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Terrorisme: le procureur Molins noie-t-il le poison?


Terrorisme: le procureur Molins noie-t-il le poison?

Comme tout magistrat, le procureur de Paris François Molins a raison d’être prudent et méticuleux. Mais en pleine guerre contre Daech, est-il bien raisonnable de cacher la forêt djihadiste derrière l’arbre des détails techniques et des précautions oratoires?

François Molins, procureur de la République de Paris, est un rempart contre le terrorisme islamiste. L’homme a été chargé des dossiers d’instruction sur les attaques commises en mars 2012 par Mohammed Merah à Toulouse et Montauban, Charlie Hebdo en janvier 2015 à Paris, les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice, l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray le 26 juillet 2016 et l’attentat du 20 avril 2017 sur l’avenue des Champs-Élysées, et des dizaines de dossiers moins spectaculaires. C’est lui qui a durci « considérablement sa politique pénale en criminalisant des dossiers correctionnels[tooltips content=’« Lutte contre le terrorisme : François Molins annonce des peines plus dures pour les complices », Marianne, le 2 septembre 2016.’]1[/tooltips] ». Chaque délit lié au terrorisme, auparavant passible de dix ans de prison, est désormais considéré comme un crime pouvant entraîner une peine de vingt à trente ans derrière les barreaux. François Molins n’a rien d’un agent de la soumission.

Molins a été aguerri par l’affaire Zyed et Bouna: il sait l’opprobre médiatique que l’on encourt à être accusé de défendre la police contre les « jeunes » des banlieues

Mais François Molins est aussi à l’image de la justice en France : plus soucieux de coller aux courants politiques et idéologiques dominants que de construire une jurisprudence sur le respect des grands principes républicains comme le droit à la sécurité, le droit à la liberté d’expression ou le droit au blasphème. François Molins a été aguerri par l’affaire Zyed et Bouna et sait l’opprobre médiatique que l’on encourt à être accusé de défendre la police contre les « jeunes » des banlieues. Plus question pour lui de donner prise au CCIF (Collectif contre l’islamophobie) ou aux grandes associations antiracistes qui pourraient lui accoler l’infamante étiquette d’« islamophobe ».

Le patron du parquet de Paris jette donc un œil bienveillant sur les dossiers que le CCIF et les grandes associations antiracistes, musulmanes ou non, sans parler des groupuscules islamistes ou propalestiniens portent à son attention. À la demande du Collectif contre l’islamophobie (CCIF) proche des Frères musulmans, il a donc prestement ouvert un dossier d’instruction accusant de racisme l’historien Georges Bensoussan. Et après que ce dernier a été relaxé, c’est le parquet qui a fait appel. Il a aussi laissé un procès contre Éric Zemmour s’ouvrir à l’initiative du groupuscule Capjpo-Europalestine. Entre autres.

Un procureur très attentif… à sa carrière

François Molins n’est pas antisémite, mais laisser des juifs pointer du doigt l’antisémitisme musulman lui apparaît comme un facteur de risque polémique et médiatique, c’est-à-dire un risque politique dangereux. Dangereux pour le ministre et donc dangereux pour sa carrière. Il peut dès lors sans vergogne affirmer aux représentants de la communauté juive qui lui expriment leur émotion face à la défenestration de Sarah Halimi par un islamiste hurlant « allah ouakbar » que « rien ne permet de retenir le caractère antisémite » de cet acte, même si « rien ne permet de l’exclure[tooltips content=’« Affaire Sarah Halimi-Attal : François Molins chargé de l’enquête », Tribune Juive, le 7 avril 2017′]2[/tooltips]». François Molins peut aussi expliquer aux mêmes représentants de la communauté juive que « l’enquête en cours a pour but de parvenir à la manifestation de la vérité et déterminer si la circonstance antisémite doit être retenue[tooltips content=’Opus cit.’]3[/tooltips]», mais quand il place le présumé coupable en hôpital psychiatrique et non en prison, il opte clairement pour l’acte déséquilibré et non le crime antisémite de sang-froid.

Et l’omerta médiatique sur le meurtre de Sarah Halimi le conforte dans son choix. La presse ne s’est pas indignée que Sarah Halimi soit assassinée par un islamiste, ni que son assassin soit relégué en psychiatrie plutôt qu’en prison ; tout comme elle a validé sans broncher que l’historien Georges Bensoussan puisse avoir été surpris à proférer des déclarations racistes et que le traîner en justice pour racisme anti-arabe et antimusulman n’avait rien d’attentatoire ni à la liberté individuelle ni à la liberté d’expression.

15 000 musulmans et convertis fichés S

L’usage que François Molins fait des médias souligne la finesse de son sens politique. Il ne sature pas indument l’espace médiatique et n’apparaît à la télévision que dans le cadre de ses fonctions, pour contextualiser un attentat. Dans la presse, il distribue des interviews avec parcimonie. La moindre de ses déclarations est désirée et suffisamment technique pour ne pas susciter la jalousie du ministre de la Justice. Il est qualifié par la presse de « super-proc » et par ses anciens collègues de « grand procureur » ou de « grand professionnel ».

François Molins est d’autant plus respecté par les médias qu’il prend le terrorisme au sérieux : en septembre 2016, il déclarait que « 982 personnes font ou ont fait l’objet d’enquêtes judiciaires pour du terrorisme islamiste : 280 sont aujourd’hui mises en examen, dont 167 sont en détention, et 577 font l’objet d’un mandat de recherche ou d’un mandat d’arrêt[tooltips content=’T« Emprisonner les fichés « S » : François Molins recadre sévèrement les candidats de droite », Les Échos, le 2 septembre 2016.’]4[/tooltips]». Les moyens de la justice antiterroriste ont bien légitimement été renforcés : 13 magistrats, contre 7 avant les attentats de janvier 2015, et une liste de 61 magistrats mobilisables à tout instant. Molins sait aussi que plus de 15 000 musulmans et convertis sont fichés S et représentent une armée djihadiste de réserve considérable.

Une politique de déni

François Molins pénalise donc l’action terroriste avec constance, tout en étant au diapason des politiques. Notre procureur a parfaitement compris qu’il n’était pas opportun de reconnaître – et encore moins de dire – qu’une authentique armée de tueurs islamistes mène une guerre depuis plusieurs années sur le territoire national.

N’étant pas en position de poser la question de la guerre et de l’ennemi, François Molins incarne bien logiquement la partition complémentaire, celle du déni. À chaque surenchère de la terreur, il nie la continuité d’un acte à l’autre, d’un pays à l’autre et évite que chaque agression soit perçue comme liée à un tout : à l’en croire, les actes de terrorisme sont toujours des actes d’isolé, de loup solitaire, de déséquilibré, de radicalisé de la dernière minute… Le dernier en date étant un islamiste « néophyte ».

François Molins ne s’énerve jamais (du moins en public). Mais en septembre 2016, il a presque perdu son sang-froid quand les députés de droite Éric Ciotti, Laurent Wauquiez… ont émis l’idée de placer en détention préventive les individus fichés « S » par les services de renseignement. Il a brandi alors les grands principes du droit : « Il ne peut y avoir de détention préventive en dehors d’une procédure pénale. C’est le socle de l’État de droit. On ne peut pas détenir quelqu’un avant qu’il ait commis une infraction.[tooltips content=’Opus cit.’]5[/tooltips]»

Ne troublez pas l’ordre social…

Pas question non plus qu’une « cour de sûreté antiterroriste » – idée émise par l’ex-président Nicolas Sarkozy – applique une justice spéciale avec par exemple des règles différentes en matière de présomption d’innocence. L’affaire serait « contraire aux principes de la Convention européenne des droits de l’Homme[tooltips content=’TOpus cit.’]6[/tooltips]», explique François Molins.

Si on n’est pas en guerre, si le terrorisme islamiste ne relève que d’actes individuels commis par une collection d’individus débiles ou sociopathes, les tenants de mesures sécuritaires collectives, autrement dit de mesures de guerre, deviennent alors des ennemis de l’ordre social. Des quasi-terroristes.

Chaque fois que ces trublions émettront l’idée de sauver préventivement leur peau, et celles de leurs compatriotes, ils se heurteront à un François Molins intraitable et certainement vindicatif.

À bon entendeur…

Été 2017 - #48

Article extrait du Magazine Causeur




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