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Sympathy for the DSK


Au début, comme tout le monde, j’ai eu du mal à y croire. Presque aussi invraisemblable que le coup des Twin Towers ! D’ailleurs, deux jours plus tard encore, 57% des Français en tenaient pour la théorie du complot… Beaucoup moins crédible, en tout cas, que les premiers pas de l’homme sur la Lune ou l’existence de Dieu – auxquels, pourtant, certains ne croient toujours pas.

Après dissipation des brumes matinales, une autre surprise m’attendait. Au lieu de ricaner comme je m’y attendais, je me suis surpris à éprouver de la sympathie envers ce gland qui m’avait toujours horripilé.
J’avais de la peine pour lui ; mieux : je me suis mis à sa place ! Non qu’à sa place, je me serais forcément jeté sur la femme de chambre[1. Problème de surmoi, entre autres. Mais je n’ai pas à me justifier !]. Mais j’ai cru ressentir le vertige de DSK face à cette chute foudroyante et absurde.

Parce qu’enfin, à quoi ça a tenu, tout ce bordel ? Si « Ophélia » était venue faire la 2806 ne serait-ce que dix minutes plus tard, Dominique n’aurait plus été là (il avait un déjeuner ! )

Donc, à quelques instants près, il ne se serait rien passé et DSK serait toujours favori dans la course à la présidentielle. Au lieu de quoi le voilà cuit, caramélisé – foutu pour l’Élysée, le FMI et même le privé (à part peut-être un bar gay dans le Marais.) Ce que c’est que de nous ![access capability= »lire_inedits »]

Bien sûr, il n’y a pas que le hasard : hors théorie du complot, force est de reconnaître que, sur ce coup, DSK a déconné grave. Voilà un mec qui avait tout, comme on dit, et qui était en passe d’avoir le reste. Et brusquement, il fout en l’air trente ans de boulot d’un coup de reins ! Au-delà de l’obsession sexuelle, ça révèle quand même chez le personnage une sacrée fêlure − qui ne pouvait que m’intéresser.

A priori, et comme tout le monde une fois de plus, je ne doute guère de la culpabilité de Strauss-Kahn. Faute de casier, il a un lourd dossier et les faits semblent plaider contre lui – au moins jusqu’à ce qu’ils soient « renégociés » à l’américaine. De toute façon, comme dit Emmanuel Todd avec son ton détaché, « je vais avoir beaucoup de mal à accepter la version officielle finale, je le sais déjà ! »

Mettons de côté l’hypothèse d’une « nouvelle affaire Dreyfus » esquissée par François Bayrou. Reconnaissons, avec notre jovial coroner Jack Lang, qu’« il n’y a pas mort d’homme ». Reste que plane sur DSK le soupçon d’une tentative de viol aggravée – fût-ce sur une femme de chambre noire.

Oublions cette mauvaise blague de la « présomption d’innocence » qui n’est, selon les cas, qu’hypocrisie ou entrave à la justice. Tous ceux qui ont déjà été interviewés par des flics vous le confirmeront : eux donnent à fond dans la présomption de culpabilité, genre : « Si t’es dans mon bureau, c’est pas par hasard ! »

Moi, j’ai eu envie de prélever des traces d’innocence chez DSK. Aussi me suis-je commis d’office en tant qu’avocat à la Cour d’Élisabeth, c’est-à-dire à Causeur. Eh bien dans ce dossier, Mesdames et Messieurs les jurés, je plaide coupable mais pas responsable.

Je plaide coupable

Je plaide coupable « au-delà du doute raisonnable », comme ils disent. Je ne crois pas un instant à l’hypothèse de la bonne machiavélique qui aurait inventé tout ou partie du drame pour faire chanter Strauss-Kahn.

Alors quoi ? Un coup bas venant de haut ? Le FMI ? L’UMP ? L’aile terroriste du martinaubrysme ? Et pourquoi pas le lobby guinéen ? À l’évidence, dans ce dossier, même les meilleurs conspirationnistes sèchent.
Or, DSK ou pas, un client d’hôtel qui se comporte comme ça avec le personnel constitue un danger pour la société, qui a le droit et le devoir de se défendre. Encore faut-il prendre en considération la personnalité du suspect.

Je plaide l’irresponsabilité au moment des faits

Si mon client avait eu toute sa tête, aurait-il agi de la sorte, Mesdames et surtout Messieurs les jurés ? Avec le carnet d’adresses que tout Manhattan lui enviait, que n’a-t-il éconduit la domestique et passé un simple coup de fil ?

Même échauffé par la douche, le Dominique que nous connaissons aurait dû pouvoir patienter jusqu’à l’arrivée des secours : en l’occurrence, une charmante escort girl qui aurait fait le job plus proprement que cette simple femme de ménage ignorante des bonnes manières – et somme toute beaucoup plus chère !
Il faut croire que ce jour-là, la pulsion fut trop urgente, genre : « Oui ! Là ! Tout de suite ! » À la vue d’ « Ophélia » Dominique aurait tout oublié, y compris, semble-t-il, les convenances.

Je plaide le raptus

Mon client a littéralement perdu connaissance – et en particulier celle de ses intérêts vitaux. Ceux qui l’aiment vous diront que ce n’est pas son genre. Mais justement, c’est son genre que je n’aimais guère !
À voir cet homme d’argent et de pouvoir, à qui tout et tout le monde souriait, soudain fait comme un rat, menotté, trimballé, humilié et même pas rasé, je l’ai soudain trouvé humain. « Trop humain », réciteront les nietzschéens redoublants. Mieux vaut trop que pas assez ! En pétant brusquement les plombs, il s’est fait violence à lui-même autant qu’à l’infortunée « Ophélia ». S’il s’en sort, en sortira-t-il grandi ? En tout cas je ne regretterai pas le Strauss-Kahn d’avant !

Ce représentant des « élites mondialisées »[2. Comme disait Chevènement, volontiers cité par Zemmour] était de gauche comme moi je suis économiste, et j’imagine en ricanant son ex-future affiche de campagne : « DSK : pas différent. Juste mieux ! »

Quant à sa vie privée, elle était devenue publique à force de rumeurs et de scandales. Sauf qu’avec la complicité active de sa femme, il avait construit une façade de couple moderne derrière laquelle il cachait sa bipolarité de sex machine et de power machine. Non seulement Anne Sinclair a supporté Dominique, mais elle continue de le soutenir envers et contre tout – y compris l’espérance à vue humaine. C’est ce que j’appelle un couple !

Je plaide le couple

Comment a-t-elle pu encaisser tous ces désordres et ces humiliations ? Je n’en sais fichtre rien. J’ai lu quelque part que c’était elle, plus encore que lui, qui aspirait à la conquête de l’Élysée. À supposer que ça soit vrai, et même que ça explique tout, ça n’expliquerait pas pourquoi elle se tient encore à son côté, maintenant qu’il a tout niqué.

C’est qu’ils s’aiment à leur manière, Anne et Dominique ! Ces deux-là sont restés ensemble trop longtemps pour que leur histoire n’ait pas de sens : au moins avaient-ils trouvé un gentleman’s agreement, et c’est déjà pas mal.
Reste une question : vu leur intimité, comment Anne n’a-t-elle jamais pu convaincre Dominique de prendre les mesures qui s’imposaient dans leur intérêt commun ?

Je plaide l’obligation de soins

Même au service militaire, paraît-il, on mettait du bromure dans le café des bidasses. Pourquoi DSK, prétendant aux plus hautes charges, ne s’est-il pas astreint à un traitement discret et personnalisé ? La réponse est toute simple : avant de se soigner, il faut s’accepter comme malade.

Depuis Giscard, tous nos présidents ont plus ou moins assumé leur double, triple ou multiple vie privée. Sans doute Strauss-Kahn pensait-il s’inscrire dans cette prestigieuse lignée…
Mais du dragueur au violeur, il y a quand même tout un toboggan, et le glissement progressif du délire est achevé quand le consentement de l’autre ne compte plus pour rien.

D’après le Dr Roland Coutenceau, psy consulté par le Figaro Magazine[3. Visiblement inquiet pour DSK], « certains séducteurs compulsifs ne comprennent pas et n’acceptent pas la résistance ». Ils n’entendent même plus les signaux d’alarme, des plus ambigus (hurlements, griffures) jusqu’aux plus patents (crachats, vomi, fuite éperdue).

En tout cas, ça se plaide ! Encore faudrait-il que l’inculpé, dans son propre intérêt, réclame spontanément les médications appropriées.

Je plaide la bitomotricité

Un instant, bref mais violent, le sexe de mon client a pris le pas sur son cerveau – avec les dégâts irrémédiables qu’on connaît. En me suivant, la Cour enrichira utilement notre jurisprudence sur cette notion qui m’est chère : la bitomotricité.

Pour des raisons qu’il serait long et dur d’expliquer, ce dysfonctionnement affecte essentiellement les hommes − jusqu’à annihiler chez eux tout sens des responsabilités.
Telle est, on l’a amplement prouvé, la mésaventure arrivée dans cette affaire à M. Strauss-Kahn, par ailleurs poli et parfaitement intégré dans la société.
Loin de moi l’idée de nier la gravité des faits présumés : je prétends seulement, avec la science, que le comportement désordonné de mon client relève à l’évidence de la thérapie et non de la prison.

Voilà, j’en ai terminé, Mesdames et Messieurs les jurés. Au terme de cette plaidoirie, ce n’est plus l’avocat qui vous parle, c’est l’honnête homme.

Dieu sait que je n’aurais jamais voté pour DSK, mais qu’importe ! De toute façon ce n’est pas moi qui décide − même quand je gagne les référendums… Quant à lui, il aurait aussi bien pu faire un bon chef de l’État, qui sait ? Ou plus vraisemblablement, ça aurait pu lui faire plaisir ainsi qu’à sa dame, sans rien changer pour la France !
Mais pourquoi en parler au passé ? Si Dominique décide enfin de se soigner et que ses avocats sont à la hauteur, je n’exclus rien pour 2017.[/access]

Juin 2011 . N°36

Article extrait du Magazine Causeur



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