Matteo Renzi: Miracle à Rome?


Matteo Renzi: Miracle à Rome?

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Après avoir épuisé trois gouvernements en l’espace de deux ans, dont celui du sinistre Mario Monti, la démocratie italienne vient de porter au pouvoir Matteo Renzi, sémillant maire de Florence de 39 ans, qui se proclame « révolutionnaire ». La momie de Lénine a dû en frémir dans son mausolée de Moscou.

Mais l’ironie n’est peut-être pas de mise. L’Italie va mal, très mal. Selon la Confindustria, sorte de Medef local, la récession subie entre 2008 et 2013, soit 9% du PIB, serait la plus sévère enregistrée depuis 1862[1.  Après son unification, en 1860, l’Italie s’était imprudemment ouverte aux importations, alors que son économie n’y était pas encore prête.] ! L’industrie a subi un désastre qui surpasse le nôtre, avec une chute de 25% contre 15% en France. Un million d’emplois ont disparu. Les créances douteuses logées dans les comptes bancaires se sont multipliées. Et la dette publique, qui était déjà l’une des plus élevées de l’Union européenne, a grimpé de 105% à plus de 130% du PIB.[access capability= »lire_inedits »]

Nous le savons pourtant, les Italiens ne sont ni paresseux, ni dénués d’initiative ou de créativité. L’Italie dispose toujours d’entreprises d’excellence telles que Luxottica, leader mondial de la lunetterie, ou les chaussures Todd’s et Geox. Le roi mondial du canapé est calabrais. Et grâce à leur art de la mécanique, s’ils n’ont pas d’Airbus, ils travaillent énormément pour Boeing et Lockheed.

Alors pourquoi cette descente aux enfers à laquelle il manque un Dante capable de la décrire avec pittoresque ? Les trois premiers lauréats des Trente Glorieuses ont été, dans l’ordre, le Japon, l’Italie et la France. C’est durant cette période que l’Italie s’est dotée d’une industrie et d’une agriculture productives. Au début des années 1970, son économie a atteint le sixième rang mondial. Et sans le retard des régions du Sud, elle aurait pu se hisser à un échelon encore supérieur. Chose remarquable, l’instabilité gouvernementale[2.  C’est en Italie que sont nés les gouvernements « balnéaires », désignés pour durer le temps des vacances. n’a pas porté préjudice à la prospérité générée par une machine économique de plus en plus diversifiée et puissante.]

L’enlisement date des années 1970, comme partout ailleurs en Occident, avec le ralentissement économique accompagné d’une inflation record qui a culminé à 25% l’an au-delà des Alpes ! Comme partout ailleurs en Occident, la croissance a buté sur l’inflation salariale, entretenue mécaniquement par la scala mobile, échelle mobile des rémunérations qui garantissait des augmentations au moins égales à la hausse des prix, mais le plus souvent supérieures. Mal compensées par les gains de productivité, les hausses de salaires ont miné la rentabilité des entreprises, entravant l’investissement et l’embauche.

L’Italie a offert, de surcroît, une illustration violente de la contestation anticapitaliste avec les Brigades rouges dont l’action soulignait, de manière exacerbée, la révolte contre le marché et le capital, qui était largement partagée dans la société transalpine. Étrange épisode que celui de cette contestation paroxystique d’un système qui n’apportait que prospérité économique, progrès social et espérance de vie accrue !

Aucun pays occidental n’est sorti indemne dela stagflation. Lesdéficits publics apparus durant cette période ne se sont jamais résorbés, sinon en recourant à l’expédient de l’endettement des particuliers. Or, justement, l’Italie a suivi une trajectoire atypique depuis plus de trente ans. À la dette contractée durant les années 1970 s’est ajoutée celle que le laxisme des gouvernements a laissé gonfler exercice après exercice. Au point que l’État italien détenait, vers le milieu des années 1990, le record d’endettement en Occident avec 120% du PIB.

Mais au laxisme a succédé l’austérité. Les gouvernements Amato et D’Alema – de centre-gauche, donc néolibéraux du point de vue doctrinal – ont pratiqué, à la fin des années 1990, des coupes claires dans les dépenses publiques. Ils ont bénéficié, discrètement, de la baisse de la fécondité, qui réduisait tant les dépenses d’éducation que celles de santé ou d’assurance-chômage. Néanmoins, à la veille de la grande récession de 2008, la dette publique n’avait pu être ramenée qu’à 105% du PIB.

Voilà l’impossible héritage avec lequel les Italiens sont entrés dans le tunnel de la crise.

Cet héritage aurait dû faire office de leçon d’économie pratique. Quand la dette atteint un seuil critique, elle s’entretient d’elle-même car le débiteur doit trouver les moyens de rembourser le capital et de payer les intérêts dus. À moins de bénéficier d’une forte croissance, génératrice de plus-values fiscales, il ne peut les obtenir que sur le marché du crédit, en émettant de nouveaux emprunts. Tel a été le cas de l’Italie, qui était déjà l’un des pays les moins dynamiques de l’Europe, durant les années 2000-2008.

Comment Matteo Renzi envisage-t-il de ressusciter le mort-vivant ?

Il entend d’abord provoquer un électrochoc politique par des réformes constitutionnelles portant suppression du Sénat et retour à une centralisation administrative qui permettrait de retirer aux régions leurs pouvoirs en matière d’énergie et de transport. Ces réformes, légitimes, ne pavent cependant pas le chemin du retour à la prospérité.

Il veut aussi pratiquer de nouvelles réductions de dépenses publiques, à hauteur de 7 milliards d’euros sur un an[3.  Le chiffre paraîtra modeste au regard du projet de François Hollande de faire 50 milliards d’économies sur trois ans, qui nous semble relever de la pensée magique.]. Or, quand on sait que l’Italie connaît un régime d’austérité publique depuis près de vingt ans, que son système éducatif vit dans la pauvreté ou dans la misère, que sa R&D publique est l’une des plus basses d’Europe, que les charges d’indemnisation du chômage se sont accrues, on ne voit guère où se situe le gisement d’économies potentielles.

Il doit, parallèlement, réduire le poids des impôts que Mario Monti avait aggravés et venir au secours des entreprises les plus en difficulté. Le révolutionnaire Renzi, qui n’oublie pas les échéances électorales, a décidé de réduire de 1000 euros l’impôt sur le revenu des foyers italiens dont les revenus sont inférieurs à 1500 euros par mois. Et il a décidé que l’État et les régions débitrices de leurs fournisseurs rembourseraient, d’ici au 1er juillet, 60 milliards d’euros de factures en retard.

Le plus significatif concerne cependant les relations de travail. Dans le but d’inciter à l’embauche les entreprises –  dont 94% emploient moins de 10 salariés –, il vient de signer un décret autorisant les employeurs à renouveler les contrats à durée déterminée sur une période totale de trois ans, chose inouïe en Europe. Une orientation significative de l’obsession néolibérale de flexibilisation du marché du travail. Mais depuis 2000, l’Italie a déjà multiplié les contrats « atypiques ». La part des emplois à durée déterminée est ainsi montée de 5% à 13%, celle du temps partiel de 5% à 18%. Se pourrait-il qu’en accroissant les doses, on guérisse la maladie ?

Risquons une réponse négative. La fragilité de l’économie italienne s’est terriblement accentuée depuis 2008, tant sur le plan financier que sur celui de la compétitivité. Du point de vue financier, les créances douteuses des PME se sont envolées ces six dernières années, s’ajoutant au montant record des créances – plus de 200 milliards d’euros – détenues sur l’État par les banques transalpines : en Italie comme en Espagne, les banques en difficulté font les fins de mois d’États à la solvabilité douteuse. Ces éléments conjugués entravent une progression des crédits à l’économie qui ouvrirait la voie à une vraie reprise.

Sur le front de la compétitivité, alors que, faute de pouvoir pratiquer une dévaluation monétaire, les autres pays de l’Europe du Sud ont pratiqué sans états d’âme la déflation salariale – 12% pour l’Espagne et 30% pour la Grèce –, l’Italie, quant à elle, est restée dans l’euro sans réduire ses salaires[4.  Particularité qu’elle partage avec la France.]. Sa perte de compétitivité s’observe à celle de ses parts de marché – 2,8% des exportations mondiales contre 3,8% en 2000.

Matteo Renzi pourrait alors être tenté d’emprunter l’issue de secours représentée par la sortie de l’euro. Ce serait une sorte de révolution ou de coup d’État. Ses compatriotes, devenus eurosceptiques, ne lui en feraient pas reproche. Mais les « investisseurs », qui ont le sort de la dette publique entre les mains, veillent au grain. Ils demandent expressément au président du conseil de maintenir son engagement européen. Le plus probable est donc que Renzi viendra enrichir la galerie des « révolutionnaires sans révolution »[5.  La formule est empruntée à André Thirion, auteur de Révolutionnaires sans révolution, ouvrage consacré aux surréalistes. Éditions Robert Laffont,1972.].[/access]

*Photo: Alessandra Tarantino/AP/SIPA.AP21573185_000002

Mai 2014 #13

Article extrait du Magazine Causeur



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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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