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Le Viêt Nam et l’Asie face au monde

Humanisme confucéen VS humanisme occidental à l'épreuve du Covid-19


Le Viêt Nam et l’Asie face au monde
Une cycliste dans les rues vides d'Hanoi, au Vietnam, le 27 mars 2020 © Hau Dinh/AP/SIPA AP22442418_000003

 


Géographe, notre contributeur a suivi le Viêt Nam depuis 1995. Le pays venait d’entamer en 1989 sa phase de renouveau, Doï Moï. Début février 2020 la circulation d’ordinaire animée après le Têt, nouvel an lunaire, s’évaporait comme par magie. Les sites visités avec ferveur étaient fermés les uns après les autres en riposte à l’épidémie de Covid-19.


Cet article a été rédigé le 19 mai 2020

Un ensemble confucéen asiatique hétérogène

Chine, Corée, Taïwan, Singapour, Viêt Nam, ne forment pas un même ensemble humaniste confucéen. La Chine impériale en adoptant la philosophie politique de Confucius figera la société en une hiérarchie terrestre, où l’empereur reçoit son mandat du Ciel. Le taoïsme, supplanté, restera en soubassement religio-culturel. L’ordre hiérarchique, clé de cet humanisme, la femme vis-à-vis de son mari, le cadet pour l’aîné… le village à l’Empereur… et l’Empereur au Ciel, la Chine le diffusera dans son aire d’extension. Devenue communiste elle ne fera que changer de dynastie.

La République de Corée très conservatrice avec son économie libérale en fait un monde à part entre Orient et Occident. Peu de décès[tooltips content= »263, selon les chiffres du 18 mai 2020″](1)[/tooltips], résultat d’un système drastique de contrôle. Taïwan, porteur de la vieille tradition chinoise, est ignoré des statistiques de l’OMS. En contact quotidien avec la Chine et Wuhan sa méfiance est permanente, connaissant le mensonge d’Etat chinois. Dès les prémices de l’infection, son système épidémiologique a réagi, enrichi des leçons du SRAS et de la grippe aviaire, seuls 7 décès. Singapour, à 75% chinoise, a réagi avec des mesures fortes, mais le cordon ombilical avec la Chine n’est pas coupé, 22 décès cependant.

Le faux « mystère vietnamien » avec aucun décès sur 320 cas positifs, est lié au bon sens, à l’histoire, et à un système politique en recherche de stabilité. Resté sous domination chinoise jusqu’au Xème siècle, une suspicion atavique persiste.

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Dès les premiers cas connus parmi les Vietnamiens revenus de Wuhan, des mesures drastiques sont prises, avec confinement d’un village entier, les fêtes du Têt réduites à un cercle plus restreint, et la frontière avec la Chine fermée début février. Une stratégie militaire est activée, pour une victoire à la Diên Biên Phu. Le Service Epidémiologique, hérité de l’Institut Pasteur complète le dispositif, avec le Parti, l’armée, les services de police. Le quadrillage politique en îlot, quartier… se réveille. Les leçons de la grippe aviaire et du SRAS, identifié et jugulé en 2003 à l’hôpital français de Hanoï, ont été retenues. Le contrôle se renforce début mars avec de nouveaux cas apparus. Les porteurs identifiés subissent un questionnaire qui hiérarchise les contacts, c’est un vrai « confessionnal » et les coordonnées deviennent publiques. Dans une société aux traditions confucéennes vivaces, mais où la transgression est aussi la règle, la peur de la mise en évidence de contacts coupables est une raison supplémentaire sine qua non de « rester chez soi », au risque de perdre la face, impensable ! Ajoutons un sens aigu du « prévenir plutôt que guérir » de la médecine taoïste.

L’indéniable réussite de cet État communiste à tradition humaniste confucéenne laisse à réfléchir. Ne pas s’y attarder est un déni. Le Viêt Nam a le souci de suivre une voie asiatique, mais recherche aussi une légitimité historique interne, pour s’inscrire dans une lignée qui reçoit son Mandat du ciel. La nouvelle Assemblée Nationale, avec sa coupole ronde sur un plan carré est la réplique architecturale de l’esplanade à Hué, dédiée au culte du Ciel et de la Terre, dans la plus pure tradition impériale confucéenne.

L’humanisme occidental et « le sexe des anges »

Au loin, l’Occident semblait figé, hypnotisé, les yeux fixés sur ce tsunami, « même pas peur », défiant la déferlante qui, comme au Mont St Michel, arrive à la vitesse d’un cheval au galop. La mémoire est défaillante des grandes épidémies. La grippe espagnole de 1918, le typhus, le choléra, les pestes médiévales auraient dû inciter à la prudence, sinon à s’inspirer des parades asiatiques. Mais fort de son invincible génie scientifique et curatif l’Occident attendait.

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L’Homme, au centre de tout Humanisme, l’est-il encore ? Celui occidental judéo-chrétien, le divise, par esprit cartésien, en une multitude d’Homo, parmi lesquels Homo economicus est l’objet de toutes les attentions. Né dans les vapeurs et les fumées du 19ème siècle industriel, il y est institutionnalisé. La finance internationale dans sa capacité à muter, comme les virus tenaces, l’aura à nouveau rendu plus vulnérable.

Les chiffres des décès demandent à être analysés, non dans leur brutalité métronomique mais dans la diversité des situations. Face à l’Occident, héraut des valeurs humanistes portées dans les combats contre les idéologies fascistes, totalitaires… le virus n’a qu’à bien se tenir. D’une Italie, incrédule, fauchée en premier, dans une Europe lente, hésitante, aux déclarations controversées d’un Premier ministre anglais, ou celles hallucinantes d’un président américain, il y a des fossés de réactions.

Il nous revient à l’esprit cette scène surréaliste de Constantinople, en 1453, assiégée par les mahométans. Derrière les remparts, les religieux byzantins discutaient de la question théologique fondamentale du « sexe des anges », au lieu de se préoccuper des défenses de la ville.

Le « clergé » des hommes politiques de la religion Economie libérale est-il sourd aux coups de boutoir ? Aujourd’hui une pandémie liée à un virus, demain, des dizaines échappés des pergélisols dégelés, ou franchissant la barrière des espèces aux distanciations sociales abolies par des brassages incessants.

Entre le modèle chinois hégémonique, ou celui d’un libéralisme à outrance des voies médianes s’ouvrent

Les images qui nous viennent d’Outre Atlantique nous envahissent de chagrin et de pitié. Est-ce là le credo d’une nation qui se dit porteuse de valeurs humanistes ? La honte des fosses communes de l’île de Hart Island n’a rien à envier aux milliers d’urnes funéraires de Wuhan, mais elles choquent davantage. Un humanisme réduit à des actions caritatives, cataplasmes de maux plus profonds. Portées par des associations, groupements religieux, elles offrent un terrain de prédilection pour s’acheter des indulgences, sinon une clientèle électorale. Et, tout un chacun s’interroge sur cet État Fédéral plus préoccupé par la balance de son économie que par celle de sa justice sociale.

Ne brûlons pas nos bibliothèques

Amadou Hampâté Bâ, sage malien, disait : « un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle« . Gardons à l’esprit cette sentence pour prendre soin des aînés et préserver le « disque dur » de notre mémoire familiale et collective de l’amnésie, du temps des papy et mamy trop vite partis sans conter les leçons de leur jeunesse.

La France n’est pas à l’abri de ce type d’incendie qui a donné lieu à hécatombe dans certaines EHPAD plus préoccupés par la rentabilité de fonds d’investissement lucratifs de groupes financiers, que par des intentions humanistes.

Pour les forêts tropicales, ce n’est pas une métaphore, la richesse inconnue de molécules miraculeuses disparaît en fumée non moins sous la hache des bûcherons que des financiers et des politiques avides. L’homme ne semble pas pouvoir résister à l’appel du néant, au risque de précipiter la planète en arrière, pour un nouveau départ, sans lui !

L’Humanisme à la française d’un Etat providence, souvent décrié, controversé, est-il une des voies d’un humanisme laïc ? Notre système de santé, envié, qui a pour autant faibli, non par la faute des femmes et des hommes qui le composent, ces héros applaudis au quotidien, mais par la dérive gestionnaire qui veut tout quantifier, même l’affection. On se serait cru, avec ces soignants au front, dans ces taxis de la Marne arrivant au « Chemin des Dames ». Un ministre des « Solidarités » et de la Santé, mot juste d’une louable intention ou vœu pieu ?

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Quant au calque communiste du confucianisme chinois, ses dérives maoïstes ont jeté au feu les écrits des sages antiques remplacés par un petit Livre rouge, nouvelle Bible, aussitôt écartée pour des ouvrages plus pragmatiques sur l’Economie Socialiste de marché.

Entre le modèle chinois hégémonique, ou celui d’un libéralisme à outrance des voies médianes s’ouvrent. Le modèle « à la française » peut-il être retenu ? Entre des principes individualistes de « liberté, liberté chérie« , en débat, avec des valeurs d’égalité où « la liberté de chacun s’arrête où commence celle des autres », le civisme est la clé entre individu et société. Un réflexe inné, non, mais acquis au sein d’un enseignement qui doit retrouver ses fondamentaux.

Dans l’attente craintive d’une éventuelle deuxième vague, ne faudrait-il pas aussi s’inspirer de la leçon vietnamienne qui sans bruit, mais avec rigueur a géré cette crise majeure ?



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Géographe. Ancien responsable à l'Agence Universitaire de la Francophonie de Hanoï

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