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Bruno Retailleau: « Le macronisme est un narcissisme »

Entretien avec le président du groupe LR au Sénat


Bruno Retailleau: « Le macronisme est un narcissisme »
Bruno Retailleau. ©Sébastien Leban/Leemage

Président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau voit dans Emmanuel Macron un président néolibéral fasciné par le modèle américain. Aux yeux du sénateur de Vendée proche de François Fillon, l’économisme présidentiel ne saurait comprendre les angoisses identitaires des Français. A charge pour la droite d’y répondre. 


Causeur. Vous faites partie de l’opposition au président Macron, tout en partageant une grande partie de ses idées, sur l’économie, mais aussi sur les questions régaliennes. Quel est votre principal point de désaccord avec lui ? Après tout, pas mal d’électeurs de droite pensent qu’il « fait le job ».

Bruno Retailleau. Il est possible qu’une partie de la « vieille droite » qui gouverne avec lui soit en accord avec sa politique économique ou régalienne, mais cela n’est pas du tout mon cas. Jusqu’à aujourd’hui, il n’obtient pas de résultats. Le chômage a très peu baissé, il a même atteint 6 millions de personnes toutes catégories confondues. Le pouvoir d’achat au premier trimestre a baissé. La croissance s’est affaiblie au cours du premier semestre ; et la France cumule deux déficits jumeaux, budgétaire et extérieur, qui nous placent à la traîne de l’Europe.

Reconnaissez que la politique économique de Macron ressemble fortement à celle que Fillon préconisait.

Non, je ne crois pas. Ses réformes sont timides. Les fameuses ordonnances sur le droit du travail ne sont qu’une version améliorée de la loi El Khomri. Qui plus est, sa politique est injuste : les plus aisés bénéficient d’une baisse des impôts tandis que ceux des plus faibles, notamment des retraités, augmentent. Avec la suppression de l’« exit tax », qui était un frein à la fraude fiscale, ça fait beaucoup ! Le candidat Macron avait promis de convertir la France à la mondialisation heureuse. Il avait même écrit un livre intitulé Révolution. On en est loin.

Sa politique néolibérale ne parvient pas à saisir l’angoisse culturelle et identitaire qui taraude les Français

Encore faudrait-il expliquer comment vous feriez des réformes plus radicales et plus justes !

Il faut rééquilibrer la sphère publique et la sphère privée, et en ce domaine Emmanuel Macron ne montre aucune ambition. Notre pays est le champion des prélèvements obligatoires et le gouvernement se contente de transférer les charges des uns vers les autres sans s’attaquer aux missions de l’État et à la dépense publique. Il l’a même augmentée en 2018 ! Peu d’ambition également pour lutter contre l’immigration illégale ou l’insécurité. Des sujets qu’Emmanuel Macron semble ignorer pour mieux mettre ses pas dans ceux de son prédécesseur. Des réformes plus justes ? La réforme des retraites est un bon exemple d’injustice. Emmanuel Macron choisit de paupériser les retraités au risque de remettre en cause, à terme, les principes de solidarité à la base de notre modèle social. Une réforme juste serait de ne pas faire des retraités des boucs émissaires, mais de constater comme tous les pays en Europe que la durée de la vie augmentant, la durée du temps de travail doit augmenter également pour garantir un niveau de retraite convenable. En fixant l’âge de la retraite à un peu plus de 64 ans, on préservera le niveau de vie de nos aînés.

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Quoi qu’il en soit, vous contestez l’efficacité de sa politique, pas ses fondements : baisse de la dépense publique et de la pression fiscale, recherche de la compétitivité. Pour vous comme pour lui, la mondialisation est une donnée à laquelle il faut s’adapter coûte que coûte. Pour reprendre une expression de Giscard, pensez-vous faire rêver avec une courbe de croissance ?

Certes, la droite s’est longtemps contentée de n’être que gestionnaire, mais François Fillon marchait sur ses deux jambes : souvenez-vous de son livre sur le totalitarisme islamique. Sortons de l’économisme ! L’erreur fondamentale d’Emmanuel Macron, comme d’une partie de la droite, part du préjugé que l’économie décide de tout, ou du moins de l’essentiel. Sa politique néolibérale ne parvient pas à saisir l’angoisse culturelle et identitaire qui taraude les Français, ainsi que tous les peuples occidentaux. En juillet 2017, lors du G20 à Hambourg, il a eu cette phrase stupéfiante, affirmant qu’on ne pouvait comprendre l’islamisme sans le réchauffement climatique ! Et quand M. Castaner, qui est un proche du président, compare le voile islamique aux fichus de nos grands-mères, cela révèle un problème d’appréhension du phénomène islamiste. En fait, Macron ignore la question essentielle de la politique qui est celle de la civilisation. Son logiciel ne lui permet pas de le faire.

Reprenez-vous à votre compte les critiques de « Macron l’Américain », qui l’accusent d’oublier notre héritage pour faire advenir la start-up nation ?

Je veux bien reprendre à mon compte l’expression de Régis Debray le qualifiant de « Gallo-Ricain ». Emmanuel Macron est fasciné par le modèle anglo-saxon, le multiculturalisme est son horizon. Il l’assume clairement lorsqu’il fait, à la tribune du Congrès américain, l’éloge de la société multiculturelle. Entre le multiculturalisme et la laïcité républicaine, il va falloir choisir. Les deux sont incompatibles, le séparatisme et le communautarisme, ça n’est pas la République ! Ensuite, il transforme sans le dire notre modèle de protection sociale. Il remet en cause deux principes clés : la solidarité entre les générations avec la paupérisation assumée des retraités, qui dégage la voie à un système de capitalisation ; l’universalité de la politique familiale, où Emmanuel Macron poursuit le remplacement des allocations familiales par des prestations sociales. En fragilisant les cadres sociaux protecteurs comme la famille et en pensant le succès collectif comme l’addition des seules réussites individuelles, il tend à aligner la France sur l’État providence anglo-saxon.

Il y a aussi la volonté de représenter le « nouveau monde ». Michéa parlait à propos de la gauche du « parti de demain ». Cette expression va comme un gant à Macron.

De fait, avec son jeune âge et sa volonté de faire apparaître sa propre démarche comme radicalement nouvelle, Emmanuel Macron a capté cette prétention à incarner l’avenir. En réalité, la gauche, sans le dire, avait fait sa double conversion : au capitalisme mondialisé et à l’individualisme radicalisé, avec en prime le multiculturalisme qui est la projection sociale de l’individualisme. Macron accomplit le Bad Godesberg que la gauche française n’avait jamais fait, en endossant cette ambition mondialiste sur le plan économique et culturel. « La France est un projet d’émancipation des individus », avait-il déclaré pendant la campagne. C’est précisément le programme de la gauche depuis qu’elle a renoncé à défendre la classe ouvrière, trop conservatrice à ses yeux.

Peut-être Macron accomplit-il le devenir historique de la gauche, mais il séduit quand même beaucoup de vos électeurs !

De moins en moins. Quelle nouveauté propose-t-il aux Français au xxie siècle ? Le progressisme, qui est une doctrine politique du xixe siècle ! Le macronisme, c’est Emmanuel Macron tout seul, comme l’a dit Marcel Gauchet. En clair, le macronisme est un narcissisme. On l’a vu pendant l’affaire Benalla où LREM, le parti présidentiel, a été évanescent. Un parti qui porte ses initiales, un projet qui se résume à sa personnalité, cela ne fait pas grand-chose…

Pour être réélu, Macron entend rendre l’alternance impossible

Entendre des gaullistes défendre le rôle des partis et du Parlement et dénoncer le pouvoir personnel cela ne manque pas de sel…

Je n’ai aucun problème avec la dimension verticale du pouvoir. C’est presque un pléonasme. En 1962, quand le général de Gaulle a fait adopter l’élection du président de la République au suffrage universel direct, c’était pour créer un lien personnel avec les Français. Mais son personnage conférait une dimension héroïque aux institutions de la Ve République, et son élection a renforcé cette dimension. De Gaulle pensait qu’il y a au cœur de la société française une sorte de place vacante. Certains diront que c’est celle du roi ; Claude Lefort considère que le pouvoir démocratique est vide, vacant, parce que la souveraineté populaire est une abstraction. Donc ce besoin d’incarnation est essentiel. Macron l’a d’autant mieux compris qu’il était bien placé pour analyser le naufrage de la « présidence normale » de Hollande. Il en a tiré les conséquences : de la cour du Louvre jusqu’à Versailles, il adore se mettre en scène en majesté.

Eh bien, c’est diablement vertical, non ?

Sauf que sa conception de la verticalité se heurte à deux limites : la première, c’est qu’il confond le nécessaire rétablissement de l’autorité de l’État avec l’exaltation de sa personnalité. La verticalité est positive, tout comme l’autorité de l’État, si elle est mise non pas au service d’un seul, mais de tous. Pour ceux qui vivent dans des quartiers difficiles et subissent l’insécurité au quotidien, la verticalité est comme suspendue dans le vide. Seconde limite, le président de la République confond verticalité et autoritarisme. Qu’il s’agisse des « fake news » ou de la révision constitutionnelle, l’idée est toujours d’affaiblir les contre-pouvoirs. Ajoutons que le président se distingue par un manichéisme exacerbé, par exemple quand il oppose le nouveau monde au vieux monde ou les bons Européens aux nationalistes.

De fait, l’opposition entre les souverainistes et les européistes existe !

Oui, mais ce ne sont pas des nationalistes. Romain Gary disait : « Le patriotisme c’est l’amour des siens, le nationalisme c’est la haine des autres. » Le choix des mots est important. Macron assimile presque les « forces de l’ancien monde » à l’anti-France. Pour lui, il y a les gens convenables et il y a les lépreux, il y a les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien. Je sais bien que le progressisme a toujours eu une prétention à la supériorité morale, mais là, cela devient une stratégie politique. Pour être réélu, Macron entend rendre l’alternance impossible en occupant tout l’espace central de façon à n’avoir que des oppositions périphériques et radicales.

Justement, quel espace reste-t-il à la droite ?

Dès lors que le néolibéralisme a fusionné avec le libéralisme culturel et économique, la gauche convertie au capitalisme mondialisé et la droite gestionnaire se sont rejointes. À charge pour la droite de sortir de l’apathie intellectuelle et de l’économisme. Nous devons porter un projet de civilisation parce que les grands sujets qui hantent les peuples aujourd’hui ne sont pas d’ordre matériel. En Autriche, en Allemagne ou ailleurs, le taux de chômage est très bas. Pourquoi y assiste-t-on à des insurrections électorales ? Pour être à la hauteur de l’enjeu, la droite doit porter à la fois une politique de liberté et une politique de civilisation.

Depuis la guerre, la droite est dominée intellectuellement et idéologiquement, tétanisée par la gauche

Les paroles ne suffisent plus ! Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?

La question de la civilisation, c’est notamment la question nationale, celle de l’État-nation.  Sans souveraineté, le pouvoir politique et la démocratie ne peuvent rien. Or, aujourd’hui, il y a de grandes institutions internationales et des mécanismes qui détournent les décisions populaires. Ce n’est pas uniquement une question de gouvernance politique, mais aussi une question de mode de vie à travers une limitation drastique de l’immigration, une lutte acharnée contre l’islamisme et le multiculturalisme.

Vous voulez sortir de l’Europe ? Première nouvelle ! Sinon, comment comptez-vous recouvrer notre souveraineté ?

Je ne veux pas faire sortir la France de l’Europe, mais faire sortir l’Europe du fédéralisme : contrairement à ce qu’avance Emmanuel Macron, il n’y a pas de souveraineté européenne dès lors que le pouvoir souverain réside dans la nation qui l’exerce à travers ses représentants. Je propose donc que les parlements nationaux soient étroitement associés aux décisions européennes, à travers, par exemple, un système de carton rouge : une majorité de parlements pourrait stopper l’examen d’une proposition de la Commission, si elle la juge contraire à l’intérêt des peuples européens. Force républicaine a fait 30 propositions concrètes comme celle-ci, qui dessinent l’Europe à laquelle nous croyons : l’Europe des nations, une « Europe européenne » comme disait le général de Gaulle.

Encore faudra-t-il expliquer pourquoi votre camp n’a pas fait tout cela quand il était au pouvoir…

Depuis la guerre, la droite est dominée intellectuellement et idéologiquement, tétanisée par la gauche. Elle a arrêté de penser, et s’est réfugiée dans une pratique gestionnaire, d’ailleurs assez piètre. À force de subir la foudre médiatique, notamment sur la question migratoire, elle a fini par baisser la tête et courber l’échine.

Des élements essentiels de la civilisation que vous prétendez défendre, comme notre langue, sont en péril. N’est-il pas temps d’assumer votre conservatisme au lieu de faire la course à la modernité ?

Disraeli l’avait parfaitement résumé : « Réformer ce qu’il faut, conserver ce qui vaut. » Tout est dit. À la base de la politique de civilisation que la droite doit assumer, il y a une vision anthropologique. Le propre du progressisme est de croire que tout est possible. Or, la liberté que je défends est enracinée et porte une vision anthropologique qui est d’abord une éthique de la limite – tout n’est pas possible. La condition humaine n’est pas sans condition et doit résister à l’empire de la technique, à la « civilisation des machines », comme disait Bernanos. Les limites sont nécessaires quand on exploite jusqu’à la détruire notre planète, elles le sont pour le marché, parce que tout n’est pas marchandise. Enfin, la rhétorique de plus en plus radicale des droits individuels doit aussi accepter une limitation pour s’accorder au bien commun.

Toute une frange des Républicains ne se retrouve pas dans ce credo. Pourquoi restez-vous dans le même parti ?

Si on veut être chimiquement très purs, demain on se retrouvera dans une cabine téléphonique ! Au cours de la primaire, 4 millions d’électeurs de la droite et du centre ont convergé sur ce que proposait François Fillon autour de la liberté, de l’autorité de l’État et des valeurs. C’était l’équation gagnante. On peut encore rassembler bien au-delà des seuls Républicains autour de ce socle.

Si vous en êtes convaincu… En attendant ce grand soir conservateur, n’en avez-vous pas trop fait autour de l’affaire Benalla qui est de la petite bière par rapport aux scandales du gaullo-pompidolisme et du mitterrandisme ?

Non. C’est le pouvoir lui-même qui a amplifié l’affaire avec ses rétropédalages et ses silences gênés. J’ai été stupéfait par le discours d’Emmanuel Macron à la Maison de l’Amérique latine. Lui qui souhaite incarner la fonction présidentielle s’abaisse à dire que Benalla n’est pas son amant et lance à l’opposition ce ridicule : « Qu’ils viennent me chercher ! » Tout cela n’est guère vertical… Dans ce contexte, les oppositions se sont retrouvées pour faire bloc. Évidemment, la Ve République en a connu d’autres. Ceci étant, contrairement à ce qu’a dit le pouvoir, l’affaire Benalla n’est pas une simple dérive personnelle. Qu’un tel personnage ait pu accéder au premier cercle de la sécurité du président, c’est un manque de discernement pour celui qui l’a recruté. Et cela pose aussi le problème d’une forme de privatisation de la sécurité de la présidence qui relève de la sécurité nationale.

Rien de nouveau sous le pouvoir : il y a toujours eu des favoris, des phénomènes de cour et des rêves d’autonomie élyséenne !

L’étendard d’Emmanuel Macron, c’était la transformation de la vie politique dans le sens de la vertu. Or, dans son interview au Monde, Benalla mange le morceau en expliquant que l’important, c’est la proximité qu’on vous prête avec le président de la République. Comme l’a écrit Jacques Julliard, c’est le règne du bon plaisir. Il n’y a peut-être pas mort d’homme mais en ce cas, on ne se prétend pas moralement supérieur à tout le monde. L’affaire Benalla, c’est la fin du nouveau monde.

Septembre 2018 - Causeur #60

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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