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Joe Biden entre la Bérézina et Saigon


Joe Biden entre la Bérézina et Saigon
Joe Biden, après son discours sur l'Afghanistan, le 16 août Photo/Evan Vucci)/DCEV328/21228743564159//2108162244 AP22596486_000034

Le président des États-Unis prétend que sa décision de retirer les troupes américaines d’Afghanistan était la bonne, mais les conséquences risquent d’être graves, non seulement pour ce pays ravagé par la guerre, mais aussi pour le reste du monde.

Une nouvelle fois dans leur histoire, les Etats-Unis sont statufiés, cette fois par l’avancée-éclair des Taliban sur la capitale de l’Afghanistan, Kaboul. L’armée régulière afghane, en nombre et bien équipée par l’Amérique, s’est littéralement volatilisée. Joe Biden connaît son plus gros revers politique. Donald Trump jubile. « Joe l’endormi » n’a jamais mieux mérité le sobriquet trouvé pour lui par son prédécesseur pendant la campagne présidentielle, ce dernier appelant immédiatement son adversaire à « démissionner dans la honte ».

Sauve qui peut

En vacances, le président des Etats-Unis a mis du temps à réagir. Ou même à s’exprimer alors que les quelque 15.000 soldats talibanesques prenaient le contrôle de Kaboul en deux ou trois jours. Joe Biden et son secrétaire d’Etat, Anthony Blinken, n’avaient-ils pas annoncé il y a peu de temps que l’armée afghane était solidement équipée et entraînée et qu’il était « invraisemblable » (« unlikely ») que l’Afghanistan et encore moins Kaboul ne tombent dans l’escarcelle des Soldats de Dieu ? Les deux responsables de la politique étrangère US escomptaient même que le gouvernement afghan « laïque » en place tienne au moins deux ans après le départ des Américains, programmé de longue date déjà sous Obama puis confirmé sous Trump.

Vice-président d’Obama pendant 8 ans, Joe Biden peut difficilement arguer qu’il hérite simplement du pourrissement d’un accord de paix bancal avec les Taliban signé par son prédécesseur. Quoi qu’il advienne, la chute de Kaboul est désormais une tache sur le mandat de Joe Biden : on pense bien sûr à la défaite au Vietnam ou même à l’humiliante prise d’otage des diplomates américains à Téhéran sous Carter. Ah ces norias d’hélicoptères de l’armée américaine évacuant les diplomates ! On n’est pas loin des images d’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola au son de la Chevauchée des Walkyries de Wagner…

Promesse de… Taliban

Certes, les Taliban ont proposé une amnistie générale, promettent de respecter le « droit des femmes selon la tradition islamique (sic) » et de limiter autant que possible l’amputation des voleurs. Ils semblent plus modérés que ceux qui, sous la houlette d’Oussama Ben Laden et du mollah Omar, avaient transformé l’Afghanistan en base arrière terroriste d’où était né le noir dessein des attentats du 11 septembre 2001.

À lire aussi, du même auteur : États-Unis: deux constitutions parallèles pour une Amérique déchirée

On peut penser que la priorité absolue du nouveau pouvoir taliban ne sera pas forcément de réactiver sur sol afghan une filiale d’Al Qaeda. On peut espérer aussi que l’Afghanistan devienne un souci régional pour des puissances tout aussi régionales que sont l’Inde, le Pakistan, la Chine, l’Iran et la Russie. Cette dernière a d’ailleurs annoncé maintenir son personnel diplomatique tandis que la Chine veut apparemment travailler en bonne intelligence avec les nouveaux maîtres de ce pays que même Gengis Khan ne parvint pas à dompter. L’Occident, et les Etats-Unis en particulier, pourraient alors s’en laver les mains. C’est la version optimiste.

La version pessimiste, c’est l’arrivée de dizaines (voire de centaines) de milliers de réfugiés afghans sur l’Europe, et en particulier sur la Grande-Bretagne et l’Allemagne et une menace supplémentaire sur le front du terrorisme islamiste. Qu’on se le dise : les Etats-Unis ont durablement renoncé à être systématiquement le gendarme du monde, malgré le maintien de flottes importantes dans le monde entier et en Asie en particulier pour préserver leurs intérêts immédiats. Interventionniste, le pays de l’Oncle Sam montre souvent ses limites (chaos irakien, fiasco somalien…) mais lorsqu’il se replie sur lui-même, on en vient vite à le regretter car un monde non régulé par l’Amérique n’est pas forcément un monde plus stable.




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est écrivain, journaliste et romancier belge. Dernière publication : "Tout doit disparaître", Edilivre (2021)

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