Accueil Politique Être citoyen du monde, c’est pas si facile…

Être citoyen du monde, c’est pas si facile…


Le monde miniature à Dubaï. Photo : linternaute.com

Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Daoud Boughezala et Pascal Riché débattent du droit de vote des étrangers.

J’ai ouï dire que le Parti Socialiste et ses alliés de gauche — à l’exception heureuse de Jean-Pierre Chevènement- s’attelaient à la réalisation d’une des 110 promesses du candidat Mitterrand. Trente après, il serait temps ! La rose du Panthéon ayant fané, ne restent plus que les dahlias que les fossoyeurs du socialisme ont déposés autour de son linceul. Du programme jusqu’au-boutiste de 1981, le seul survivant est donc le droit de vote et d’éligibilité accordé aux étrangers (non-communautaires, devrait-on préciser depuis l’entrée en vigueur du traité de Maastricht), exhumé par un Sénat fraîchement passé à gauche.

Une mesure présentable pour pas un rond, annoncée comme nouvelle matrice identitaire d’une gauche minoritaire à l’Assemblée Nationale, donc incapable de réformer la Constitution pour la voir adoptée. A court terme, c’est tout bénéf pour le vote FN. En attendant que Marine Le Pen monte, monte, monte comme une bête immonde et offre son lot de sueurs froides à nos élites en mal de sensations, ce marronnier revient avec les frimas de l’automne. Soit, examinons-le !
Nous intimant de déduire la norme du fait, la plupart des chroniqueurs politiques emboîtent le pas au Sarkozy 1.0 qui promettait de faire voter les étrangers aux élections locales. Pour les in-té-grer nous rabâche-t-on ! Longtemps promoteur du vote des étrangers, le Président de la République a récemment fait machine arrière, sans fondamentalement renoncer à sa conviction, mettant lui aussi en avant les difficultés du contexte (traduire : de sa réélection).
Sur ce point, il paraît que les Français sont sarkozystes ancienne manière — puisqu’un sondage nous apprend opportunément que 60% des Français approuvent cette réforme. Le nouveau raisonnement dominant soutient en effet qu’après dix ans de résidence, un étranger devrait légitimement pouvoir participer aux municipales. Le président de l’Office national de l’Immigration Arno Klarsfeld réplique qu’il adhèrerait à cette belle idée en période de basse tension identitaire.

On a connu l’avocat à rollers plus mal accompagné, puisque l’ami Marc Cohen ne lui chipote pas son soutien. Sa démonstration n’en est pas moins boiteuse.
À ce premier argument, je répondrais qu’a fortiori en période de douce « intégration », le vote local des étrangers ne se justifie pas. Imaginons une France idéale aux immigrés parfaits, tous voués à une participation pleine et entière au bien commun national (oui, ne serait-ce qu’un instant, plongeons-nous dans le monde merveilleux de Martine Aubry…). Dans ce cas-là, ces êtres d’exception auraient à cœur de « s’intégrer » au corps français existant… en acquérant la nationalité française, tout bêtement. Si nos âmes généreuses sont si belles qu’elles le disent, qu’elles naturalisent tous leurs immigrés chéris ! L’acte serait peut-être irresponsable, mais je leur accorderais au moins le bénéfice de la cohérence.

Parce qu’en France, suivant un modèle que l’on est en droit d’aimer ou de rejeter, la citoyenneté est indissociablement liée à la nationalité, malgré l’entorse juridique et civique qui découle du vote des « étrangers européens » aux élections municipales et… européennes. Ce non-sens politique, en l’absence de citoyenneté européenne, a ouvert une brèche dans laquelle s’engouffrent tous les tenants d’un droit de vote sans frontières. Si d’aventure l’on décidait de disjoindre la citoyenneté de la nationalité, c’est l’ensemble de notre modèle républicain qu’il faudrait démanteler. Pourquoi pas après tout, du fait de l’épuisement de la machine assimilationniste, l’idée de communautés autonomes suivant le modèle ottoman des millets peut séduire certains esprits imaginatifs. Or, on ne joue pas avec la diversité des droits sans se brûler les doigts : si l’on confiait le droit de vote et d’éligibilité aux étrangers, demain, combien de réseaux d’immigration clandestine mettraient les bouchées doubles pour constituer des ghettos insubmersibles ? Combien de quartiers deviendraient de nouvelles enclaves maghrébines, africaines ou asiatique où le passeport français n’aurait pratiquement plus droit de cité ?

Klarsfeld complète sa démonstration boiteuse en arguant que le vote et l’éligibilité des étrangers multiplieraient les candidatures islamistes aux portes de nos villes. Cette prévision est moins catastrophiste qu’elle n’en a l’air. Seulement, les listes islamistes, droit de vote étranger ou pas, au vu de l’état d’éclatement de la nation France, nous les aurons tôt ou tard, quoiqu’en dise l’optimiste Arno Klarsfeld. Il suffit de lire les résultats tonitruants du parti Ennahda auprès des Tunisiens de France pour se persuader que la maison brûle aux dépens de ses occupants anciens ou récents.

J’entends d’ici la complainte de mes adversaires : « Discrimination ! ». Que je les comprends : j’ai toujours vécu comme une injustice le fait de ne pas participer aux élections serbes, afghanes ou libyennes. Mais comme je ne défends ni le droit de vote ni l’ingérence universels, je me résigne à n’être citoyen que de mes deux pays sinistrés, la France et la Tunisie[1. J’aggrave mon cas en n’étant aucunement tributaire du droit du sol (auquel cas je ne voterais qu’à Sidi bou Saïd !) mais reconnaissant au si vilain droit du sang, par lequel je tire la puissance de mes deux lignées.]. Stéphane Hessel aura beau s’indigner du haut de son râtelier (navré, je discrimine aussi les vieux, et pan !), le concept de « citoyen du monde » est aujourd’hui totalement creux et inconsistant. Dans mille ans peut-être, une communauté politique mondiale se développera à partir de valeurs et de significations partagées par l’humanité entière. En attendant, nous vivons dans un monde de frontières et de différences (qui ne sont pas toutes synonymes d’atroces inégalités) qui en font la richesse et la complexité, si mal appréhendées par nos universalistes abstraits !

Avant que Bachar al-Assad puisse être élu maire de Neuilly au cours d’une prochaine retraite dorée, de l’eau aura coulé sous l’Oronte et la Seine. Je ne sais combien de révoltes arabes seront passées par là. Mais, sondages ou pas, dans l’Hexagone, cela m’étonnerait beaucoup que la gauche gagne sur la calembredaine de « la France qu’on aime »…



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est journaliste.

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