Accueil Édition Abonné L’écologie ratisse large

L’écologie ratisse large

La plume au vent, la chronique de Frédéric Ferney


L’écologie ratisse large
Frédéric Ferney © D.R.

Éric Piolle, 49 ans, maire écologiste de Grenoble, est-il un provocateur, un sophiste ou un élu égaré de la République? Les seins nus et le port du burkini dans les piscines municipales, il est pour. Au nom du progrès et du droit des femmes, pardi!


Entre eux, la haine est un lien plus solide que l’amour. Ils ne sont d’accord sur rien, ni sur la chasse, ni sur l’OTAN, ni sur l’Europe, ni sur le nucléaire, ni sur la loi de 1905, ni sur les éoliennes, ni sur les seins nus et le port du burkini dans les piscines municipales, ni même sur le sens du mot République.

Alliés, c’est-à-dire assujettis à La France insoumise au sein de la Nupes, les Verts, le PS et le PCF, à genoux, sont devenus les idiots utiles de Mélenchon. Cette union de la gauche new age repose sur un leurre, un pacte électoral provisoire, à mi-chemin entre le congrès d’Épinay et le coup de Jarnac, plutôt que sur un programme de gouvernement. Avec cela, dans un style pénétré du sentiment de l’ineffable, ils s’en félicitent. Leur nouveau slogan n’est pas « Tout sauf Le Pen ! », c’est « Tout sauf Macron ! ». À n’importe quel prix.

© Soleil

Macron contre Mélenchon. Tout les oppose, mais il y a au moins un point commun entre eux : ils ne comprennent pas qu’on puisse avoir d’autres opinions que les leurs.

Éric Piolle, le maire EELV de Grenoble, le sait et il n’est pas dupe. A-t-il complètement digéré son échec – un sacré gadin ! – à la primaire des écologistes en février dernier ? Péripétie – le combat continue. Grâce à Sandrine Rousseau, bonne camarade, il a compris qu’un ton catégorique fait impression sur les plus timides. Il a appris qu’à gauche, désormais, pour être crédible, il faut être craint ; et que pour être entendu, il faut se montrer intolérant et plus radical que l’adversaire.

À l’heure où Macron, petit Machiavel en bras de chemise, réussit à marier la carpe et le lapin, par exemple Darmanin et Pap Ndiaye, dans le même bateau – ivre ? –, l’opposition n’a plus qu’à camper aux extrêmes. Ricaner, protester, rugir, quoi d’autre ? Macron gouverne. Seul. On est au cirque. La future Assemblée sera une parade sonore – une fosse aux lions bordélique et démocratique. Avec Élisabeth Borne en Monsieur Loyal, Olivier Faure en gribouille et Mélenchon en clown blanc.

A lire aussi : Nomination de Pap Ndiaye: quel «message» a voulu envoyer Macron?

Pourtant, hurler, ce n’est pas dans le caractère d’Éric Piolle. Ce n’est ni un procureur hystérique ni un avocat, c’est un ingénieur. Il est précis, pondéré, perfectionniste. On le dit froid, ascétique, ambitieux. Il l’est. Il pense, il pèse, il agit. En politique, l’erreur est moins néfaste que l’indécision. Et quand il doute – si ! si ! ça lui arrive –, il hume l’air des cimes, en famille, il se repaît de neige, il parle avec des vaches – une petite balade dans le Vercors, à pied ou à vélo, rien de mieux pour se nettoyer le crâne !

Son mantra : « l’arc humaniste ». N’est-ce pas joli ?

Éric Piolle avoue être resté fidèle aux valeurs du christianisme quoique ayant perdu la foi de son enfance. En 2016, il a participé avec le cardinal Barbarin et le député de l’Ain Xavier Breton à une lecture à trois voix de l’encyclique Laudato Si’ du pape François : « L’homme n’est pas seulement une liberté qui se crée en soi. L’homme ne se crée pas lui-même. Il est esprit et volonté mais il est aussi nature. » Alléluia ! Que Piolle préfère les Fioretti de saint François d’Assise aux homélies de Greta Thunberg, cela ne va pas rassurer les plus méfiants. Encore un paradoxe qui rend l’homme plus compliqué que l’image un peu raide qu’il donne.

C’est un Béarnais, feau e cortès, « fidèle et courtois ». Sauf que par un glissement malencontreux de la langue, feau peut aussi signifier faus, « faux, hypocrite ». On aurait tort de nommer sincérité le premier mouvement d’un homme qui ne sait pas se taire, n’est-ce pas ? La sincérité électorale veut plus de réflexion, et ne vaut que si l’on ne soupçonne pas celui à qui l’on parle.

Plus pragmatique que doctrinaire – une rareté dans son camp –, Éric Piolle n’affiche pas une horreur absolue du progrès et de l’innovation. Il se domine, il se contient et il ne se presse pas de condamner d’emblée ceux qui lui résistent. Élu en 2014, réélu en 2020, il reste assez populaire dans sa ville, promue « capitale des Alpes ». Et si c’était un bon maire après tout ?

Quand on l’écoute, on ne sait pas si c’est un modéré qui joue les provocateurs ou un provocateur qui feint d’être un modéré. Avec lui, le débat tourne court, car certains mots qu’on croyait connaître changent soudain de sens : progrès, laïcité, libertés individuelles, droit des femmes. À Robert Ménard qui s’indigne : « Jamais je n’accepterai le burkini dans les piscines de Béziers ! » Éric Piolle, qui prétend combattre l’islam politique, répond sans sourciller : « Il s’agit d’un combat pour qu’on arrête de poser des interdits sur le corps des femmes, mais qui porte aussi sur la santé, permettant à chacun de se protéger du soleil, et sur la laïcité, rien n’interdisant dans la loi le port de vêtements religieux dans l’espace public. »

Sans blagues !

A lire aussi : Eric Piolle, la France qui se voile la face

Reste une question que sans doute il se pose. En France, les Verts n’y arrivent pas. Alors que le réchauffement climatique et la crise du gaz sont dans toutes les têtes, leur échec a de quoi désespérer les gens honnêtes. À chaque élection présidentielle, ils prennent une fessée. Pourquoi ?

Réponse A : Parce que la France penche à droite, voire à l’extrême droite ?

Réponse B : Parce que les Français ne sont pas masochistes ?

Réponse C : Parce que Yannick Jadot a le charisme d’un flan au caramel ?

Réponse D : Parce que Sandrine Rousseau est une petite peste qui préfère voter Mélenchon ?

Éric Piolle ne se prononce pas et, s’il est trop rationnel pour être toujours raisonnable, il est trop sérieux pour s’aventurer sur ce terrain glissant. Il n’a pas le défi guignol, ni le jargon sublime, ni le culot de Mélenchon qui occupe à gauche la place de celui qu’on préfère adorer ou haïr. Piolle se décèle à je ne sais quoi de pur (et dur) dans le regard et à son menton carré, mais il ne se découvre pas.

Bref, à son sujet, les avis diffèrent. Le plus franc est celui de la sénatrice Laurence Rossignol : « Quel crétin à tous points de vue ! » Ai-je-réussi à la contredire ?

Juin 2022 - Causeur #102

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Thomas Morales ou la nécrologie comme sport de combat
Article suivant « On ne peut pas réduire Mélenchon à l’islamo-gauchisme »
est écrivain, essayiste et journaliste littéraire

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération