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L’islamiste et le progressiste

Face à Diam’s, Augustin Trapenard se montre ridiculement complaisant


L’islamiste et le progressiste
En 2006, Diam's chante "c'est pas l'école qui m'a dicté mes codes". En 2022, face à Augustin Trapenard, elle affiche effectivement d'autres "codes" © Captures YouTube

L’ancienne rappeuse, qui prétend s’être retirée de la scène médiatique, est sur tous les écrans pour promouvoir son documentaire. Quand elle chantait, sa musique populaire n’intéressait pas Télérama ou France inter, mais sa conversion captive désormais toute cette bonne presse progressiste. Sur « Brut », le journaliste de France inter Augustin Trapenard évite soigneusement les questions qui fâchent.


Quand l’ancienne chanteuse se plaint du harcèlement en ligne, il n’estime pas pertinent de lui parler de Mila. Quand elle se crispe à l’idée que ses enfants puissent être attirés par la musique, le journaliste n’estime pas non plus pertinent de demander à cette « maman » radicalisée si elle irait jusqu’à leur en interdire l’écoute ou la pratique. Analyse.

L’interview de Diam’s par Augustin Trapenard est une opération de prosélytisme au sens le plus basique du terme. Réalisée à l’occasion de la sortie à Cannes du documentaire « Salam » qui met en scène la vie merveilleuse de l’ancienne chanteuse depuis sa conversion, il s’agit d’essayer de rendre désirable et de banaliser un choix de vie radical. Lequel se manifeste par une restriction très forte de toute liberté. Ici c’est la conversion à l’islam le plus sectaire qui est montrée comme une solution pour guérir de la souffrance et de la maladie mentale.

L’exhibition choquante d’une dérive sectaire

Pour vendre une telle caricature, mieux vaut faire fi de toute déontologie journalistique et pour échapper à toute critique, autant revêtir l’absence du professionnalisme du manteau de la bienveillance. Cela permet de plaider l’empathie et de ne pas regarder en face sa propre instrumentalisation au service d’une dérive sectaire. C’est ainsi qu’Augustin Trapenard à aucun moment n’interroge son interlocutrice sur son apparence. Très soucieux de montrer qu’être choqué par une femme revêtue de pied en cape d’un linceul noir qui ne lui laisse que le contour du visage apparent n’est pas au niveau de la gauche progressiste qu’il incarne, jamais Augustin Trapenard n’évoquera le fait que la foi peut être quelque chose de spirituel qui ne s’exhibe pas. Une quête intérieure n’implique pas forcément que l’on jette sa conversion au visage de l’autre en choisissant de porter un vêtement qui est un étendard et qui a été l’uniforme des femmes de Daesh. Mais le « journaliste » a choisi de se crever les yeux et de ne pas voir ce qui est sous son nez. Il banalise l’uniforme que porte Diams et le message qu’il envoie de soumission et d’impureté de la femme. Le fait d’obliger une femme à cacher son corps et ses cheveux est présenté comme normal tant le journaliste fait comme si cette tenue n’appelait aucun commentaire.

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En étalant son empathie, Augustin Trapenard veut montrer qu’une réaction gênée face à la déclaration d’adhésion à l’islamisme que proclame la façon dont est vêtue Mélanie Georgiades ne saurait être vue comme un attachement à la liberté, mais comme une déclaration d’appartenance à la fachosphère. Toute cette interview montre comment le progressisme est devenu le passe-plat de l’islamisme. Ainsi Diam’s n’est jamais interrogée sur le mal être dont elle parle, sur la maladie mentale qu’elle évoque. Pourtant le terme de maladie mentale revient souvent dans l’interview. Elle parle d’elle comme une « survivante », « moi normalement, je suis morte ». Mais on ne saura jamais d’où vient la sensation de vide dont elle parle. En 35 mn d’alignement de clichés, jamais nous n’entendrons quelque chose de personnel, une véritable histoire, jamais rien de profond sur les manques et les difficultés qui ont généré un tel mal-être. Diam’s était malheureuse et suicidaire, l’islam l’a fait renaître, fin de l’histoire.

Toute l’interview est ainsi conçue comme l’accompagnement geignard d’une opération de propagande en faveur de l’islamisme comme possibilité de rédemption. Diam’s est présentée avant tout comme une victime : « cette parole on vous l’a prise, on vous l’a volée » déclare Augustin Trapenard, « ça change quoi de prendre en charge son propre récit ? ». Or à partir du moment où le journaliste se positionne ainsi, comment peut-il ensuite porter la plume dans la plaie ? Pourtant le fait est que la parole de Diams n’a jamais été censurée ni volée. La rappeuse avait décidé de se taire tout en faisant le choix d’une bigoterie qui ne pouvait que surprendre. C’était son droit et d’ailleurs elle ne rebondit guère sur la victimisation que le « journaliste » lui sert sur un plateau, préférant évoquer le vide abyssal qu’elle ressentait à l’époque. C’est à ce moment que l’ancienne rappeuse évoque au-delà d’une paix intérieure qui la fuit, sa peur de n’être plus aimée et cette compensation que l’affection du public lui apportait. Elle raconte que pour certains « elle en faisait trop avec son public » et qu’elle s’est rendue compte que la chaleur de la foule lors des concerts n’empêchait pas la solitude et ne préservait pas de la dépression. Certes l’affirmation n’a rien de révolutionnaire, mais jamais Augustin Trapenard n’évoque la peur du désamour, de l’abandon que l’on ressent derrière cette rare anecdote et qui peut expliquer le refuge vers une version particulièrement stricte de la religion. Autre moment surréaliste, lorsqu’Augustin Trapenard évoque la photo de Diam’s, voilée, sortant d’une mosquée en 2009. Cette photo, qui la montre portant déjà un voile noir qui la recouvre des pieds à la tête, interpelle. Mais pas question d’en parler, d’après lui cela aurait créé tellement de souffrance à la jeune femme qu’il ne souhaite pas revenir sur ce moment. On se demande là si on est en thérapie ou encore dans le cadre d’une interview. Entre la complaisance du passeur de plats et l’agressivité déplacée de celui qui veut créer le buzz à tout prix, il y avait tout de même la possibilité de juste faire un travail honnête. Mais non, de ce qui fait basculer Diam’s dans l’islamisme, même quiétiste, il ne sera jamais question.

« Diam’s pose une question à la France », quelle tarte à la crème !

L’homme préfère expliquer que « Diam’s malgré elle pose une question à la France ». Comme tous les artistes, elle est un « thermomètre de la société ». Celle-ci met alors en avant la violence et la haine qu’elle a suscitée suite à cette photo, expliquant que le thermomètre indiquait « quelque chose que l’on n’avait pas réalisé ». Ce qui permet à Augustin Trapenard, non de lui poser une question, mais d’abonder dans son sens : « pourquoi quand on se tourne vers la religion, c’est qu’on a forcément pété les plombs par exemple ? ». Le ton indique clairement que seuls les imbéciles raisonnent ainsi, sauf que, ce qui est involontairement drôle c’est que Diam’s a effectivement « pété les plombs » avant de se tourner vers la religion. Elle est l’exacte illustration de ce qu’il prend comme contre-exemple. Là, la réponse de Diam’s est un concentré de l’interview, creuse et verbeuse. « Après mon mari vous dira que c’est l’histoire et qu’il faut que les gens se rappellent de l’histoire et que finalement cela a toujours été comme ça. Ça l’était avant, bien avant que le problème soit les musulmans ». On ne voit guère à quoi la rappeuse et son mari font allusion mais vous pouvez compter sur Augustin Trapenard pour ne rien éclaircir. Ni lui demander si le problème, quand on s’exhibe en voile intégral est moins lié au rapport aux musulmans, qu’au fait d’exhiber un marqueur islamiste. Il préfère insister sur « le rapport de la France à la religion ».

Là, on a droit à la théologie à hauteur de vue des amibes : « la religion vous en parlez toujours au pluriel. Du fait que toutes les grandes religions sont liées et que ça on ne le sait pas forcément, on ne le dit pas, on ne le comprend pas ». Visiblement l’homme n’est pas au courant que le monothéisme est déjà un lien particulièrement fort, connu et reconnu mais surtout il parait ignorer que, selon les islamistes, l’islam étant la dernière religion, elle est censée englober les autres, les parfaire… Pour un islamiste, l’islam amène la vérité et les autres religions lui sont liées car elles doivent s’incliner devant sa vérité et admettre sa supériorité. Pas de respect et de tolérance là-dedans, mais une volonté d’élimination par absorption.

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Un autre passage est révélateur de cette absence de tout travail sur le fond : à la fin de l’entretien Diam’s explique qu’elle n’écoute plus de rap, que l’on ne peut « réduire sa carrière musicale à du rap », que ce serait ne « pas avoir compris qu’[elle]était juste en quête ». De quoi, on ne le saura pas. Elle parle aussi du fait qu’elle espère que ses enfants ne seront pas attirés par une carrière musicale. Mais il ne vient jamais à l’esprit du journaliste d’interroger l’ex rappeuse sur le fait que l’intégrisme islamiste interdit la musique et qu’elle se fait le relais de ces interdits, tout en évitant de le dire explicitement. 

Ne reste que 35 mn de banalités et d’ennui pendant lesquelles tout est fait pour nous convaincre que lorsque l’on souffre trop, se voiler, disparaitre, se taire permet la renaissance. L’échange est aussi creux intellectuellement que basique, le vocabulaire employé est peu élaboré et la pensée très limitée. En revanche qu’un « journaliste » par complaisance et absence de travail se fasse le relais d’une idéologie obscurantiste en banalisant le voile intégral et l’idéologie islamiste dont il est le principal marqueur devrait être un problème déontologique pour une presse qui se respecte.




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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