Accueil Politique L’antisémitisme, ce « privilège » dont les Juifs se passeraient bien

L’antisémitisme, ce « privilège » dont les Juifs se passeraient bien


L’antisémitisme, ce « privilège » dont les Juifs se passeraient bien
Marche contre l'antisémitisme, Paris, février 2019. Auteurs : Erez Lichtfeld/SIPA. Numéro de reportage : 00895581_000006

A la mi-juillet, un nouvel hashtag #JewishPrivilege (« privilège juif »), est apparu sur Twitter, repris par plus de 122 000 messages antisémites en 24 heures. Cette thématique des Juifs qui seraient des privilégiés, des profiteurs, des exploiteurs, des suppôts du capitalisme,  n’est pas nouvelle. Elle est la matrice de l’antisémitisme « de gauche », ce qu’August Bebel appelait « le socialisme des imbéciles », mais on la retrouve aussi dans une partie de l’extrême droite, celle que l’on qualifie parfois de fascisme social-révolutionnaire (présente notamment au sein des SA en Allemagne dans les années 20-30-40).


L’hostilité envers les Juifs peut apparaître en effet sous différentes formes à toutes les époques et en tout lieu, de la plus haute antiquité à nos jours, de l’Orient à l’Occident, et de gauche à droite dans le spectre politique.  A son origine, l’antisémitisme est à la fois religieux, antijudaïsme chrétien puis musulman, et « national », c’est-à-dire antagoniste à la nation juive enracinée dans sa terre. La pax romana a ainsi effacé le nom du territoire des vaincus, la Judée. Plus tard face à la permanence du yichow (persistance et retours récurrents des Juifs sur leur terre), les empires musulmans (califal et ottoman), on réinvesti, par l’instauration de la dhimma, l’interdiction faite aux Juifs d’avoir un territoire national.

« Pureté du sang » espagnol

D’autres formes d’antisémitisme viendront ensuite s’ajouter à ces deux versions originelles, en fonction des époques et des groupes qui s’en nourrissent et le diffusent. L’antisémitisme raciste apparaît ainsi avec la ley de pureza de sangre espagnole (« loi de la pureté du sang ») dès 1449 pour interdire l’accès à certaines fonctions rémunératrices et postes de prestige aux « nouveaux chrétiens » (les Juifs convertis sincèrement au catholicisme, contrairement aux « marranes », terme péjoratif désignant les Juifs formellement convertis mais qui judaïsent en secret). Cet antisémitisme prendra bien sûr toute son ampleur avec les théories racistes du 19ème siècle, et sa forme la plus terrible avec la doctrine nazie et son passage à l’acte génocidaire.  Au XIXme sièclen, se formalise également un autre type d’antisémitisme : anticapitaliste, dans ses versions marxistes et proudhoniennes.

Aujourd’hui, c’est essentiellement l’articulation entre un antisémitisme anticapitaliste et plus largement anti-élites, et un antisémitisme de la nation, dit « antisionisme » (de fait opposé à l’existence de l’Etat d’Israël) qui est le plus répandu et le plus pernicieux. La diffusion du slogan « privilège Juif » sous la forme moderne du tweet, syncrétise cette détestation des Juifs comme groupe privilégié à tous les sens du terme. La thématique du Juif et de l’argent y est en bonne place, mais un nouvel élément vient s’y ajouter sur le mode du favoritisme : les Juifs bénéficieraient d’un traitement de faveur dans la concurrence victimaire. Les Juifs sont en effet accusés de « profiter » de la Shoah pour se faire plaindre au-delà du raisonnable et tirer des avantages de tous ordres y compris financiers évidemment.

Contre Israël

Une variante de cet antisémitisme du privilège peut aller jusqu’aux thèses négationnistes : les Juifs feraient plus qu’instrumentaliser la Shoah, ils l’auraient inventée ! Dans cette perspective délirante, les antisémites du privilège Juif, peuvent développer également le syllogisme selon lequel un coupable ne pouvant être victime (et réciproquement), les Juifs sont les bourreaux des Palestiniens, et non seulement donc ne sont victimes de rien, mais sont coupables de tout. Articulé étroitement à la défense de la « cause palestinienne », l’antisémitisme du privilège construit ainsi une chaîne d’identifications, du Palestinien à l’Arabe, au musulman, à l’immigré, à l’ex-colonisé prétendument néo-colonisé.

Et plus récemment, cet antisémitisme anti-israélien articule antisémitisme et racisme anti-blanc : le Juif étant considéré comme un agent de l’impérialisme américain, un colonialiste, ancien supplétif des colons français, nouveau « colon » des « territoires occupés », capitaliste, mondialiste. Les Juifs sont alors définis en quelque sorte comme des « super-blancs ». Les « métèques », les « sangs mêlés » de l’antisémitisme raciste des XIXème et XXème siècles, sont devenus les « Blancs » les plus honnis dans la vision « racisée » d’un monde où s’affrontent à nouveau radicalement les races.

Des mots aux morts

Comme souvent, les Juifs sont alors ici comme le marqueur qui signale un danger global, une idéologie mortifère qui menace la société toute entière. L’antisémitisme est le signal d’une dérive vers le pire : l’antijudaïsme chrétien annonçait les bûchers de l’Inquisition et les guerres de religions, l’antijudaïsme musulman se prolonge par la détestation meurtrière également des chrétiens, des apostats, des athées (ne lit-on pas dans les hadiths « Vous combattrez les juifs », « Périssent les juifs et les chrétiens. Il n’y aura pas deux religions en Arabie »). Les persécutions antisémites staliniennes accompagnaient les massacres de masses de populations les plus diverses, russes y compris, et l’antisémitisme hitlérien, s’il était certes au cœur de la doctrine nazie, n’en était pas moins étroitement articulé à une vision planétaire raciste et à une frénésie exterminatrice qui alla au-delà des seules populations juives.

Haine de l’Occident

Les Juifs ont donc « le privilège » d’être les premiers visés, les premiers attaqués et assassinés, et ceux systématiquement, mais d’autres victimes leur font cohorte. Aujourd’hui les Juifs sont une fois encore cette malheureuse « avant-garde » des victimes des totalitarismes de tout poil et notamment aujourd’hui de l’islamisme volontiers allié à « l’indigénisme » des « racisés ». Ce n’est donc pas anecdotique que l’on ait entendu des slogans antisémites dans les manifestations racialistes anti-Blancs en relation avec la mort de George Floyd et celle d’Adama Traoré. La figure du Juif redevient « l’ennemi du peuple », de tous les peuples en lutte contre la « domination », prétendue domination « blanche et occidentale » en l’occurrence.

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Philosophe et politologue. Présidente du CECIEC. Membre de Dhimmi Watch et de l’Observatoire des idéologies identitaires. Dernier ouvrage paru : "Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs". Éditions de l’Aube 2023

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