UMP : le sourire de Juppé


UMP : le sourire de Juppé

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Hormis le score historiquement haut du Front national et celui, historiquement bas, du Parti socialiste, deux détails pouvaient appeler l’attention du téléspectateur qui assistait à la soirée des européennes, dimanche soir sur France 2, le premier étant le sourire d’Alain Juppé.

Au vu du verdict énoncé par les urnes lors des huitièmes élections européennes, l’atmosphère sur le plateau de France 2 se devait d’être à la fois solennelle et morne, certains invités plus démonstratifs et versés dans l’art de la déploration, telle Rachida Dati, pouvant s’autoriser une incursion plus spectaculaire dans l’exercice de l’affliction théâtrale, d’autres, de nature plus discrète, ou plus mortellement atteints par le résultat, comme Jean-Christophe Cambadélis, se contentant d’afficher une réserve et un air de contrition de circonstance. Avant même l’annonce du résultat, le visage soucieux, la gorge serrée ou l’air hagard d’untel ou untel avait fait comprendre sans peine au téléspectateur que, plus que jamais, les élections européennes avait joué leur rôle de punching-ball politique, expédiant le ressentiment de la population courroucée au firmament des sondages à travers le triomphe électoral du « populisme », ou de la « haine », suivant l’expression consacrée du moment. Bref, hormis les représentants du Front national, tout le monde faisait la gueule sur le plateau de France 2. Tous sauf Alain Juppé.

Philippe Muray a écrit un très beau texte à propos du sourire de Ségolène, flottant encore dans l’air alors que sa propriétaire s’est évaporée, un peu comme le chat de Chester dans Alice au pays des merveilles. Eh bien il y avait un peu de ce sourire-là chez Alain Juppé dimanche soir. Alors qu’une théorie de responsables politiques concernés venait délivrer leurs analyses et leurs sombres mises en garde, on eut la surprise d’apercevoir, dans un coin du plateau, le visage détendu et radieux d’Alain Juppé. On pouvait deviner qu’il venait de répondre à une plaisanterie et souriait en retour à son interlocuteur. Bien vite, évidemment, alors qu’il prenait place autour de cette table ronde qui ressemblait déjà à une réunion de crise élyséenne et médiatique, il reprit un air grave et de circonstance. Les traits du visage se durcirent à nouveau. Les coins de la bouche retombaient, faisant disparaître, derrière une mine sombre, le sourire qui l’éclairait il y a une minute.

Mais ce sourire ne voulait pas partir. Il flottait encore dans l’air, invisible, comme une ritournelle entêtante, quand Juppé, interrogé sur sa réaction aux résultats, plissait le front, prenait un air sévère et répondait gravement : « C’est un choc ». Le sourire s’étirait alors tout autour de lui comme les ronds de fumée autour d’un fumeur de pipe satisfait. Oh, bien sûr, Alain Juppé est choqué par le résultat du Front national. Démocrate et atlantiste raisonné, il réprouve l’explosion de populisme. Mais peut-être a-t-il moins de prévenance vis-à-vis du lynchage qui s’annonce pour Jean-François Copé. Alain Juppé a toutes les raisons de sourire : le triomphe du FN, c’est l’échec de l’UMP de Copé. Alain Juppé, confortablement porté par sa réélection triomphale à Bordeaux, n’a plus qu’à regarder aujourd’hui tomber les têtes à l’UMP.

Après le dimanche noir des européennes, vient le lundi funeste de Bygmalion. Jean-François Copé quitte la présidence du parti, Nicolas Sarkozy, que sa timide tribune du Point n’aura pas suffi à faire exister plus que les scandales, est manifestement impliqué et éclaboussé par l’affaire. Fillon se tait. Juppé jubile.

Le maire de Bordeaux appartient encore à une culture politique, qui est aussi celle de Fabius. Les deux personnages ont en commun les mêmes manières et la même façon de s’exprimer. Là où l’école Sarkozy a imposé la surenchère et l’inflation langagière que l’on retrouve chez Copé ou Valls, Juppé et Fabius paraissent en toutes occasions aussi calmes et hiératiques qu’un maître de thé en pleine cérémonie. Chacun des deux a une vie politique de coups tordus et de trahisons derrière lui. Fabius n’a plus grand-chose à espérer, éléphant d’un parti qui semble s’acheminer à grands pas vers le cimetière des idées, quant à Juppé, il peut espérer plus, et déjà, une revanche. Lui qui a vécu son passage au ministère des Affaires étrangères comme une série d’humiliations grâce à Nicolas Sarkozy peut regarder aujourd’hui son ancien président et ses lieutenants barboter dans les affaires et l’échec politique. Lui qui a toujours fait campagne pour un rassemblement au centre, tandis que Nicolas Sarkozy allait clairement chercher des réserves électorales du côté du FN lors de la dernière présidentielle, peut maintenant se targuer d’avoir sauvé Bayrou et de se poser en rassembleur à l’UMP et à l’UDI. Tout ceci n’est que supposition bien sûr, mais les européennes semblent confirmer après les municipales qu’Alain Juppé est un des rares représentants des partis traditionnels à tirer on ne sait comment son épingle d’un jeu politique particulièrement miné. L’UMP est passé en un jour de l’échec au cauchemar. François Hollande a confirmé, de façon présidentielle, l’inexistence politique et idéologique d’un parti ne semblant plus capable de produire que de la litanie sociétale. Il ne resterait donc plus qu’un Juppé au sein de « l’UMPS » pour faire barrage au parti de Marine Le Pen.

Le Front national va sans doute continuer à déposséder le PS des dernières bribes de son électorat ouvrier, tout en marchant largement sur ses plates-bandes chez les jeunes. Reste au parti de Marine Le Pen à ne pas tout simplement exploser en vol si l’on considère le caractère très hétérogène de son électorat. Il est clair maintenant que le Front national représente l’une des principales forces politiques du pays et s’est intégré au paysage. Des années de diabolisation et de schématisme n’auront servi à rien et les tenants du « retour de la bête immonde » peuvent aller méditer leurs responsabilités dans l’irrésistible ascension du parti à la flamme. Reste à savoir comment cet électorat si disparate répondra, lors des prochaines grandes échéances présidentielles, à la question si simple, qui se pose vraiment sérieusement après les européennes : « suis-je prêt à placer la famille Le Pen à la tête du pays ? » La biographie de Philippe Cohen et Pierre Péan aura dévoilé, beaucoup plus efficacement que des années de moraline antifasciste et de ridicule flambée de « mobilisation citoyenne », quelques aspects dérangeants au sein du clan Le Pen et notamment le rapport à l’argent et l’affairisme ancré dans la culture d’un parti qui n’a réussi à se conserver une virginité politique que parce que ses représentants ont exercé peu de mandats électoraux. Et plutôt que de gloser éternellement sur le retour de la peste brune, il est plus raisonnable de se demander de quelle probité pourra se targuer le Front national, une fois que l’ère des discours volontaires et des roulements de tambours aura laissé place à celle de l’exercice du pouvoir. Un homme politique qui se targuerait seulement de ramener un peu de bon sens, sans verser dans les extrêmes, tout en se présentant dans une position d’outsider chevronné pourrait jouer sa carte. Au vu de la ruine quasi complète des partis traditionnels, il n’est guère d’autre effort à faire, pour jouer la carte du renouveau, que de se distancier sérieusement de l’UMP ou du PS et de tous ceux qui ont largement déçu l’opinion publique ces dernières années. Alain Juppé, qui n’est pas né de la dernière pluie et sait sans doute quelle position est la sienne à l’heure actuelle dans une UMP que le système Sarkozy aura achevé de décomposer, doit sans doute méditer cela. Cela explique peut-être le sourire qui flottait imperceptiblement sur son visage, dimanche soir.

Mais il y avait un autre détail à noter, lors de la soirée des européennes. Que fichait Marc Lévy sur le plateau ? Quelle analyse politique l’auteur de romances new-yorkaises venait-il proposer ? N’était-il pas venu plutôt puiser, parmi les foule des analystes et des commentateurs de l’événement, les éléments d’un nouveau roman d’amour à succès qui s’intitulerait : « Surtout ne changeons rien » ? Ou venait-il souffler à quelques dirigeants quelques slogans de campagne en forme de titres à l’eau de rose : Un sentiment plus fort que la peur, pour un François Hollande qui se réfugie de plus en plus dans l’absence. Où es-tu ? pour un Manuel Valls bataillant comme il le peut dans un rôle désagréable de garde du corps présidentiel. Vous revoir, pour un Sarkozy qui s’acharne à ne pas retrouver le chemin du retour. La Prochaine fois, pour Marine Le Pen. Et pour Alain Juppé, ce sera Toutes les choses qu’on ne s’est pas dites, Et si c’était à refaire ou Une autre idée du bonheur ? 

*Photo : SERGE POUZET/SIPA. 00680297_000036.



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