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Bolsonaro: un populiste contre l’armée?

Les bolsonaristes fanatiques rêvent de détruire le système


Bolsonaro: un populiste contre l’armée?
Le président brésilien Jair Bolsonaro partcipe à la marche pour Jésus, le plus grand rassemblement évangélique du Brésil, São Paulo, 20 juin 2019. Photo: Rebeca Figueiredo Amorin/ Getty Images/ AFP

Rien ne va plus entre le président brésilien Jair Bolsonaro et les tenants de l’ordre. Alors que les officiers de l’armée campent sur la défense de l’État de droit, les bolsonaristes fanatiques rêvent de détruire le système avec l’appui virtuel des foules galvanisées sur Twitter.


 

Six mois après l’intronisation de Jair Bolsonaro, force est de le reconnaître : le nouveau président du Brésil n’assume pas ses nouvelles responsabilités de chef de l’État. Au lieu de jouer la carte du rassemblement, de se concentrer sur les thèmes le plus consensuels de sa campagne – le rétablissement de la loi et de l’ordre, et la relance de l’économie plongée dans une quasi-récession depuis cinq ans –, il reste le leader d’un mouvement conservateur, populiste et antisystème à caractère révolutionnaire. Or, cette posture le condamne à l’impuissance.

Le régime politique brésilien est présidentiel, mais la constitution est parlementaire. L’élection du chef de l’État au scrutin majoritaire lui confère une forte légitimité et une large capacité d’initiative, mais il doit néanmoins composer et négocier avec un Congrès doté de nombreuses prérogatives et fractionné en une foule de partis. Les 513 députés de la chambre basse siègent pendant quatre ans (le temps du mandat présidentiel) tandis que les 81 sénateurs sont élus pour huit ans : faire coïncider majorité présidentielle et parlementaire constitue donc un exercice politique laborieux et compliqué.

Dans le cadre constitutionnel brésilien, le premier défi pour le président élu consiste à construire une coalition de partis disposant d’au moins une majorité simple au Congrès. Toute réforme ambitieuse requiert d’amender la constitution, avec l’appui d’une majorité qualifiée représentant trois cinquièmes des parlementaires des deux chambres.

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Entre l’exécutif et le Congrès, c’est donnant-donnant. La composition d’une majorité législative suffisamment large et solide est assurée par la distribution aux élus parlementaires de portefeuilles ministériels, de postes de cabinet et de direction dans la haute administration, les agences fédérales, les innombrables banques et entreprises publiques. Un gouvernement efficace est un gouvernement d’ouverture. Il doit disposer d’un canal de communication permanent avec ses alliés au Congrès et impliquer ceux-ci dans l’élaboration de tous les projets d’ordonnances et de lois. Il privilégie les partis et leaders de la coalition gouvernementale lorsqu’il s’agit de débloquer des crédits budgétaires qui les intéressent directement et concernent leurs clientèles électorales.

Lors des élections d’octobre 2018, les formations de droite qui ont soutenu le candidat Bolsonaro ont conquis 20,9 % des sièges dans les deux chambres. Pour gouverner, le président devait donc impérativement obtenir l’appui des partis du centre. Bolsonaro a pourtant refusé de s’engager dans l’ingrate opération de construction d’une majorité parlementaire stable et large. Le président se veut le chantre d’une nouvelle gouvernance et entend imposer sa politique en misant sur une relation directe avec le peuple. Il croit que le grondement des foules qui le soutiennent permettra de mettre le Congrès au pas, de le transformer en simple chambre d’enregistrement des projets du pouvoir.

La posture ravit sa clientèle la plus fidèle, le noyau dur des « bolsonaristes » animé par la famille du chef de l’État et regroupant des conservateurs d’extrême droite et des leaders d’églises néopentecôtistes. Ces clans sont réunis par le projet populiste de renversement du « système », de destruction de l’establishment et veulent promouvoir une révolution nationale et populaire afin d’écarter l’« oligarchie » et le « communisme ». Pour ce faire, dans le nouveau monde, il s’agit d’abord de susciter l’adhésion des internautes, d’occuper l’agora virtuelle, d’envahir les réseaux sociaux, d’influencer l’univers digital. Bref, l’instrument de la révolution nationale et populaire est la démocratie directe twittée. Seuls les magistrats-justiciers qui participent à cette purification de la vie publique sont tolérés. La Cour suprême doit être affaiblie, neutralisée, réformée ou détruite.

Le camp des bolsonaristes ne regroupe évidemment pas les 57 millions d’électeurs qui ont élu le nouveau président. En six mois, le chef de l’État a au moins réussi un exploit majeur : atteindre sur les réseaux sociaux une audience comparable à celle d’un Donald Trump. Reste que les rapports de force et les institutions du monde réel comptent encore.

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Cet antiprésident est en train de perdre l’appui et la confiance des nombreux généraux des trois armes qui occupent des postes clés au sein du gouvernement, à commencer par la vice-présidence. Confrontés à la politique du chaos pratiquée par Bolsonaro, ces officiers supérieurs tentent d’assumer un rôle modérateur. Tâche quasi impossible, car leur association avec Bolsonaro – ancien officier subalterne – est le fruit d’un énorme malentendu. Les militaires voulaient en finir avec la déliquescence morale de la fin de la gauche au pouvoir, ils voulaient le retour à l’ordre, la préservation des institutions et de l’État de droit. À leurs yeux, le danger, ce sont des situations d’anarchie et de pré-guerre civile que les radicaux d’extrême droite considèrent comme indispensables à l’accomplissement de la révolution culturelle et conservatrice.

Au sein du gouvernement, entre les bolsonaristes et les personnalités issues des forces armées, le conflit est désormais ouvert, les premiers accusant ouvertement les seconds de trahison. Les militaires voulaient contribuer au respect de l’État de droit, à la pérennité des institutions. Les adeptes fanatiques de Bolsonaro rêvent de détruire le système avec l’appui virtuel des foules hargneuses galvanisées sur Twitter.

Cibles régulières des attaques bolsonaristes, les parlementaires de tous bords ont évidemment pris de sérieuses distances avec ce gouvernement du chaos. Les rares chantiers législatifs engagés depuis janvier sont paralysés ou altérés par un Congrès qui renâcle d’autant plus qu’il est régulièrement dénoncé par le président comme un refuge de bandits que seule la rapine intéresserait. Le maintien orchestré de la crise institutionnelle et politique empêche le Brésil de sortir de la récession économique. La popularité du président s’est effritée. La confiance des chefs d’entreprise s’est évanouie. Trois actifs sur dix sont au chômage et survivent grâce à des petits boulots ou ont des activités à temps partiel. À la périphérie des mégapoles où vit une bonne moitié de la population, tous les trafics prolifèrent et le pouvoir du crime organisé n’a jamais été aussi grand. Les 27 États fédérés et le pouvoir central ne peuvent plus assurer les services publics de base (santé, éducation, sécurité), car les pensions généreuses des fonctionnaires accaparent l’essentiel de leurs budgets. Face au péril imminent de l’effondrement financier des administrations publiques, le Congrès finira sans doute par adopter une réforme a minima des retraites.

Le sort de ce gouvernement se jouera dans les prochains mois. Les militaires peuvent encore calmer le jeu et faire comprendre au président que ses adeptes fanatiques sont minoritaires dans le pays et que le populisme, comme forme de gouvernement est une impasse.

Le président et son clan peuvent aussi résister à la pression des généraux. De l’agitation virtuelle sur les platesformes numériques, ils passeront alors à la mobilisation de la rue. Les nombreux paroissiens des églises évangéliques seront invités à se joindre aux manifestations convoquées par les phalanges les plus radicalisées. Le prétexte peut être le rejet par le Congrès et la Cour suprême de projets que l’exécutif considère comme essentiels, comme la libéralisation du port d’armes, la réduction des crédits universitaires ou la privatisation d’entreprises publiques. Le président annoncera alors le recours à des référendums (la loi fondamentale le permet) pour obtenir par le vote populaire direct un renforcement de son pouvoir et l’affaiblissement des pouvoirs législatif et judiciaire. Cet affrontement ouvert entre un exécutif isolé et les autres institutions républicaines ne durera guère. Bien avant qu’il ne devienne irréversible, les généraux négocieront avec le Congrès la destitution du président. Ils ont cru que l’élection de Bolsonaro allait clore la crise politique inaugurée à la fin de l’ère Lula. Ils doivent désormais empêcher que le prolongement orchestré de cette crise débouche sur une rupture institutionnelle majeure.

 

Été 2019 - Causeur #70

Article extrait du Magazine Causeur




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Consultant à São Paulo. Anime un site en français sur le Brésil : https://www.istoebresil.org 

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