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La casse du siècle


La casse du siècle

Bon, je sais que tout le monde est très occupé, cet été, avec la guerre civile.
Je voulais juste signaler au passage que la France a vu en 2009 la destruction de près de 256 000 emplois. C’est vrai, ce n’est pas très important quand on sait qu’Hannibal est à nos portes et que des feux nourris éclatent chaque nuit aux quatre coins du pays à cause de voyous bientôt apatrides, sauf les brigands qui pourront exciper d’au moins trois générations d’honnête truanderie, si j’ai bien compris le raisonnement présidentiel. Mais tout de même, 256 000, c’est tout de même beaucoup, non ?

La population d’une grande ville

Bon, on sait, ça ne veut pas dire 256 000 chômeurs de plus mais le chiffre a quelque chose d’inquiétant, je trouve. 256 000, tiens, c’est à peu près la population d’une grande ville. Une grande ville comme Grenoble, par exemple. Avant, Grenoble était célèbre pour son gratin, ses noix, ses jeux olympiques d’hiver et accessoirement pour avoir vu naître Stendhal. Maintenant, elle est entrée dans l’histoire pour ses braquages de casino, ses snipers suburbains qui mettent en danger la République, et ses discours sécuritaires qui inventent une nouvelle conception de la nationalité et ses brillantes opérations de police qui ont eu pour premier résultat l’arrestation de quatre braqueurs ou complices présumés à la Villeneuve, tous relâchés. On imagine qu’il en ira de même pour les arrestations télévisées de mardi matin …
Ah j’oubliais, la police grenobloise a aussi arrêté et gardé à vue trois jeunes communistes qui collaient des caricatures de Sarkozy. Sarkozy veut bien qu’on caricature le Prophète au nom de la liberté d’expression comme il le déclara au moment du procès intenté à Charlie Hebdo mais il ne veut pas qu’on le caricature lui. Sans doute parce qu’il sait que nul n’est prophète en son pays et que 2012 approche ou alors parce qu’il estime qu’en matière de caricatures, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Je tiens tout de même à féliciter la police grenobloise : parvenir à trouver trois jeunes communistes d’un seul coup en plein cœur de l’été est un véritable exploit qui me réchauffe le cœur et me rend confiance en la vitalité du PCF. Et puis, c’est un double exploit, parce que la police grenobloise, malgré son nouveau préfet que l’on nous a présenté comme l’inspecteur Harry de l’Isère, en plus pêchu, eh bien figurez vous qu’elle n’a pas le droit à un poste en plus, comme nous l’apprend Europe 1 (qui n’est pas spécialement une radio d’opposition) et même va perdre 21 policiers de terrain d’ici la fin de l’année. Comme quoi, le cœur sécuritaire a ses raisons que la raison budgétaire ne connaît pas.

Dis, c’est quoi l’industrie ?

Les 21 policiers grenoblois ne sont évidemment pas comptabilisés dans les 256 000 destructions d’emploi de 2009. Pas plus que les profs ou les fonctionnaires – si on devait en plus compter ceux-là (en gros 120 000 d’ici la fin du quinquennat), on arriverait facile à deux fois la population de Grenoble. Les 256 000 destructions d’emploi de 2009, un peu comme le niveau atteint sur le droitomètre national depuis quelques semaines, sont un record depuis l’après-guerre. Ce sont des chiffres communiqués par Pôle Emploi, qui lui-même en a détruit pas mal des emplois. La fusion de l’ANPE et de l’ASSEDIC a en effet produit de brillants résultats dont peuvent témoigner tous les chômeurs.

Le gros du bataillon du cercle des emplois disparus est fourni par le secteur industriel. L’industrie, vous vous rappelez ? Non ? Pas trop ? C’est vrai qu’on n’en voit plus beaucoup. Dans certaines régions, même, il faut demander aux anciens de raconter. Dis, comment c’était l’industrie, grand-père ? Mais le grand-père ne répond pas souvent. Il essaie de comprendre ce qui se passe. Il a été mis à la préretraite par son patron avec les aides de l’Etat à 54 piges en moyenne et là, quand la télé a fini de lui monter comment son pays est devenu l’Irak, on lui explique très vite qu’il va falloir que la génération d’après bosse jusqu’à 62 ans (en fait, 67) alors qu’aucun de ses petits-fils n’a encore trouvé de boulot et que tous passent leur temps à faire des cartons sur les forces de l’ordre. Classes glandeuses, classes dangereuses ?

L’Industrie, c’étaient des usines. Les usines étaient des endroits où des ouvriers travaillaient. Ils construisaient des voitures, coulaient de l’acier ou fabriquaient des machines-outils. C’étaient aussi des chantiers où ils construisaient des logements sauf pour les gens du voyage qui passent leur temps à forcer des barrages de police entre deux vols de poules, deux jettatura et l’achat d’une Mercédès dernier modèle. Les ouvriers avaient souvent des revendications. En ce temps-là, savoir si leur voisin était algérien, français ou italien les préoccupait moyennement. Ce qu’ils cherchaient, c’était à obtenir la meilleure paie possible face à un patron qui cherchait à obtenir la meilleure productivité possible. Chacun était dans son rôle et les Renault étaient fabriquées en France. Ensuite, les Renault ont été fabriquées en Roumanie parce que l’ouvrier français était trop cher. L’ouvrier a alors quitté son bleu de travail et on lui a fait remarquer, pour qu’il pense à autre chose, on lui a fait remarquer que sous son bleu, untel était Noir, untel était Arabe et untel était Blanc. C’est comme ça, pour faire vite, que le Front National est à 15 % depuis bientôt trente ans.

Schumpeter for ever !

Le libéral, quand on lui dit 256 000 destructions d’emploi, est un peu comme la Pythie de Delphes : il prononce une phrase mystérieuse présumée pleine de sens et supposée annoncer l’avenir. Il vous dit : « Oui, mais c’est de la destruction créatrice comme l’a bien expliqué Schumpeter. » Schumpeter n’est pas un dieu de l’Olympe mais un économiste morave. Pour faire simple, et je cite un cas authentique, la destruction créatrice veut dire qu’une activité économique détruite est remplacée par une autre, donc qu’on ne perd pas d’emplois : l’ouvrier des hauts-fourneaux de la Comilog à Boulogne-sur-Mer jusqu’à leur fermeture en 2004, n’a qu’à travailler sur une plate-forme de vente par téléphone. Ça n’a pas tellement fonctionné parce que tout le monde a vu que l’ouvrier risquait de se mettre en colère ou d’être moyennement convaincant avec son accent boulonnais quand on lui demanderait de vendre un gel exfoliant aux pépins de raisins.
256 000 destructions destructrices, vous ne trouvez pas qu’ils sont là, les vrais problèmes, en ce moment ?



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