Accueil Politique « La vraie trahison, c’est celle de Sarkozy »

« La vraie trahison, c’est celle de Sarkozy »


« La vraie trahison, c’est celle de Sarkozy »
Patrick Buisson, par Hannah Assouline.
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Patrick Buisson, par Hannah Assouline.

Propos recueillis par Daoud Boughezala, Élisabeth Lévy et Gil Mihaely

Causeur. Nous allons nous parler franchement. Comme beaucoup de gens, nous trouvons votre livre passionnant et profond parce qu’il parle de la France et du pouvoir avec beaucoup de culture et d’intelligence, mais il n’en est pas moins le fruit d’une trahison…

Patrick Buisson. Oui, c’est certain ! Sans la trahison de Sarkozy à mon endroit, ce livre n’existerait pas !

C’est de l’humour ? Vous êtes dépité parce que Nicolas Sarkozy, au moment de l’affaire des enregistrements, vous a congédié sans vous écouter. Alors d’accord, on doit toujours respecter les droits de la défense et il aurait dû vous entendre. Mais de là à prétendre que vous êtes l’offensé, c’est un peu exagéré ! Vous avez enregistré à son insu l’homme que vous étiez supposé servir, et au passage tous ceux qui travaillaient avec lui, comment ne se seraient-ils pas sentis trahis ?

Ce qu’il y a d’étonnant dans cette affaire, c’est que les vieilles méthodes de basse police utilisées pour salir les gêneurs sont toujours aussi efficaces. Ce fichier m’a été volé. Par qui et pourquoi ? Personne ne se pose la question. Le scandale n’est pas là mais dans l’usage que j’aurais pu en faire. Cela s’appelle un procès d’intention. Pour le reste, je n’étais ni fonctionnaire ni élu, mais un prestataire de services. Être à l’écart du chaudron élyséen était pour moi une garantie d’indépendance… et de clairvoyance. C’était à moi de juger des meilleurs moyens d’accomplir ma mission. J’avais une obligation de résultats, pas de moyens.

Avoir l’influence sans le titre, cela a l’air très noble, mais c’est aussi une façon d’exercer le pouvoir sans en subir les contraintes.

Et sans bénéficier non plus des protections que le pouvoir procure ! Si j’avais été en poste à l’Élysée, ce qu’on a appelé l’affaire des sondages n’aurait jamais existé. En grand serviteur de l’État, Philippe Séguin avait proposé que ce type de dépenses relève d’une liste civile du président de la République non soumise au contrôle de la Cour des comptes. Je n’ai eu connaissance du refus invraisemblable que lui a opposé Sarkozy qu’à travers les pièces de l’instruction. L’eussé-je su à l’époque que j’aurais renoncé sur-le-champ à ma mission. La trahison de Sarkozy à mon endroit est là tout entière : un homme d’État couvre ses collaborateurs, il ne les expose pas pour se protéger et se dédouaner. D’autant que l’article 67 de la Constitution lui assurait l’immunité pour tous les actes accomplis dans l’exercice de sa charge.

Revenons aux enregistrements. À quoi étaient-ils destinés ?

La vérité, c’est que je n’avais pas le choix. Dès la première réunion, Nicolas Sarkozy m’a institué à la fois comme son conseiller stratégique et comme le chroniqueur de son quinquennat. Il voulait prendre la pose pour l’Histoire. Il fallait donc que je resitue à chaque réunion, dans ce cadre-là.

C’est ce que vous avez voulu entendre ! Il n’y a pas eu un ordre de mission…

Sans doute, mais je le comprends dans la seconde même ! Et il ne cesse de m’encourager dans cet emploi. Il me place en face de lui dans le Salon vert, me donne la parole en premier, dans ses réunions, je parle les deux tiers du temps quand tous les autres prennent des notes ou posent leurs téléphones sur la table. Catherine Pégard remplit des carnets de moleskine entiers, à tel point que Sarkozy s’en alarmera au moment où il voudra la virer ![access capability= »lire_inedits »] Je suis le seul à ne rien pouvoir noter. Or c’est à moi qu’il incombe, dans les heures qui suivent la réunion, de faire face aux demandes impulsives et compulsives d’un président qui me sollicite à tout propos et à tout moment par téléphone. Je ne pouvais évidemment pas divulguer ce que j’entendais à une tierce personne. Nul n’a donc eu accès aux documents écrits ou sonores que je détenais. Sauf la personne qui me les a volés. Et c’est bien là la seule faute que je suis prêt à admettre.

En ce cas, pourquoi n’avoir pas, vous aussi, posé votre Dictaphone sur la table ?

Je ne me suis pas, un seul instant, posé la question. Poser un magnétophone sur une table inhibe toute conversation. Pour que je puisse accomplir ma mission, il fallait que les échanges se déroulent librement, sans paroles contraintes. Y compris avec la violence verbale et la vulgarité dont Sarkozy était coutumier, puisque c’est cela précisément qu’il me fallait désamorcer à travers mes préconisations.

Vous ne le demandez pas parce que vous pensez qu’il refusera de laisser une trace de « sa violence verbale et de sa vulgarité » : n’est-ce pas la définition même d’une trahison ?

Vous recourez à un vocabulaire moral qui est proprement impolitique et que vous stigmatisez, par ailleurs, à travers l’usage qu’en fait la bien-pensance de gauche. Croyez-vous que les centaines de pages des verbatim de Mitterrand soient directement sorties de la mémoire de Jacques Attali ? Auquel cas, celle-ci devait être phénoménale. Ne percevez-vous pas comme une légère différence entre le sort qui lui est fait et le traitement qu’on m’inflige ? Cette disparité ne vous trouble-t-elle pas ?

Vous pouvez le répéter, nous ne tomberons pas d’accord. Mais nous ne sommes pas là pour vous juger…

J’ai appris, comme vous aussi il me semble, à me méfier des professeurs de vertu dont la morale ne vaut jamais pour eux mais toujours pour les autres. Mes prédécesseurs à l’Élysée, dont il est de bon goût aujourd’hui de vanter les mérites, ont bénéficié pendant vingt ans, sous Mitterrand puis sous Chirac, des fonds secrets et des valises de billets pour régler tout à la fois les sondages et leurs honoraires. Jean-Marc Lech de l’institut Ipsos en a même fait l’aveu dans un livre, sans être inquiété le moins du monde. Et c’est moi qui ai mis fin à ce système en exigeant d’être payé sur facture qui me retrouve devant un juge ! Il y a de quoi l’avoir saumâtre, non ? En réalité, à travers ces deux pseudo-affaires, on veut me faire payer le péché capital de la transgression : avoir été là où je ne devais pas être et avoir réussi à installer la centralité du thème de l’identité dans le débat politique. Pour ce crime inexpiable et imprescriptible, le châtiment doit être sans limites. Quant à Sarkozy, il a choisi de valider l’interprétation des médias sur l’usage malveillant que j’aurais pu faire de ces enregistrements pour une seule raison : on y entendait Carla Bruni parler argent et contrats. Ce qui reflétait parfaitement l’ordinaire de la conversation du couple.

Mais enfin, vous avez lu Machiavel et vous savez que la politique n’est pas un dîner de gala. Vous ne comprenez pas qu’on pense à une assurance-vie ? Vous n’en rajoutez pas dans la vertu outragée ?

Non, cela me révolte que Sarkozy se jette sur l’interprétation la plus indigne sans même vouloir m’entendre ni même exiger l’explication à laquelle il avait droit. Ce qui aurait dû être la moindre des choses eu égard aux éminents services que je lui avais rendus et qu’il a bien voulu reconnaître dans un discours public, même s’il s’emploie aujourd’hui à essayer de les minimiser. La vraie trahison, c’est celle de Sarkozy à l’égard de son électorat, surtout après son mariage avec Carla Bruni. Or son « Moi, je ne vous trahirai pas » avait marqué toute la campagne ! À tous les procureurs et autres commissaires politiques, je demande de réserver leur jugement le temps que la lumière soit faite sur toutes les turpitudes du sarkozysme. Et à vous aussi.

D’accord, mais la Cour des comptes à l’Élysée, le yacht de Bolloré, c’est le début du quinquennat. Pourquoi être resté ?

Effectivement, je me suis posé très vite la question de mon utilité. À vrai dire, j’ai longtemps espéré qu’une « grâce d’État » vienne relayer l’état de grâce des premiers mois, que le président élu prenne en charge le bien commun non pas dans l’oubli de soi – je n’étais pas naïf à ce point –, mais au moins en faisant sienne la notion d’intérêt général. Car ce qui fonde la légitimité du pouvoir, c’est tout autant le suffrage populaire que le service rendu à la collectivité. Au lieu de cela, on a assisté à une sorte de privatisation du pouvoir, le domaine privé l’emportant sans cesse sur les obligations de la charge. Avec un président qui, après avoir daubé sur les « rois fainéants » qui l’avaient précédé à ce poste, s’est mis brusquement à demander qu’on aménage son emploi du temps, relayant auprès de nous les requêtes véhémentes de sa nouvelle épouse qui ne manquait jamais une occasion de rappeler que c’est elle que Sarkozy avait épousée et non la France. J’ai cru que je pouvais infléchir le cours de ce processus. Ce fut un péché d’orgueil que je confesse volontiers aujourd’hui. Assez commun, finalement, à tous les conseillers – voyez les cas de Pierre Juillet et de Marie-France Garaud – qui finissent par surestimer leur emprise.

Et comme vous n’y êtes pas parvenu et que vous vous êtes brouillés, vous vous vengez du mal que vous lui avez fait en dévoilant les coulisses du quinquennat ?

Il n’y a rien dans mon propos qui ne serve à illustrer une analyse exclusivement politique de la présidence Sarkozy. Ce n’est pas de ma faute si celui-ci a pratiqué un indécent mélange des genres qui a fait honte à nombre de ses collaborateurs, même si certains ne le disent pas ou du moins pas encore, attendant sans doute sa disparition de la scène politique pour s’en indigner. Je n’ai rien révélé de scandaleux, rien, en tout cas, de nature à gratuitement lui nuire.

Encore heureux, s’agissant d’un homme qui dit respecter le caractère monarchique de la fonction. Mais vous allez déjà très loin dans le dévoilement. Croyez-vous sauver le deuxième corps du roi en exposant le premier ?

En matière de dévoilement, je devrais dire d’exhibition, qui peut faire pire que Sarkozy ? C’est précisément parce que je crois que, selon la formule de Marcel Gauchet, « le pouvoir est un concentré de religion à visage politique » qu’il me fallait montrer en quoi Sarkozy, plus que tout autre avant lui, avait contribué à désacraliser la fonction au point d’en profaner le corps mystique et d’en avilir le corps profane.

De plus, par moments on ne sait plus s’il s’agit de fractures intellectuelles et politiques ou d’inimitiés personnelles. Vos propos concernant l’ancienne première dame sont très violents !

Je n’ai rien contre la personne privée que j’ai côtoyée pendant cinq ans et qui a cru devoir, à certaines périodes, me faire des confidences. Pour ma part, je n’aurais jamais eu l’inélégance de l’assigner en justice pour quelque motif que ce soit. Je ne parle de Mme Bruni-Sarkozy que parce qu’elle a eu un rôle politique et une influence profondément délétère sur celui qui était alors le chef de l’État. Au-delà même des affaires Battesti et Petrella ou des nominations des proches de Mme Bruni dans les médias, celle-ci a souvent fait montre d’un profond mépris de classe à l’égard de la France des « petits blancs ». Ce qui – je tiens à le dire – n’a jamais été le cas de Nicolas Sarkozy. Je ne sais si François Hollande a pu parler en quelque occasion des « sans-dents » mais j’ai entendu cent fois Mme Bruni désigner les Français de condition modeste sous le vocable générique de « ploucs » ou de « péquenots », et stigmatiser leur « racisme primaire » et leur refus du métissage.

Et pourtant, vous n’êtes pas uniquement resté son conseiller. Grâce à vous, il a presque gagné les élections de 2012… Si Sarkozy avait été réélu, seriez-vous en face de nous ?

Ce qui est certain, c’est que je serais parti ! Je me suis toujours posé la question du second mandat, qu’il aurait été d’autant plus tenté d’interpréter comme un blanc-seing que ne pouvant plus être candidat à sa propre succession, plus aucun garde-fou n’aurait fonctionné. L’exhibitionnisme aurait tourné à une incontinence du moi dont je n’imaginais que trop bien les conséquences.

Donc, vous vous êtes battu pour une victoire dont vous ne vouliez pas ?

Il y a de cela, j’en conviens, mais que pouvais-je faire d’autre ? L’élection de Hollande me paraissait plus lourde de menaces pour la France et les Français. Devais-je jeter l’éponge ? Déclarer forfait ? C’eut été alors véritablement trahir le président qui m’avait fait confiance. Or, voyez-vous, j’ai été l’un des derniers sinon le dernier à me battre pour lui, malgré toutes ses carences, ses insuffisances et ses défaillances, quand tous les autres ou presque l’avaient abandonné.

Quoi qu’il en soit, c’était au printemps 2012 et votre livre paraît à l’automne 2016, à quelques semaines des primaires des Républicains où un certain Nicolas Sarkozy est candidat (et en même temps que celui de Davet et Lhomme)… Difficile, tout de même, de ne pas penser à une vengeance…

Quand je conseille Sarkozy, ce n’est pas bien. Quand je déconseille Sarkozy, ce n’est pas bien non plus. C’est une dialectique commode qui veut que, pour les médias, quoi que je fasse, j’ai toujours tort. Me croira-t-on si je dis que ma réflexion, étayée par une expérience dont on peut m’accorder qu’elle a été marquante, me fait aujourd’hui une obligation de dénoncer à travers Sarkozy et Hollande les frères jumeaux d’une même logique d’abaissement de la fonction présidentielle ? Le narcissisme de l’un, le « bonhommisme » satisfait de l’autre auront eu les mêmes effets pervers. Ce furent des présidents selfies, abîmés, chacun dans un registre différent, dans la toute-puissance et la toute-jouissance du pouvoir. Pour retrouver le respect du peuple, le prochain président devra combiner présence et distance, proximité et verticalité. Et faire montre sinon d’un esprit sacrificiel du moins d’une ascèse de nature à convaincre qu’il est engagé tout entier au service d’une cause qui le dépasse.

Juppé pourrait-il incarner le retour à cette tradition ?

Ce qui fait le succès de Juppé, c’est sa personne, car il ne représente pas les idées auxquelles adhère une majorité de l’électorat de droite. Il donne – peut-être à tort – le sentiment d’être capable de porter l’intérêt général. En résumé, d’avoir le sens de l’État. Cependant, il s’agit peut-être du même malentendu qu’avec Chirac. Oui, peut-être est-ce un homme animé par la conquête du pouvoir plutôt que par la volonté de l’exercer ? En tous cas, en regard de l’indignité des deux derniers titulaires de la charge, il n’a aucun mal à apparaître comme un professeur de maintien. C’est là l’unique raison d’une popularité qui a, par ailleurs, de quoi surprendre. Il aura fallu deux présidences anomiques, chaotiques et atypiques pour rendre Juppé enfin éligible.[/access]

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