Jean-Marie Poiré dans les couloirs du temps


Jean-Marie Poiré dans les couloirs du temps

jean marie poire petits calins

Les Visiteurs 3 ne vous apprendront pas grand-chose sur la Révolution, prenez plutôt un aller direct vers le monde d’avant en regardant Les Petits Câlins. Le premier film de Jean-Marie Poiré est sorti sur les écrans en janvier 1978. Une époque fantasmagorique où Giscard était à la barre, Billancourt tournait à plein régime et Cloclo chantait Magnolas For Ever, ces musiques nouvelles qui, paraît-il, résonnaient comme des bruits de combats. C’était mystérieux comme un coucher de soleil sur des HLM ou le cri d’une mobylette bleue dans la nuit.

Entre le film d’auteur et le carton au box-office

Cette co-production entre la Gaumont et Yves Robert est à tomber par terre. Il y a dans cette comédie sentimentale qui titube entre le film d’auteur et le carton au box-office, la lumière gris clair d’une banlieue aujourd’hui disparue. Comme si Manchette et de Broca partageaient la même banquette en direction de Gif-sur-Yvette. La caméra légère, le ton aigre-doux, le style presque désuet donc indémodable sur fond de changement de société.

Un coup de maître que Poiré fils signe avec l’assurance du « débutant », habilement soutenu par la musique de Bryan Ferry et Roxy Music. Il filme cet instant où tout va chavirer vers un ailleurs mondialisé, les femmes tentent de se libérer en (sur)jouant l’indifférence, les hommes font la politique de l’autruche, la crise s’installe autour des villes et l’amour patine. On visite ce film comme on remonterait le temps. La première scène serait aujourd’hui coupée au montage pour incitation à la débauche ou atteinte aux bonnes mœurs écologiques. Un gros cube de marque Yamaha déboule plein gaz sur la voie Georges Pompidou, il zigzague, il klaxonne, il affole, il vibrionne. À son guidon, une fille en perfecto et santiags. Quand elle enlève son casque intégral rouge, vous ne donnez pas cher de votre peau. Dominique Laffin (1952-1985) ne vous laisse pas d’autre solution que de succomber à son charme. Pas de sommation, elle a tiré la première avec ses yeux revolver.

Traité sur la brutalité suave des filles des années 70

Il faudra un jour écrire un traité sur la brutalité suave des filles des années 70. Elles avaient l’érotisme chaste d’Arletty et le sourire triste des enfants du paradis. En jean, un rien débraillé, sans maquillage, d’un naturel cassant, elles incarnaient la femme en mouvement d’alors. Leur féminisme n’était pas aussi manichéen qu’on a bien voulu le raconter depuis. Poiré saisit magnifiquement cette bascule où la femme forte prend le pouvoir dans les rapports de séduction mais surtout où elle s’interroge sur le sens de sa vie dans une société consumériste. Les idéaux commencent à se faire la malle et le couple devient le dernier lieu des possibles. On suit les aventures de trois femmes (Dominique Laffin, Josiane Balasko avec son ancien nez et la regrettée Caroline Cartier). Elles vivent en colocation, Klapisch et son Auberge Espagnole n’ont rien inventé. Elles ont des boulots alimentaires : Balasko sert dans un restaurant universitaire, Cartier vend de la fripe aux puces et Laffin, la plus sauvage, la plus désirable, fait des enquêtes marketing en porte-à-porte, déjà les rêves de fichage sont en marche. Les excellents Roger Mirmont et Jacques Frantz, amants plus ou moins doués, sont de passage.

Pourvu que ça dure…

Le père de Laffin, monumental Jean Bouise, roule en Peugeot 504 et peint à ses heures perdues dans une zone pavillonnaire à se suicider sur le champ. Son épouse interprétée par Claire Maurier feint une grève de la faim en déshabillé de soie. On entend parfois des dialogues sortis du fond des âges : « J’ai vu un mec super, il bouffait un Wimpy (hamburger) ». Les filles achètent des badges à graver et des tee-shirts à imprimer pour arrondir leur fin de mois. Et puis, Dominique dans le rôle d’une divorcée, mère et motarde, arrache tout sur son passage. On est d’abord intrigué par cette voix grave, maladroitement posée dont le tressaillement sensuel ne vous quittera plus durant une heure et trente minutes et on voudrait que ce supplice dure encore, encore,…

Coffret DVD 5 films de Jean-Marie PoiréLes Petits Câlins, Retour en force, Les Anges gardiens, L’Opération Corned Beef et Twist again à Moscou – Gaumont.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Mes haïkus visuels: Donald et Hillary, Frédérique et Marie, etc.
Article suivant Le pèlerinage «Summorum Pontificum» à Rome
Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération