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Pourquoi la gauche trouve Sarkozy vulgaire


Nicolas Sarkozy : « vulgaire » ! Ce jugement lapidaire a été formulé par Mazarine Pingeot dans un entretien paru dans L’Officiel et cité par le site du Point.
Pour Madame Pingeot, fille choyée de François Mitterrand, professeur de philosophie « détachée à l’université » et chroniqueuse pour Ça balance à Paris sur Paris Première, il n’est pas besoin d’en dire plus : au diable l’analyse politique, l’argumentation rationnelle ou même la polémique : Sarkozy est vulgaire, c’est suffisant pour l’exclure de la bonne société et des gens pour qui on peut voter. Il est cependant difficile de comprendre d’emblée ce qui, aux yeux de Madame Pingeot, révèle la vulgarité de Sarkozy. Ce ne peut être l’emploi d’un vocabulaire trivial : Madame Pingeot n’hésite pas à affirmer dans une veine modérément distinguée que « ça [la] ferai[t] un peu chier » que ses enfants votent un jour à droite. Chez Mazarine Pingeot la distinction, si elle n’est pas tout simplement naturelle, est vraisemblablement le produit d’une éducation raffinée sous les ors de gauche de la République, protégée par des gardes du corps et à l’abri de tout besoin matériel grâce aux impôts prélevés sur la sueur du vulgum pecus, dont l’odeur vulgairement fétide ne sera sans doute jamais parvenue jusqu’aux narines raffinées de Mazarine. C’est que petite, elle aimait, par-dessus tout, « les parfums de luxe qu’elle essayait dans les lavabos ».

Mais laissons là Madame Pingeot. En pourfendant la vulgarité du président, notre fille à papa nationale ne fait que rejoindre une très vaste foule. Celui qui se risque à taper Sarkozy + vulgarité sur Google ne sera guère surpris du résultat : c’est un amoncellement de déclarations de représentants de la gauche (Moscovici encore hier, Aubry, Huchon, Mamère, Duflot, et j’en passe) qui dans une belle unanimité se pressent pour stigmatiser la vulgarité du président. Ce qui étonne, c’est que la foule des distingués est souvent celle qui brandit à tout bout de champ Bourdieu et sa critique de la distinction. C’est qu’on déteste la vulgarité mais qu’on a toutes les impatiences à l’égard des différences de conditions. D’un côté, l’on célèbre l’égalité absolue à coup de clips grotesques, et de l’autre l’on rêve de s’élever sans effort et par les vertus d’une essence singulière au-dessus de la foule vulgaire des gros beaufs de droite. On distingue selon des critères abscons le bon grain raffiné de gauche et l’ivraie inculte de droite, tout en voulant abattre toute éducation un peu exigeante parce qu’elle serait « stigmatisante » pour les classes populaires. Résultat : les habitus, qui n’ont plus rien à voir avec les bonnes manières à l’ancienne, deviennent une sorte de seconde nature que l’on cultive entre soi, loin de la place publique.

Que révèle cette haine de la gauche pour la vulgarité ? Ce que l’on ne peut pas reprocher directement au peuple qu’on prétend défendre, on le jette à la figure du Président. On s’exonère ainsi du risque d’être accusé de racisme de classe en s’en prenant à un puissant. Malheureusement, ce racisme de classe suinte par tous les pores de la peau de cette gauche morale.

Les mots « vulgaire » et « vulgarité » ne sont apparus dans leur sens moderne qu’au début du XIXe siècle. C’est au moment où la démocratie triomphe qu’il faut se distinguer du peuple. Sous l’Ancien Régime, les distinctions allaient de soi. Les dénonciations rituelles de la vulgarité, la volonté de se distinguer de la foule, manifestent la peur de se perdre dans un processus d’égalisation des conditions constitutif de la démocratie. C’est un paradoxe de la scène politique actuelle : le peuple sent la sueur et on lui préfère les victimes en tous genres, les plus emblématiques étant les immigrés. Jouer le sauveur qui défend les plus faibles contre toutes les « phobies » populaires est évidemment plus gratifiant qu’aborder avec courage les questions de fond. Est-ce parce qu’on se sent trop proche du bon peuple franco-franchouillard, qu’on éprouve une peur panique d’être confondu avec lui, qu’on va chercher au loin les objets de son affection ? L’action politique devient caritative et désincarnée. Il ne s’agit bien sûr pas ici de défendre l’idée selon laquelle il faudrait se désintéresser du sort des immigrés, mais seulement de remarquer qu’à travers les immigrés, la gauche préfère un peuple lointain, différent (d’où le culte des « différences »), qui ne lui ressemble en rien et avec lequel elle ne risque pas d’être confondue. La « préférence immigrée » dont parle Hervé Algalarrondo a bien sûr des causes plus directement rationnelles, mais elle est aussi le produit d’un snobisme social dont on aurait tort de sous-estimer les effets.

On n’a pas tout à fait tort de reprocher à Sarkozy son « Casse toi pauv’con ! » et son « Descends un peu qu’on s’explique ! ». Seulement, on le fait pour de mauvaises raisons. Il est illogique de s’en prendre à la fois à la vulgarité du président et de stigmatiser son mépris du peuple. Dans le « Descends qu’on s’explique !» présidentiel, il y a tout sauf du mépris, mais au contraire le sentiment sincère du Président d’être offensé par la parole d’un simple citoyen (qui se trouve d’ailleurs significativement en surplomb). De même, le « Casse toi pauv’con !» relève d’une surenchère digne d’une cour de récréation dans laquelle des égaux se chamaillent. En réalité, le Président est pleinement, parfaitement, démocratique. Et la démocratie, n’est-ce pas ce que nous voulons ? Un Président plus sûr de son statut aurait tout simplement ignoré ces insultes et passé son chemin, altier, lointain et énigmatique comme un sphinx. Bref, méprisant. Et comme bon sang ne saurait mentir, je suis sûr que Mazarine aura reconnu ici son papa.



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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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