Accueil Culture La grâce de l’instant

La grâce de l’instant

Une exposition du peintre François-Xavier de Boissoudy, rue de Penthièvre


La grâce de l’instant
"Montrer" de François-Xavier Boissoudy © Luc Pâris

Les chrétiens attendent que le Christ règne. Pour le peintre François-Xavier de Boissoudy, il règne déjà. Ses tableaux nous racontent ce royaume étiré dans le temps et situé dans le cœur des hommes.


François-Xavier de Boissoudy revisite depuis plusieurs années l’iconographie chrétienne dont les thèmes, quelques siècles durant et sur plusieurs continents, ont nourri la réflexion de tant d’artistes. Ces sujets étaient tombés en désuétude. On voit le moment où ils seront jugés offensants. En attendant la prochaine crise iconoclaste, Boissoudy peint, inlassablement, ces scènes incroyables, familières, symboliques et réelles d’un Dieu marchant au bord du lac de Tibériade – et parfois dessus – ou naissant à Nazareth, comme n’importe qui, ou guérissant les aveugles, comme peu. Il les peint en ayant écarté tout l’appareil du merveilleux (ni angelots ni archanges), du pittoresque (aucune reconstitution soignée) et du majestueux. Son Christ est celui qui, après sa résurrection, attend les apôtres en faisant griller des poissons sur la plage. Un Christ intense, immédiat, proche.

Pour qu’Il règne

C’est là que le thème de sa dernière exposition prend tout son sens : Que ton règne vienne. Le Christ de Boissoudy règne déjà pourvu qu’on soit attentif à ce qu’est le royaume : une disposition d’esprit. Croire, naître, rencontrer, guérir, recevoir, goûter… Toutes les œuvres se présentent à nous avec un verbe qui incite à comprendre ce qu’est, en fait, la grâce : une manière d’être au monde qui transforme le monde sans lui enlever un atome de sa réalité mais en l’enrichissant d’un regard précis.

À lire aussi : La restauration de Notre-Dame de Paris: un écocide?

Tout l’art du peintre est de suggérer à la fois l’évidence de ce regard et la difficulté de le porter. Étalant à pleines mains des lavis d’encres, où le noir domine encore, ou un pigment terreux allongé d’essence (ce qui donne une palette allant du jaune pâle au brun profond), Boissoudy fait surgir de la surface blanche des univers où la lumière, toujours focalisée, signale l’instant gracieux. Le spectateur, lui, fait partie du dispositif, il appartient à la scène qu’il contemple : comme s’il était au fond de la pièce où le Christ rentre, dans la foule qui le regarde, dans le cercle de ceux à qui le Christ parle. Ce soleil, cette porte par où le jour entre, ce chemin éclatant, cette source, sont autant de points et de ponts qui manifestent une grâce active, un royaume déjà constitué, un règne présent pour ceux qui le désirent.

Une approche contemporaine

C’est une approche contemporaine, qui refuse l’anecdote, installe la répétition, exige presque du spectateur qu’il appréhende d’abord toute la série proposée avant d’interroger chaque tableau. Il faut d’ailleurs replacer l’idée même d’une source d’inspiration unique, les Évangiles, dans une démarche contemporaine : Boissoudy, lancé dans une tentative d’épuisement pictural de l’actualité du message chrétien, explore méthodiquement un univers inépuisable (bien joué !). Il navigue sans cesse entre interprétation du texte, intégration du discours pontifical, mise en scène du croyant : révélation initiale, médiation ecclésiale, actualisation cordiale, les trois pôles permettent d’embrasser toute la temporalité et légitiment toutes les situations. La figure du Christ n’est pas nécessaire, non plus que celles de Marie ou des personnages des évangiles. Elle est mobilisée mais n’est pas le sujet.

« Guérir » de François-Xavier Boissoudy © Luc Pâris

Le sujet, c’est cette grâce qui prend possession du réel et s’y installe : miséricorde du bon Samaritain, gestes tendres entre époux, Christ prêchant, morts ressuscitant, père en prière, enfant attentif, Marie accouchant, instants consacrés par l’écriture ou jamais connus, instants glorieux ou discrets, grâce permanente ou fugace, voilà tous les points de ce règne clignotant, intermittent, sporadique et pourtant continu. Le Christ montre à chaque fois le chemin (c’est là qu’il est nécessaire : pour rappeler la méthode, et pour accueillir), libre à chacun de le prendre et de se retrouver dans cet étrange royaume intérieur qui ne nous arrache pas au monde mais nous y fixe avec bonheur – tout le temps de notre adhésion ; et parfois la grâce s’éteint. Que faire ?

Le Christ nous ouvre les yeux

Les tableaux de cette exposition ont presque tous des titres qui sont des verbes : Chercher, Guetter, Naître, Revenir, etc. Si le règne vient, c’est qu’on le cherche, s’il existe, c’est qu’on le bâtit. Marie qui accouche sous les étoiles, couchée sur le sol autour de son enfant, comme la nuit enserrant la terre, c’est la promesse d’une lumière qui va illuminer des milliards de vies. Boissoudy reproduit cette toile plusieurs fois, sans qu’on sache s’il s’agit encore de Marie ou d’une autre femme, qui croit assez à la vie pour la porter et la donner. Cette pièce où des gens attendent devant une porte ouverte verra-t-elle surgir Jésus, un invité ou un passant ? Peu importe, elle est le royaume.

À lire aussi : Comment le monde intellectuel et artistique a été mis «sous contrôle»

Trois tableaux nous montrent Jésus qui rend la vue à un aveugle. Trois fois la même scène, de plus en plus distincte, comme si ce que nous regardons était la réalité peu à peu révélée à l’aveugle, d’abord ébloui. Face à lui, le Christ, première révélation, premier visage qu’il verra. Nous, au bord de la place, nous voyons ce Christ, que nous avons déjà vu, au gré des expositions, des églises et des musées, et peut-être au gré de nos vies. Le Christ et l’aveugle sont dans un cercle de lumière blanche : c’est le royaume. Celui où nous n’avons pas encore accédé. Les tableaux nous intègrent à leur lisière mais ne sont pas une image magique où nous pourrions pénétrer. Ils nous permettent d’exercer notre regard. Nous avons vu le royaume. C’est à nous qu’il appartient de faire advenir le règne.

« Que ton règne vienne », à la Galerie Guillaume, 32 rue de Penthièvre, 75008 Paris, jusqu’au 29 mai et même au-delà. Il existe un catalogue, avec un texte de Thibault de Montaigu (l’auteur de La Grâce, Plon), publié aux Éditions Conférences. galerieguillaume.com

La grâce - Prix de Flore 2020

Price: 20,00 €

49 used & new available from 1,87 €



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent « Certains acceptent la différence, mais ne veulent pas être minoritaires dans leur pays »
Article suivant Solveig Halloin: la France orange psychiatrique

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération