Accueil Société Les carottes sont cuites et c’est la fin des haricots

Les carottes sont cuites et c’est la fin des haricots


Les carottes sont cuites et c’est la fin des haricots
Image d'illustration Unsplash

En plein scandale Orpéa, conversation sans chichis, ni cérémonies, avec une mienne amie, ancienne libraire, pratiquement centenaire, célibataire et sans beaucoup de famille. En son jeune temps, au péril de sa vie, elle résista à l’envahisseur ; aujourd’hui, elle est « à l’Ehpad ». 

– Pas de thé pour moi, je ne bois plus après 16h !

– Ah bon ! Qu’est-ce qui t’arrive ?

– C’est assez simple : je ne veux pas être « garnie », (expression pudique pour ne pas dire porter des couches), je ne suis pas une choucroute (rires).

– C’est-à-dire ?

Quand tu penses qu’on est capable de faire faire un créneau à une voiture avec des caméras partout, voire de la faire rouler sans chauffeur, et qu’on n’est pas fichu d’inventer des dispositifs pour mettre un vieux aux toilettes!

– Telle que tu me vois, je suis pratiquement aveugle, je n’entends plus rien sans mon appareil auditif et j’ai un mal fou, euphémisme ! à me déplacer, même avec mon déambulateur. Mais, et j’insiste, je ne suis incontinente ni urinairement, ni fécalement. J’arrive encore à contrôler mes sphincters. Dans la journée, en y mettant le temps, je parviens donc à maîtriser la situation. De temps en temps, j’arrive à me faire aider dans mon déplacement et mes manœuvres par une aide-soignante. Du moins, si son heure de passage correspond à celle de mon horloge digestive. Mais la nuit, c’est une autre histoire. Je m’organise donc pour que mon activité évacuatoire soit réglée comme du papier à musique. Pour le numéro 1, je ne bois donc plus après une certaine heure, et pour le numéro 2, je surveille ce que je mange, je calcule les horaires et je me restreins. De toute façon, je n’ai pas trop de mal. Mes besoins énergétiques sont assez limités et le régime proposé ne pousse pas à l’excès. Quand on t’annonce de la choucroute, c’est du chou, de la paella du riz, de la bolognaise des nouilles à la sauce tomate, du bourguignon des carottes et du parmentier de la purée. En plus, inégalité criante entre les sexes, pour la moitié du problème, c’est-à-dire l’élimination liquide, les hommes, ces pauvres diables, ont la solution du pistolet mais nous les femmes, anges adorables, nous sommes aussi vulnérables que misérables pour l’évacuation de l’ensemble de nos déchets organiques.

– Tu ne peux pas sonner pour te faire assister ?

– Tu galèjes, j’espère. Les deux personnes de permanence la nuit sont là pour les cas graves, pas pour te faire faire popo. Et, tu ne peux pas imaginer la pression le soir. « Allez, la p’tite dame, on va prendre ses médicaments et ses précautions pour la nuit ». Et, hop, on te sort les cachetons et la couche miracle. À leur arrivée, les futurs « pensionnaires » ne sont pas tous incontinents. Beaucoup d’entre eux et d’entre elles pourraient aller aux toilettes ou du moins pourraient être mis aux toilettes ; mais, cela exigerait du matériel, du temps et coûterait un pognon de dingue. Sûrement beaucoup plus cher que les couches qui doivent quand même représenter un sacré budget mais se gèrent plus facilement que le personnel. Pour ma part, je peux (un peu) jouer les fortes têtes, d’abord parce que j’ai encore toutes mes frites dans le même panier et ensuite parce que j’arrive à me déplacer, un tout petit peu ; je ne passe pas ma journée allongée ou assise dans un fauteuil roulant. Mais, je suis une exception.

Ma voisine de couloir, une amie de longue date, a vécu chez elle jusqu’il y a peu. Elle est tombée, ne s’est rien cassé mais est désormais victime d’un syndrome post-chute ; c’est-à-dire qu’elle ne marche plus du tout. Quelque chose s’est bloqué dans son cerveau. Elle n’est pas, ou du moins n’était pas à son arrivée, plus incontinente que moi. Elle, et ses enfants, ont vraiment tout essayé et supplié pour qu’on la « mette à faire » quand elle « avait envie » et qu’elle ne soit pas contrainte « de faire sous elle ».  Mais, « vu son état », ce n’était « pas possible ». Pendant des jours, des semaines, elle n’a parlé que de ça. De l’humiliation, de la honte et aussi de la difficulté physique, intellectuelle, mentale à obéir à cette injonction du « laisser aller ». Elle a frôlé l’occlusion intestinale, a développé un globe vésical lié à la rétention d’urine. Mais youpi et happy end, elle est rentrée dans le rang : elle fait désormais, comme (presque) tout le monde, pipi et caca dans sa culotte. Je ne suis pas certaine qu’elle s’en remette et ne se laisse pas maintenant gentiment « glisser » (expression pudique pour dire se laisser mourir).

Quand tu penses qu’on est capable de faire faire un créneau à une voiture avec des caméras partout, voire de la faire rouler sans chauffeur, et qu’on n’est pas fichu d’inventer des dispositifs pour mettre un vieux aux toilettes ! Tu parles d’un monde technologique ! J’ai entendu parler de robots avec lesquels on allait pouvoir, nous les seniors, jouer aux cartes, discuter, échanger afin de « maintenir nos capacités cognitives ». Parfait ! mais, franchement, ce n’est pas le plus important. 

Peut-être que si les investisseurs étaient privés de lieux d’aisance pendant quelques temps et se retrouvaient, eux aussi, « garnis », ils comprendraient à quel point il est urgent de mettre le paquet sur la recherche de solutions. Ne serait-ce que pour leur propre usage. Dans pas si longtemps que ça.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent «L’homme noir doit rentrer dans l’histoire… économique!»
Article suivant Qui veut gagner des millions?
Experte en petits riens

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération