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Cantat, Weinstein, #balancetonporc : la semaine de la haine


Cantat, Weinstein, #balancetonporc : la semaine de la haine
Harvey Weinstein (à gauche), le tweet qui a inauguré le hashtag #balancetonporc sur Twitter (au centre) et Bertrand Cantat (à droite). SIPA. 00639880_000008 / AP22117673_000002

Weinstein, Cantat, #balancetonporc : les violences faites aux femmes sont intolérables, mais ce n’est pas à la rue de rendre justice


Bertrand Cantat n’est pas un assassin, car les mots ont un sens. Mais c’est un imposteur. Son retour à la scène musicale a bénéficié d’un plan média minutieusement organisé dont les différentes déclinaisons l’établissent d’indiscutable façon.

Je connaissais très mal le groupe « Noir Désir » d’avant le drame de Vilnius. Il me semblait avoir compris que nous avions affaire à des rebelles autoproclamés, installés sur la niche politique d’un gauchisme vague et confortable, leur permettant de donner force leçons à cette jeunesse qui leur faisait confiance. Les violences mortelles infligées à Marie Trintignant par Bertrand Cantat, me plongèrent dans la stupéfaction, autant pour la disparition de Marie que j’avais eue l’occasion de croiser dans le passé, que par l’incohérence du comportement du héros d’une partie de la jeunesse. Comment avait-il pu à ce point la trahir, à ce point lui mentir ?

L’indécence de Bertrand Cantat

Entouré du soutien de ses amis du groupe musical, et du dévouement assez admirable de sa première épouse, il avait cependant adopté une défense de déni, passablement piteuse. Après une procédure régulière, condamné à huit ans de détention, et autorisé à effectuer sa peine en France, il avait ensuite bénéficié d’une libération anticipée régulière, accordée par le juge d’application des peines. Bertrand Cantat pouvait être alors considéré comme quitte de sa faute pénale, tant vis-à-vis de la société que vis-à-vis des victimes. Qu’en était-il de sa faute morale ?

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Le suicide postérieur de son épouse avec qui il vivait, le plongeait à nouveau dans la tragédie et jetait sur le personnage une ombre assez trouble. Mais ce sont les conditions de ce retour qui démontrent que nous avons affaire à un imposteur. En tuant Marie Trintignant, il a trahi la confiance et l’admiration de tous ceux qui écoutaient sa musique, achetaient ses disques et se pressaient à ses concerts. Il est moralement disqualifié pour continuer à nous donner des leçons. Or le premier acte de ce retour a été de mettre à la disposition du public le premier morceau de son nouvel album. Dont le texte reprend sans vergogne le ton et le style d’imprécations d’avant Vilnius.

Bertrand Cantat crache sur les couches populaires britanniques qui, à l’encontre de leurs élites et accablées par l’austérité, ont choisi le Brexit. Et il les somme, il nous somme de donner la priorité à « ses pauvres à lui », ignobles égoïstes que nous sommes. Mépris social et instrumentalisation de la misère des migrants, ce ne sont pas les scrupules qui étouffent celui qui est désormais occupé à une seule tâche, reconstruire la statue du professeur de morale, pulvérisée par la mort donnée à Marie Trintignant. La couverture des Inrocks, n’est qu’une pièce de ce dispositif obscène.

Perpète sur le plan moral

C’est pourtant elle qui a provoqué un déchaînement finalement assez terrifiant. De façon explosive, les réseaux, la presse, jusqu’au ministre se sont précipité sur Cantat avec un seul cri « haro sur l’assassin ». Remettant sans cesse en cause la partie judiciaire du dossier, foulant aux pieds tous les principes, appelant à la répression, hurlant à la mort, la cause de l’indispensable lutte contre les violences faites aux femmes, a montré avec le visage de la meute, sa face la plus laide. Certaines de ces dérives sont plus qu’inquiétantes.

Sur le plan judiciaire répétons-le, Bertrand Cantat est quitte. Sur le plan moral ce sera probablement perpète. Il avait donné l’impression lors de son premier retour musical qu’il pouvait prendre le chemin de la rédemption (morale) avec sa chanson Droit dans le soleil. À la fois belle, sombre et maladroite, elle était l’acte de celui qui essayait de nous dire quelque chose de la tragédie. Occasion manquée, maintenant c’est trop tard.

Weinstein: Oscar de l’hypocrisie à Barack Obama

La grande semaine de la haine ne s’est pas contentée de passer Bertrand Cantat à la moulinette : Harvey Weinstein a eu droit lui aussi à son traitement de faveur. Mais en mode planétaire, comme DSK. Si j’ai bien compris l’histoire de ce personnage dont je n’avais jamais entendu parler auparavant, il s’agit d’un producteur surpuissant d’Hollywood, capable de faire la pluie et le beau temps dans cette industrie dont chacun sait bien sûr qu’elle est le royaume de la douceur, du désintéressement et de la probité. Il semble qu’Harvey Weinstein avait une conception des rapports avec les femmes assez éloignée du modèle de l’amour courtois. Et comme il avait apparemment un pouvoir de vie et de mort sur les carrières dans ce monde du cinéma, les paroles ne se libèrent que maintenant qu’il est à terre, pour dire qu’il en abusait.

Le reproche qui est fait à celles qui parlent aujourd’hui de ne le faire que tardivement est absolument irrecevable. Personne parmi ces jeunes femmes n’avait les moyens de briser l’omerta, et de se promettre ainsi à une mort professionnelle, voire une mort civile tout court. C’est qu’il était puissant, très puissant le producteur. Régentant Hollywood, il était capable de le mobiliser pour faire attribuer un oscar à un film français en noir et blanc sans intérêt, mais surtout de l’activer au profit du camp démocrate américain. À chaque campagne affluaient les millions de dollars, et les prises de position des stars, en faveur qui d’Obama, qui d’Hillary Clinton.

Ce qui pose une question directement politique au-delà de celle du harcèlement sexuel insupportable subi par les femmes : tout le monde savait, et tout le monde en profitait. Le spectacle auquel on assiste est assez hallucinant, où l’on voit celui à qui on passait la main dans le dos ou claquait la bise, balancé par-dessus bord. Harvey Weinstein est devenu un bouc émissaire. De tous ses amis, de ceux qui lui mangeaient dans la main, c’est à qui le piétinera, lui plantera des couteaux dans le dos, se précipitera pour en rajouter. Et dans le même temps, on nettoie Google des photos compromettantes. Deux mentions spéciales, d’abord pour Barack Obama, homme le mieux informé du monde pendant son mandat, qui donc savait tout, et qui aujourd’hui avec son épouse, prend des pincettes et traite l’ami déchu de « dégoûtant ». L’Elysée ensuite, qui se précipite pour avertir les gazettes que Jupiter a saisi la chancellerie de la Légion d’honneur pour que la décoration remise au monstre lui soit retirée. Attendre d’en savoir plus ? Faire confiance à la Justice ? Ne pas en rajouter ? Garder son calme et sa dignité ? Et puis quoi encore.

Tout n’est pas bon dans le cochon

Car cette affaire, deuxième épisode de la grande semaine de la haine, pose aussi le rapport au droit et à la justice. Dans l’affaire Cantat, la clameur refuse de prendre en compte et de respecter une décision de justice déjà rendue. Dans l’affaire Weinstein, la même clameur refuse de s’en remettre aux procédures judiciaires engagées contre le producteur. La Roche Tarpéienne étant toujours très près du Capitole, celui-ci prend de plein fouet, un lynchage médiatique géant. Aucune contradiction possible, aucun débat, aucune discussion, Harvey Weinstein doit comprendre le sens du mot solitude. Encore plus grave, sous prétexte du nécessaire débat et du nécessaire traitement politique du harcèlement sexuel dans les organisations quelles qu’elles soient, on voit fleurir et se répandre des appels à la délation desquels émane un drôle de fumet. Soutenu par France Télévisions, le fameux hashtag #balancetonporc se répand comme une inondation sur les réseaux. Charriant avec elle, la haine, le ressentiment, l’amertume, le mensonge, une androphobie compulsive, dont rien de bon ne pourra sortir.

Les violences faites aux femmes, et le harcèlement sexuel sont deux questions essentielles. Politiques sociales et sociétales, elles doivent faire l’objet d’un traitement collectif, dans le cadre d’un débat qui ne soit pas manipulé dans l’hystérie médiatique, comme on l’avait vu par exemple de façon criante dans l’affaire Sauvage où le mensonge a triomphé. Cela s’appelle le fonctionnement d’une société démocratique.

Quant à la responsabilité personnelle des individus, c’est à la justice de faire son boulot, dans le respect de ses règles. Cela s’appelle aussi le fonctionnement d’une société démocratique.



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