Nobel de la paix: le comité récompense le modèle tunisien


Nobel de la paix: le comité récompense le modèle tunisien

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(Avec AFP) – Au lendemain de la remise d’un Nobel de littérature aussi politique que mérité, l’Académie norvégienne a décidé d’adresser un message fort au monde arabe en récompensant quatre acteurs-clés de la société civile tunisienne qui ont permis d’asseoir la transition démocratique. Si les dirigeants de l’UGTT, ancien syndicat quasi-unique du pays, de l’UTICA (le Medef local présidé par une femme, encore un symbole…), de l’Ordre des avocats et de la Ligue tunisienne des droits de l’homme ont droit à leur trombine sur la photo de famille, ce n’est pas seulement parce que l’institution norvégienne souhaitait exprimer son « encouragement au peuple tunisien qui, malgré des défis majeurs, a posé les fondements d’une fraternité nationale ». Bien au-delà de ses frontières, le cas tunisien doit servir « d’exemple à suivre par d’autres pays », a enchéri la présidente de l’institution norvégienne.

La Tunisie, cas d’école du printemps arabe ? Cette illusion n’a fait qu’un temps. Même si tous les ingrédients du dialogue national tunisien – qui a ses limites : un grand parti islamiste inapte au pouvoir, une opposition armée salafiste, un Président quasi-nonagénaire et une administration toujours corrompue héritée de l’ancien régime – font rêver les professionnels du state-building de Washington et Bruxelles, l’exemple tunisien reste contingent dans un monde arabe en ébullition. Exception faite de la monarchie marocaine, il n’y a en effet guère que l’Égypte qui puisse se targuer d’un Etat-nation aussi solide, aujourd’hui aux mains de l’armée et d’un Président Sissi s’appuyant sur le péril islamiste dans une parfaite stratégie de la tension.
Faisant fi de ces rugosités, les sages d’Oslo aimeraient que les Tunisiens montrent la voie à suivre aux quelques démocrates libyens et syriens qui, le jour venu, voudront bien s’atteler à la reconstruction de leur nation mutilée, mais il y a loin du vœu pieux au terrain.

Prenez une longue tradition émancipatrice inspirée par le protectorat français, un courant réformiste issu des Lumières arabes (la Nahda au XIXe siècle) qui sut installer un État et une administration, une politique laïcisante introduite par le père de l’Indépendance Habib Bourguiba, mâtinez le tout d' »islamo-conservateurs » (Ennahda) prêts au compromis avec leurs opposants, et vous obtiendrez « le seul espoir du printemps arabe » (AFP) ayant accouché d’une constitution consensuelle. Des néo-conservateurs aux altermondialistes, beaucoup pensent un tel cadre exportable ad hoc partout dans le monde, étant entendu que les libertés individuelles s’appliquent à tout homo consumans, quelle que soit sa culture, sa religion, sa géographie et son histoire. Fukuyama a beau prophétiser la « fin de l’histoire » tout en en repoussant l’issue à échéances régulières – à la manière des Témoins de Jéhovah qui nous annoncent Harmaguédon pour demain, après-demain… ou 2050 -, le réel se venge. Ainsi de la Syrie, ou de ce qu’il en reste, à laquelle songeait probablement le comité Nobel en honorant le quartette tunisien. L’absence d’une réelle société civile, entretenue par cinquante ans de baasisme, conjuguée à une certaine arriération sociale (communautarisme et sujétion de la femme sont les deux mamelles de ce peuple morcelé en une myriade de confessions), ont produit le marasme que l’on sait. Et la pousse du prurit djihadiste a – sans doute définitivement – fait exploser les frontières établies par l’accord Sykes-Picot. Même topo pour la Libye, laquelle n’a jamais été une nation unifiée, n’eût été l’autoritarisme du colonel Kadhafi, dont la main de fer dissimula pendant quarante-quatre ans le maintien du système tribal et la division pluriséculaire (que les Romains observaient déjà!) entre Tripolitaine et Cyrénaïque,.

Voilà pourquoi bien des lecteurs de Fukuyama basculent progressivement dans le camp de Samuel Hungtinton.Puisque ces satanés Arabes n’entendent rien à la démocratie universelle, laissons-les s’entredéchirer entre chiites, sunnites, laïques et islamistes, au besoin en mettant un peu d’huile sur le feu pour que bouille la marmite (opération franco-britannique en Libye, offensive saoudienne au Yémen, etc.). Que le choc des civilisations s’accomplisse au sein même de l‘Oumma arabiyya (la Nation arabe), Dieu reconnaîtra les siens et Merkel triera les migrants. Chez certains commentateurs dépités, une assez courte unité de temps sépare le passage de l’universalisme botté au dépit occidentaliste : les quelques mois qui ont vu les printemps arabes virer aux hivers islamistes ou chaotiques.  A priori, le comité norvégien n’a pas renoncé à ses vieux rêves universalistes. C’est tout à son honneur.

Espérons cependant que le prochain lauréat du Nobel de la paix ne soit pas un bon samaritain gérant l’accueil des migrants… qui fuient l’échec des révoltes arabes.

*Photo: © AFP/Archives FETHI BELAID.



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