc. C’est leur gagne-pain. Et les annonceurs  trouvent plus intéressant d’être intégrés à l’article plutôt que de figurer dans un encadré à la marge de la page.

Vous vivez à Ekaterinbourg, capitale de l’Oural, quelle est la particularité de cette région qu’on connaît peu ici ?

Notre région est un laboratoire politique où Moscou teste des idées nouvelles avant leur application généralisée. Il a fallu nommer le représentant de l’exécutif en Oural. C’est un homme du peuple qui travaillait comme ouvrier dans une usine. Sauf qu’il était tellement proche du peuple qu’il ne comprenait rien aux dossiers et qu’il a fallu lui attribuer un conseiller pour qu’il puisse suivre les conversations avec les grands patrons et les représentants politiques.

Un autre exemple, plus récent, est l’élection du Maire d’Ekaterinbourg. Tout le monde a été très étonné de la victoire de M. Royzman, le représentant de l’opposition. Le premier surpris a d’ailleurs été  l’intéressé lui-même ! Il n’avait pas à proprement parler le profil-type. Il a même fait de la prison. C’est qu’il a été décidé, en haut, de laisser une place à l’opposition …. Inutile d’ajouter que depuis l’élection de ce « contestataire » les choses ne sont toujours pas arrangées. Mais maintenant c’est lui le pouvoir et la cible de la contestation !

*Photo : DR.



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est journaliste à Causeur

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