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Marine Le Pen: qui perd gagne?

Tant que j'gagne je joue


Marine Le Pen: qui perd gagne?
Discours de Marine Le Pen après l'annonce des résultats de l'élection présidentielle, Paris, 24 avril 2022 © AP Photo / François Mori / SIPA

Si Marine Le Pen n’a pas été élue, elle a réussi à inscrire son parti dans la normalité républicaine. Et ce, malgré le front « antifa » habilement instrumentalisé par Emmanuel Macron. Un cynisme politique qui ne soulagera pas un pays plus que jamais fracturé.


Emmanuel Macron a été réélu comme cela était prévisible depuis les résultats du premier tour le 10 avril. Sa victoire claire et nette n’a rien de comparable avec l’écrasement qu’avait subi Marine Le Pen en 2017, d’abord dû au débat calamiteux dont, candidate mal préparée, elle avait été en grande partie responsable.

En 2022, Marine Le Pen est défaite avec un score qui est le plus fort jamais recueilli par l’extrême droite par rapport à 2002 et à 2017. Elle se retrouve dans un étiage qui la situe dans une sorte de normalité républicaine si on compare avec les écarts des précédentes victoires présidentielles. Les observateurs de bonne foi ont admis qu’elle a sans doute fait avec Jean-Luc Mélenchon la meilleure campagne de premier tour avant de se battre au second tour, vaillamment et sans jamais déraper, contre une formidable machine de guerre à la fois politique et médiatique. Elle a mené un combat désespéré en même temps contre son adversaire et contre la tentation de l’abstention dans son propre camp. Sans la multitude de soutiens périphériques dont Emmanuel Macron a bénéficié surabondamment.

Au regard de cette joute d’entre-deux-tours où l’inégalité, sous toutes ses formes, a été organisée et structurée pour faire gagner « le camp du Bien », décrété tel de toute éternité, on peut considérer que l’insuccès de Marine Le Pen n’est pas loin de ressembler, pour sa cause, à une indéniable avancée.

Le Rassemblement National n’est plus le paria de la politique française

Elle aurait été encore plus nette si tous les analystes et contempteurs ne s’étaient pas paresseusement lovés dans l’opprobre rassurant d’une « extrême droite » jamais définie dans sa substance et sa plausibilité historique. Comme si une triple présence au second tour d’une élection présidentielle ne rendait pas vaine cette réduction et, pour tout dire, approximatif ce refus obstiné de s’engager sur une nouvelle approche de la réalité du RN et de la multitude des citoyens qui y adhèrent.

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J’entends bien que certains me reprocheront, alors que moi-même j’ai voté blanc, d’attacher trop d’importance à la pureté et à l’honnêteté des mécanismes démocratiques. Depuis longtemps je suis lassé par la substitution d’une stigmatisation morale à l’inventaire des forces et des faiblesses du RN, qui n’a plus rien de fasciste et donc aurait appelé une analyse, voire une dénonciation politique, « normale ». Le RN n’est pas coupable de progresser dans l’adhésion des Français, ce sont les gouvernements au pouvoir qui n’ont jamais su entraver son développement à cause de leurs abstentions ou de leurs actions, en tout cas de leur mépris pour certaines aspirations dites « populistes », amplifiant en cela ce parti que l’éthique prétendue républicaine aurait souhaité éradiquer.

Je n’ai jamais accepté cette perversion démocratique qui faute d’oser officiellement interdire ce parti, qui paraît-il n’était pas républicain (sans que jamais on ne s’aventure à préciser ce qu’il fallait entendre par là !), préfère hypocritement au quotidien le traiter comme s’il était interdit.

Un second mandat plus instable que le premier?

Emmanuel Macron n’a pas plus réussi que ses prédécesseurs à apaiser sur ce terrain. Il a affirmé récuser les idées de Marine Le Pen, mais éprouver du respect pour elle : cela ne s’est pas trop vu jusqu’au second tour ! Malgré son incroyable aptitude à afficher de manière ostentatoire qu’il méritait un second mandat en puisant avec cynisme dans l’escarcelle de ses opposants et plus particulièrement dans le vivier de Jean-Luc Mélenchon. Tout lui a été bon pour réaliser cette conquête unique d’une réélection hors cohabitation. Cet intellectuel souvent profond ne fait pas son marché que dans les nuées de la philosophie, il est aussi d’une incroyable rouerie pragmatique, d’un cynisme dont il n’a même pas honte tant il croit être légitime à tout se permettre puisqu’il s’agit de lui.

Ce quinquennat qui va recommencer, que nous promet-il ? En 2017, Emmanuel Macron avait fait du dépassement de la droite et de la gauche, et de l’émergence d’un nouveau monde le double axe de sa mission. Je ne vois pas comment, en 2022, il pourra tenir davantage ses engagements tout frais sortis de la campagne d’avant le second tour alors que le pays n’a jamais été plus fracturé, en trois familles d’importance : celle de Jean-Luc Mélenchon qui espère s’imposer lors des prochaines législatives (mais qu’il ne sous-estime pas le président !) ; celle du peuple de Marine Le Pen ; celle enfin qui soutiendra le pouvoir qui n’aura toutefois pas une représentation parlementaire aussi considérable qu’en 2017.

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Les temps qui s’annoncent vont être difficiles, gros d’orages inévitables. L’unité en grande partie tactique, factice, qui s’est faite sur sa réélection ne garantit rien. Au contraire car j’incline à penser que beaucoup regretteront d’avoir privilégié une option les plaçant du bon côté de leur avenir, mais pas forcément là où une absence de choix entre « le risque et le danger » aurait pu les conduire.

Le rejet de Marine Le Pen est suffisant pour être élu

On a beaucoup insisté, et Marine Le Pen la première, sur le gros travail accompli par ses équipes sur le projet, mais il ne faut rien exagérer. Le paradoxe est que sa personnalité et sa maîtrise ont rassuré durant la campagne mais que son programme de bric et de broc, certes de droite pour la sécurité et la justice, n’a pas convaincu, tandis que le nom Le Pen, avec quelques arrière-boutiques encore présentes, n’a pas facilité les choses.

Au contraire, Emmanuel Macron a été réélu sans avoir véritablement conquis les Français durant cinq ans à cause de sa manière d’être et de sa présidence narcissique et impérieuse – et on a découvert durant la campagne un Macron condescendant avant le premier tour et démagogue avant le second. Le caractère naturellement tutélaire de sa fonction face à l’ensemble des crises sociales, sanitaires et internationales qu’il a affrontées a pesé lourd. Face à de telles situations, on a scrupule à sortir les sortants…

J’ai le droit de conclure avec incertitude. L’unité de la France est une exigence capitale, mais je doute qu’en 2027 elle soit plus rassemblée qu’aujourd’hui. Mon inclination au pessimisme sera, je l’espère, démentie.

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Mai 2022 - Causeur #101

Article extrait du Magazine Causeur




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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