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Être juif, une question de volonté ?


Être juif, une question de volonté ?

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Outre-Atlantique, à Los Angeles demeure mon ami Oscar Mandel. Il vient de publier Être ou ne pas être juif. L’amitié, si profonde soit-elle, exige la sincérité, entraînant les désaccords. Lesquels portent parfois sur l’essentiel. Je me trouve dans ce cas de figure avec le thème développé dans le présent livre : l’auteur y expose le déni de sa judéité, cependant que, perplexe, le lecteur affirme et affiche la sienne, de façon d’autant plus péremptoire qu’il sait ressembler au « Juif imaginaire » décrit naguère par Alain Finkielkraut. Au demeurant, chez le lecteur que je suis, le problème déclenche de tels remous que les réminiscences et les références affluent à l’esprit comme des bouées de secours, parce que, comme Georges Perec l’a formulé autrefois, « Je ne sais pas très précisément ce que c’est qu’être juif ». Tâchons de surnager.
Los Angeles n’est pas le lieu de naissance d’Oscar. Peu enclin aux confidences, il en a laissé passer quelques-unes. Il est originaire d’Anvers, cette si belle ville de Belgique que j’ai visitée récemment (août 2011), ébloui notamment par les Rubens suspendus dans la magnifique cathédrale gothique et convaincu que si l’art n’a pas de religion, il est une religion.
C’est dans cet environnement enchanteur qu’Oscar Mandel est né, entre les deux guerres mondiales du vingtième siècle de l’ère chrétienne. Comment s’est-il retrouvé à vivre sa vie à des milliers de kilomètres de la vieille Europe tant aimée, si riche sur le plan culturel, que s’est-il produit pour qu’il s’enracine loin de ce qu’il est convenu d’appeler sa patrie ? Comment cet Européen de souche et de cœur, qu’on dirait tout droit sorti d’un roman ou d’un tableau flamand, a-t-il été poussé à s’expatrier sans qu’on lui demande son avis ? À questions directes, réponses simples : l’appartenance familiale et la pression des circonstances se sont liguées, si on ose dire, pour faire de lui et des siens des errants. Nés Juifs, les Mandel ont choisi d’échapper aux nazis en longeant la côte, de port en port, et ont fini par s’embarquer à Lisbonne pour New York, havre de survie. Or, que soutient le poète, l’esthète Oscar Mandel ? Qu’il n’est pas Juif. Qu’on peut décider de ne pas être Juif même si on est pourchassé comme tel, comme on décide de ne pas aimer le cinéma, de ne pas mourir fumeur, de ne pas apprécier la musique des opéras d’Alban Berg, que sais-je encore ?
Là réside notre différend. Dans cette problématique, je campe aux antipodes de mon ami américain. Qui n’est Américain que parce que Juif. Pour moi, on est Juif pour l’unique raison qu’on naît Juif. C’est une donnée immédiate de la conscience. Un héritage historique, ne connût-on rien du passé de ses ancêtres. Une évidence ontologique, liée à la transmission de la mémoire de la Shoah.
Et, simultanément, c’est un embarras constant. Je ne vais pas à la synagogue, aucune croyance ne m’habite, les signes extérieurs des Juifs pieux m’exaspèrent, leurs dogmes et leurs interdits me scandalisent du fait de la coupure qu’ils introduisent entre l’individu et la société, je rejette leur système de pensée et de mœurs comme autant d’entraves à la vie parmi les citoyens. Sans remettre en cause mon identité, ils me la rendraient opaque. Ma solution : distinguer le judaïsme (religion) et la judéité (identité).
Il ne s’agit pas de remettre en cause les choix de chacun. L’un dit n’être pas Juif, l’autre proclame qu’il l’est. Je dois avouer que je ne suis pas parvenu sans vacillements à la conviction qui est la mienne aujourd’hui. À preuve le récit que j’ai intitulé Trou de mémoire et dont la composition en trois parties est révélatrice de la difficulté réflexive qui accompagne ce motif de la judéité. J’en fais part ici, à titre de témoignage : « Le suis-je ? (1940-1952) – Je ne le suis pas ? (1952-1967) – Je le suis ? (1967-1987) » – le triple point d’interrogation signant le tout.
Faut-il trancher ? J’ai lu passionnément le texte d’Oscar Mandel. Il use d’une rhétorique qui rend tenable sa position, même aux yeux du contradicteur le plus résolu. Nous lie tous deux, en l’espèce, l’absence de foi. Nous distingue le critère qui avait frappé l’historien Fernand Braudel. Après l’attentat de la rue des Rosiers, Le Quotidien de Paris m’avait soutiré une opinion, publiée le 12 août 1982. Braudel, méditant sur L’identité de la France, observe ceci : « Je garde le souvenir de cet historien, professeur alors, il y a longtemps, à Strasbourg. On l’interroge en tant que Juif. Il répond sans sourciller : « Je ne suis pas Juif, je suis Français ». J’ai envie de dire : bravo ! Mais, moi, Serge Koster je me sens plus véridique lorsque je réponds, dans une enquête récente : « La France est ma patrie, le lieu de ma langue et de mes affections. Mais je nourris pour Israël (entendez l’Etat d’Israël) qui n’est pas mon pays un sentiment sans rémission ». Rien à retoucher. Enfin à une nuance près. Je ne suis pas candidat pour être Juif en Israël. Juif diasporique, Français Juif, voilà ma condition. On peut juger cela peu clair, irrationnel ; pour moi c’est une rassurante étrangeté.
Retour au point de départ. Je le suis. Je prétends qu’il l’est, quoi qu’il dise. Il faut juste deux paires de lunettes pour ajuster nos lectures. Je recommande en toute lucidité celle du percutant, de l’impertinent livre d’Oscar Mandel.

Oscar Mandel, Être ou ne pas être juif, Allia, 2013, 59 p., 6,20€

 

 

 



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