Tintin au Congo : la culture au Kärcher


Tintin au Congo : la culture au Kärcher

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C’est presque trop beau pour être vrai. Une agit-prop’ aussi dérisoire que spectaculaire : avant-hier, des militants du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) présidé par l’ineffable Louis-Georges Tin, ont investi la FNAC des Halles pour y réaliser une performance antiraciste. N’écoutant que leur courage, ces valeureux ont collé des autocollants « relents racistes, peut nuire à la santé mentale » sur les albums de Tintin au Congo. Un client parfait que le génial Georges Rémi dit Hergé ? Tout le monde n’a pas eu la chance de fricoter avec les milieux rexistes dans les années 1930 et 1940, au point que Léon Degrelle a pu s’exclamer « Tintin c’est moi »,  avant d’entamer la carrière illustre que l’on sait. Premier album d’une longue série de bandes dessinées en couleurs[1. Camarades fact-checkers, ne dégainez pas trop vite, je sais bien que Tintin au pays des soviets a précédé Tintin au Congo, mais cet album scandaleusement anticommuniste brillait par son absence non moins scandaleuse de couleurs.], Tintin au Congo reste gravé dans la mémoire collective comme un précis de racisme en pantalon de golf, le reporter du Petit vingtième suppléant les pères blancs dans leur enseignement aux petits indigènes pas très fute-fute. Quand on connaît la réalité sanguinaire de la conquête du Congo-Kinshasa par les troupes du roi Léopold II, les pérégrinations de Tintin en pays noir paraissent une partie de ballon prisonnier exotique, où autochtones et belges paternalistes rivalisent de bienveillance face aux prédateurs de la brousse.

Si j’en crois Louis-Georges Tin et ses sbires, malgré la morale en guimauve qui enrobe cet album paru en 1931 (cela ne nous rajeunit pas…), le fait d’avoir appris à lire avec Tintin au Congo devrait faire de moi un cerveau malade, autant dire raciste jusqu’à la moelle, quelque part entre Anders Breivik et un redneck échappé du Ku Klux Klan. Désolé les mecs, mais il n’en est rien. J’ai même quelques scrupules antifascistes à voir certains épingler des BD comme d’autres brûlaient des livres aux heures-les-plus-sombres. À ce compte-là, j’attends qu’on incendie Shakespeare pour son Shylock, qu’on mette Dostoïevski au pilon pour les infâmes propos antisémites qu’il lâche dans son Journal d’un écrivain, ou qu’on jette Montesquieu aux oubliettes pour avoir rejeté nos frères de couleur hors des frontières de l’humanité et refusé d’affranchir ses esclaves jusque sur son lit de mort. Amis censeurs, si vous avez la force d’adapter les grands classiques de la littérature à nos standards antiracistes, votre tâche est immense. De mauvaises langues prétendront que le CRAN ayant raté le coche du « scandale » Exhibit B au bénéfice d’un autre collectif victimaire, il se refait une virginité en tondant la laine sur le dos de Tintin. Mais qu’importe les aléas de l’histoire, il y a des autodafés qui se perdent : comme chantait Vian, faut que ça saigne !
Bon, si j’ai bien compris la logique du CRAN, il en va des avertissements aux lecteurs comme des images de poumons vérolés et de pieds défigurés illustrant les paquets de cigarette. Ces injonctions servent notre souverain Bien, nous ne saurions donc nous en soustraire sans sombrer dans la pestilence et devenir gros, raciste et fumeur. Soit dit en passant, en tant que tintinophile patenté, j’estime qu’Hergé réserve un sort peu enviable aux Japonais, qui ne sont que fourberie et cruauté, notamment dans Le lotus bleu – à quand une action en justice des enfants d’immigrés nippons ?

Il faut croire que l’indignation anti-Hergé immunise contre le virus xénophobe que ses horribles planches voudraient nous inoculer. En farfouillant dans les archives de Causeur, j’ai exhumé un papier du sieur Bennasar remonté comme une pendule contre le procès qu’intentaient (déjà) des avocats belges et français afin d’interdire l’album incriminé. Que n’ai-je consulté plus tôt la liste des soutiens de cette honorable cause…  Car, ô surprise, parmi les vedettes du barreau montées sur leurs grands léopards antiracistes, j’ai retrouvé un certain Me Gilbert Collard. Oui, il s’agit bien du secrétaire général du Rassemblement Bleu Marine, devenu entre-temps député du Gard apparenté FN. À l’époque où maître Collard sur son estrade perché portait haut la moraline antifasciste, ses confrères belges et français saluaient avec des trémolos sa croisade anti-Tintin.  Mais c’était en 2009, une autre ère !

Je me garderai bien de sermonner qui que ce soit. Ni d’intenter quelque procès en insincérité en raison des engagements successifs de Collard : quoi qu’en disent les oies blanches, le marinisme n’est peut-être pas un humanisme, mais il n’appartient pas à la grande famille des racismes. « Plutôt la Corrèze que le Zambèze », claironnait Jean-Marie Le Pen en reprenant Barrès, à l’époque où Me Collard le poursuivait de sa vindicte. Depuis, la gauche postmoderne a inversé la proposition, affectionnant les lignes bleues du Tibet ou du Zaïre, quitte à escamoter l’amour des siens. Histoire de couper la poire en deux,  je laisse le mot de la fin aux Wampas : si les Dupont Lajoie avaient le portefeuille de Manu Chao, ils partiraient à Noël au moins jusqu’au Congo…

*Photo : Virginia Mayo/AP/SIPA. AP20932410_000004.



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