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Conversano, l’étonnant conseiller en dédiabolisation de Zemmour

Daniel Conversano, un Machiavel qui voudrait conseiller Eric Zemmour.


Conversano, l’étonnant conseiller en dédiabolisation de Zemmour
Daniel Conversano / Capture d'écran d'une de ses vidéos YouTube du 21/10/22

Alors que le printemps électoral n’avait pas encore commencé, Daniel Conversano bouclait en mars dernier Z0Z7 (Alba Leone). A la manière d’un Machiavel, tout juste sorti de prison et adressant à Laurent le Magnifique un livre de conseils pour garder le pouvoir, Daniel Conversano prodigue à Eric Zemmour quelques conseils et reproches pour préparer la prochaine fois, c’est-à-dire 2027, afin de convaincre au-delà du ghetto de la droite nationale déjà acquis à la cause.


Daniel Conversano, qui s’est fait connaître grâce à ses vidéos Youtube politiquement très incorrectes et qui a eu ses habitudes à la XVIIe chambre du Tribunal correctionnel de Paris (qui traite les affaires concernant la liberté de la presse) avant de s’exiler en Roumanie, fait un bien singulier conseiller en dédiabolisation. Dans la vision du monde de Conversano, il existe deux pôles antagonistes plus ou moins irréconciliables : la droite, qu’il connaît bien puisqu’il a passé quelques nuits à coller des affiches avec des militants FN ; la gauche, qu’il connait bien aussi, puisque, étudiant à la fac, il a passé des soirées avec ses camarades à « regarder des films de Jean-Luc Godard sans son, en écoutant de la musique électronique ». Surtout, Conversano divise la population en catégories raciales : principalement, les Blancs, les Noirs, les Arabes. Entre le déclin de la natalité chez les premiers et la percée migratoire des autres, Conversano voit une course contre la montre très serrée et redoute l’aboutissement total du Grand Remplacement. Si la population asiatique, « discrète », trouve encore grâce à ses yeux et semble épargnée par ses grands projets de remigration, il en va autrement pour les autres, car Conversano croit fort peu à l’assimilation républicaine. Baignant dans son paradis est-européen où certains de ses acolytes l’ont rejoint, y compris en Ukraine (si loin de Dieu, donc, mais si près de Poutine), Conversano perd un peu de vue (ou n’a pas envie de voir) que la France est un vieux pays en contact depuis longtemps avec l’Afrique et le Maghreb, que sa chambre des députés a compté un député noir (Blaise Diagne) dès 1914 et l’équipe de France de football un joueur noir (Raoul Diagne, le fils de Blaise) dès 1931. La France a beau être aussi européenne que la Lettonie et les Îles Féroé, elle est aussi un ancien pays-monde (comme l’Angleterre ou le Portugal) et elle ne rayera pas sa vieille relation avec le reste du monde d’un trait de plume, même avec un Zemmour à 55% au premier tour en 2027.

Si les blocs droite et gauche semblent irréconciliables, Daniel Conversano ne désespère pas d’attirer vers le camp identitaire quelques cadres dynamiques, quelques jeunes entrepreneurs et quelques jeunes femmes (de gauche « mais pas tant que ça ») rencontrées lors de covoiturages. Pour cela, Conversano propose d’évacuer toutes les points d’achoppement qui éloignent la plupart des gens de la droite nationale (rejet de l’UE, rejet de l’OTAN, russophilie, hostilité à l’égard des mesures sanitaires lors de la crise du Covid) afin de recentrer le combat sur la seule bataille qui vaille à ses yeux, le Grand Remplacement. Si Conversano reconnaît à Eric Zemmour le mérite d’avoir imposé le thème du Grand Remplacement à une heure de grande écoute sur CNews et BFM, il lui conseille en revanche une sérieuse cure de « déringardisation ». Exit de la tribune les Christine Boutin et Philippe de Villiers, bons seulement à faire fuir les cibles électorales citées plus haut ; exit les allusions au bon vieux temps du RPR et les citations « pompeuses » de Jacques Bainville et de Raymond Aron. C’est un virage moderne et même « archéo-futuriste » que suggère Conversano : Zemmour doit devenir le champion de la vitesse et de la technique, promettre les TGV de demain, plus rapides, les smartphones européens et le premier Français sur la lune (tout cela serait très beau s’il n’y avait pas aussi chez les Français une aspiration au ralentissement et à la déconnexion). A la place des barons et barbons de la droite catholique, l’auteur de Z0Z7 propose une politique de la main tendue vers une certaine gauche laïque et républicaine ; il est vrai qu’aux universités d’été de Reconquête, Eric Naulleau n’avait pas l’air hostile à l’idée de servir d’intermédiaire entre la droite Zemmour et la gauche Onfray en vue des européennes 2024.

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Conversano envoie aussi quelques piques à Zemmour sur la forme et lui en veut de s’être affublé de lunettes qui l’ont « vieilli de dix ans » d’un seul coup. L’essayiste propose au futur candidat d’afficher un goût pour le rock (parce que, selon Conversano, « on ne voit que des Blancs dans les concerts de rock ») et de révéler sa passion pour les riffs de Metallica. Après tout, Bruno Le Maire, normalien et auteur d’un mémoire sur Marcel Proust, s’est bien vanté un jour d’apprécier Jay-Z et Beyoncé, et personne n’est allé vérifier sa playlist Spotify. Si l’on caricaturait un peu le point de vue de notre jeune auteur, on dirait qu’au lieu de poser devant une bibliothèque avec un vieux micro à la façon du Général et Beethoven en fond sonore, Eric Zemmour aurait mieux fait d’annoncer sa candidature, en décembre 2021, avec un morceau d’ACDC et pourquoi pas, avec le casque des Daft Punk sur la tête.

Dès mars 2022, Conversano pressentait l’effondrement de la candidature Zemmour, à cause notamment de l’affaire ukrainienne. Malgré cela, il prédisait à l’ancien chroniqueur de CNews « un boulevard » pour 2027. Le petit avantage que l’on a aujourd’hui sur le jeune Roumain d’adoption, c’est que six mois sont passés, et nous avons la suite de l’histoire. Alors que la candidature Zemmour s’était fondée sur le postulat selon lequel Marine Le Pen serait incapable de gagner la présidentielle, celle-ci s’est refaite une santé, surtout au moment des législatives ; au même moment, pour Reconquête, le boulevard de 2027 s’est nettement rétréci. En juin, le Rassemblement National a surtout gagné du terrain dans les territoires très ruraux, parfois très peu concernés par les flux migratoires. Pendant que Zemmour faisait campagne à Saint-Tropez, Marine renforçait son assise dans la France périphérique. Au moins autant que la crainte du Grand Remplacement, c’est la disparition des services publiques, des hôpitaux, le prix à la pompe – suivi avec autant d’attention que le prix du grain au matin du 14 juillet 1789 – qui a poussé la France périphérique à envoyer 89 députés Rassemblent National au Palais Bourbon. Des préoccupations bien peu civilisationnelles, rivées entièrement sur la fin du mois. Si Marine Le Pen a éloigné quelques figures de son parti et quelques militants à cause des débats peu maîtrisés, sa figure, dans la France profonde, s’est plutôt renforcée au fil des ans. Moins virulent à son égard que les militants Reconquête, François Ruffin, dans son dernier livre[1], écrit ainsi : « Que la vierge Marine apparaisse dans la Somme, à Roye, à Péronne, sur un marché en Normandie, à Blangy, et partout c’est une pluie de selfies. Ces petits bleds, ces sous-préfectures, ces parkings de centres commerciaux, ces restaus pour routiers, où les autres ne mettent jamais les pieds, elle s’en régale. Elle grimpe dans un camion, elle appuie sur le klaxon. Elle se montre dans nos paysages ». Si Zemmour a réussi à prendre une part de l’électorat Les Républicains, il n’aura guère su parler à cette France populaire attachée à Marine, laquelle a fait mieux au premier tour que cinq ans plus tôt. Une France populaire qu’évoque peu également Conversano dans son livre ; c’était pourtant là que se situait les voix pour accéder au second tour.


[1] François Ruffin, Je vous écris du front de la Somme, Les Liens qui libèrent, 2022.




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Professeur démissionnaire de l'Education nationale

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