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Cristina Kirchner, l’Argentine et les juges


Cristina Kirchner, l’Argentine et les juges
Cristina Kirchner s'adresse aux médias après une audition devant les juges, octobre 2016. SIPA. 00779164_000002
Cristina Kirchner s'adresse aux médias après une audition devant les juges, octobre 2016. SIPA. 00779164_000002

L’Argentine est une grande nation. Étendue comme quatre fois la France, elle regorge de vignobles fertiles et produit des viandes rouges parmi les plus savoureuses au monde. Elle a engendré Diego Maradona, Lionel Messi, des prodiges du football qu’on ne présente plus, mais aussi des écrivains: Jorge Luis Borges ou Julio Cortázar, sans oublier Ernesto Sábato et son très bon roman Le tunnel. Du génie donc, et des hommes politiques. Qui sont parfois des femmes. Et qui, au moins, on le mérite de faire parler. Pas toujours de façon très cordiale, certes, et en y venant même parfois aux mains… Dans un pays où le jeu politique passionne autant que celui du ballon rond et où voter est obligatoire, il est une personnalité qui laisse encore moins indifférent que les autres : Cristina Kirchner. Au-delà du nouveau scandale de corruption qui la vise, l’ancienne présidente reste une femme qui divise.

Un Kirchner peut en cacher une autre

Retour en décembre 2001. En réaction au septième plan d’austérité imposé au pays qui refuse de payer sa lourde dette, les Argentins descendent dans la rue. Émeutes, pillages, balles en caoutchouc puis… balles réelles : trente-six morts en deux jours. La situation est chaotique. Le président Fernando de la Rua est obligé de fuir le palais présidentiel en hélicoptère. Puis ce ne sont pas moins de cinq présidents qui se succèdent en deux semaines. En mai 2003, un homme sorti de nulle part prend la tête du pays qu’il promet de « sortir de l’enfer ». Il s’appelle Nestor Kirchner. Tandis que la dette atteint les 160 % du PIB, le chômage avoisine, lui, les 20 %. Nestor fait alors tout le contraire de ce que préconise le FMI. Il favorise un accroissement des aides sociales et des dépenses publiques et met en place un redressement économique aux accents keynésiens. Couplé au développement du soja transgénique,  les résultats ne se font pas attendre : la croissance du pays remonte en flèche, et sera de 9 % par an jusqu’à sa mort en 2007. Du haut de son 1m88, le grand Nestor peut reposer en paix : il a tenu parole. Son épouse Cristina, séduisante quinquagénaire – qui n’a pas encore abusé du Botox – prend  les rênes du pouvoir, qu’elle conduit dans la lignée de son défunt mari.

C’est l’époque où se dresse l’étendard d’un espoir, celui d’une alternative au modèle néolibéral sud-américain. Si le kirchnérisme est plus réformateur que révolutionnaire, il s’inscrit dans la lignée des changements de cap que connaît alors l’Amérique latine. Cristina va donc faire des mamours à Chavez pour soutenir sa candidature. Se laisse étreindre paternellement par Lula – l’ancien président du Brésil. Rencontre chaleureusement Evo Morales, le président de gauche de la Bolivie. Sans oublier d’embrasser Michelle Bachelet, présidente de gauche du Chili de 2006 à 2010 et à nouveau depuis 2014. En 2011, Cristina est même réélue haut la main avec 53 % des suffrages exprimés au premier tour.

La fin d’un cycle 

La même année cependant, l’alternative sud-américaine au modèle néolibéral commence à avoir un peu moins le vent en poupe. Lula doit quitter la tête du Brésil, laissant sa place à une Dilma Rousseff moins charismatique. Deux ans après, c’est Chavez – à qui l’Argentine doit notamment un fort soutien financier lorsqu’elle était sans le sou – qui s’éteint – Cristina ne manquera pas de se placer au premier rang lors de ses obsèques. Et la même année, des critiques viennent même d’Uruguay: « Pepe » Mujica, le président le plus simple au monde attaque la belle : « cette bonne femme est pire que le borgne », lance-t-il – le borgne étant Nestor Kirchner, qui souffrait d’un strabisme. Survient alors une mini-crise diplomatique entre les deux voisins « amis ».

Pendant ce temps-là en Argentine, la croissance devient fragile. A quoi s’ajoute une inflation très sous-estimée par les taux officiels. Les fins de mois des Argentins sont de plus en plus longues. Et un bureaucratisme kirchnériste s’est confortablement substitué à celui des années Carlos Menem – président de droite de 1989 à 1999. De plus, le style de plus en plus autocratique de Doña Kirchner agace les Argentins : outre occuper l’espace télévisuel lors de sermons interminables, cette excellente oratrice rend gratuite – par pure démagogie – la retransmission du saint football à la télé, moyennant quoi les Argentins sont forcés de se coltiner les slogans de propagande du gouvernement au bas de  leur écran au beau milieu des exploits de leurs protégés de Boca Juniors ou River Plate. Bien installée, la prêtresse cherchera à faire modifier la constitution pour briguer un troisième mandat. Mais ça ne marchera pas : en décembre 2015, elle doit laisser son trône. Malgré une popularité oscillant entre 40 et 50 %. Car si certains Argentins l’adorent, beaucoup d’autres la détestent.

La Patagonie, terre du bout du monde et des magouilles en famille

Si Cristina aime le pouvoir, elle aime aussi l’argent. Propriétaire d’une grande maison  à El Calafate, charmant village de Patagonie, contrée légendaire qui fascina Jules Verne, elle y gère des hôtels de luxe avec son fiston Maximo. Projets fictifs de travaux publics, falsifications de documents, butins présumés cachés aux quatre coins de l’immense province, les dessous des affaires immobilières de la famille Kirchner sont loin d’être transparents. C’est l’objet de sa nouvelle inculpation : l’ancienne chef d’Etat aurait favorisé l’un de ses proches pour un marché de travaux publics dans sa province patagonienne. Mais les soupçons de corruption ne se cantonnent pas qu’à l’immobilier. L’ancienne souveraine est aussi accusée d’avoir spéculé sur les taux de change, et son nom apparaît dans l’affaire des « Panama papers ». Sans compter la sordide affaire Nisman, ce procureur étrangement retrouvé mort par balle alors qu’il s’apprêtait à accuser la dame d’avoir couvert les responsables iraniens de l’attentat antisémite de 1994 qui fit 84 victimes à Buenos Aires. L’enquête a été rouverte par la justice il y a 4 jours, Madame Kirchner est accusée d’avoir empêché de faire la lumière sur ce sanglant attentat pour préserver les intérêts commerciaux de l’Argentine avec l’Iran.

La politique est un sport de combat

Pour les affaires de spéculation et d’immobilier dont elle fait actuellement l’objet – et ceci depuis la fin de son immunité cette année – l’ancienne impératrice troque volontiers ses petits gants de soie pour des gants de boxe. Elle récuse fermement les accusations dont elle et sa famille font l’objet et… contre-attaque : elle accuse à son tour l’actuel président Mauricio Macri d’orchestrer une machination pour occulter les « vrais problèmes de la société argentine », agite le spectre d’un retour de la dictature argentine, ironise volontiers sur le fait d’être taxée de populiste par ses adversaires. Elle sait parer les coups, en rendre aussi, se protéger du KO. Mais pour combien de temps encore ? Car si elle dispose de soutiens encore entièrement acquis à sa personne, sa popularité a chuté : elle est maintenant de 30 %. Cela ne semble guère importer à Cristina. Têtue comme une mule, elle envisage même de se présenter au Sénat.

Dans le même temps, Mauricio Macri ne traîne pour l’heure aucune casserole – même si son nom est cité, au milieu de nombreux autres, dans l’affaire des « Panamas papers » – et peut encore se targuer de 45 % d’opinions positives. Mais est-ce suffisant pour rassembler le pays ? A peine six mois après son investiture, des manifestations ont eu lieu cet été contre sa politique d’austérité. Il faut dire qu’il a fait fort : trois mois seulement après son arrivée, 100 000 argentins de plus étaient au chômage et  1,4 millions d’autres basculaient sous le seuil de pauvreté. Sur l’inflation également, Macri fait encore mieux que Doña Kirchner: 40% en 2016 ! Quant à la croissance elle n’est plus : le pays est à nouveau en récession. De quoi concéder qu’avec Cristina, ça ne marchait pas si mal ? Pas du tout, bien au contraire : pour Macri, tout est de la faute des Kirchner : à l’instar des autres ruptures symboliques incarnées par Chavez au Venezuela, Lula au Brésil ou Morales en Bolivie, les années Cristina Kirchner pâtissent d’une mauvaise image de gestion économique du pays. Les Argentins prennent donc leur mal en patience. En attendant des lendemains qui chantent, ils pourront suivre avec passion la suite du match entre la dame et les juges. Si l’accusée n’est pas dans une posture des plus favorables, elle peut encore compter sur les encouragements de ses supporters. En Argentine et en Amérique latine mais aussi… chez nous en France, où elle jouit d’un soutien de poids (!) : celui de François Hollande, qui semble lui aussi avoir succombé à son charme…

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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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