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Bardella: le triomphe tranquille

RN, Reconquête: deux salles, deux ambiances. Nos deux reporters se sont faufilés aux soirées électorales de la droite nationale. A 20 heures, le score de la liste de Jordan Bardella confirme les estimations les plus optimistes. A 21 heures, le président de la République annonce la dissolution de l’Assemblée nationale. Marine Le Pen l’assure alors: « Nous sommes prêts à exercer le pouvoir si les Français nous font confiance lors de ces futures élections législatives. Nous sommes prêts à redresser le pays ». Éric Zemmour, de son côté, rêve d’une Nupes de droite, pour que les idées nationales soient majoritaires et s’emparent de l’Assemblée.


Rarement les ennuyeuses élections européennes auront autant bousculé la vie politique française ! La cuvée 2024 aura réveillé les abstentionnistes, accéléré la recomposition de la vie politique française et contraint Emmanuel Macron à un bouleversement institutionnel. Au prix d’un coup de tonnerre présidentiel peu après 21 heures, la banale soirée électorale qui ennuyait tout le monde s’est transformée en un été électoral à trois tours.
Nos deux reporters, réunis la semaine dernière au meeting de Jordan Bardella, se sont cette fois séparés, l’un à la soirée électorale du Rassemblement National, l’autre à celle de Reconquête, pour capter l’ambiance des deux salles •


Reconquête et RN : deux salles, deux ambiances

Bois de Vincennes, les familles achèvent leur promenade dominicale dans le parc floral et le RN réunit ses soutiens au Pavillon Chesnaie du Roy (12e arrondissement). Le champagne est au frais ; prudents, les sympathisants sont encore au blanc. Vers 19h, les premiers chiffres circulent. L’enjeu pour le parti restait la mobilisation de sa base électorale, réputée perméable à l’abstention. « Quelques remontées nous viennent de nos députés et elles sont excellentes… » assure un candidat bien placé sur la liste. Emeric Salmon, député de Haute-Saône, concède un certain soulagement : « Je disais ces derniers jours aux militants qu’il faudrait se satisfaire d’un score de 28 ou 29%… Ils étaient tellement motivés, alors si le résultat n’était pas la hauteur de ce qu’on annonçait dans les sondages, cela aurait été forcément décevant ». Le scénario noir des régionales de 2021, où l’abstention massive de l’électorat RN avait douché les espoirs du parti, reste dans les esprits.

Rue Goujon (8e arrondissement), les premiers militants se retrouvent dans les étroites pièces du QG de Reconquête. Rapidement, la chaleur et la foule rendent la déambulation difficile. Pour le moment, les jeunes gens sont surtout inquiets du résultat de la finale masculine de Roland-Garros ! Et parmi les militants, la crainte que la balle frôle la ligne blanche des 5% et retombe du mauvais côté est difficile à dissimuler… Des papiers incendiaires, sur un possible clivage au sein du parti, et même sur son imminente explosion (dans les colonnes du JDD), sont commentés à bas bruit. Si l’on en veut un peu à Geoffroy Lejeune d’avoir laissé passer cet article en plein scrutin, des militants reconnaissent que le choix fait par la tête de liste de taper à fleurets mouchetés sur la liste Bardella était en effet discutable, « puisque les réserves de voix étaient plutôt chez eux ». En fin d’après-midi, le président du parti, Éric Zemmour, fait un rapide tour parmi les troupes, suscitant la première bouffée d’enthousiasme de la soirée.

Soulagement et triomphalisme

A 20 h, le score est sans appel et confirme les estimations les plus optimistes. Avec 32%, voici le RN hégémonique à droite.

A Reconquête, pourtant, c’est le soulagement. L’apparition du visage de Marion Maréchal est associée au chiffre de 5,1% sur la première chaine. En zappant sur d’autres chaines, le score est même légèrement meilleur. Les militants laissent échapper leur joie : « Marion députée ! ». Samuel Lafont, directeur de la stratégie numérique et des levées de fonds au sein du parti, nous l’assure : « Nous avons le bon diagnostic. Nous avons la ligne qui paiera à long terme. Avec ces cinq députés que nous obtenons, nous entrons dans la cour des grands partis ». L’apparition sur les écrans du rival numéro 1, Jordan Bardella, est accueillie diversement. Quelques huées ne sont pas retenues.

Côté RN, si on écrase la concurrence, on se garde de tout triomphalisme, dans les discours comme dans les commentaires. Jordan Bardella appelle « à l’humilité et la responsabilité ». La salle, d’ailleurs polie, acclame sans déversement de joie excessive la confirmation d’un triomphe qui était finalement attendu. Faut-il anticiper des changements institutionnels ou politiques, au niveau européen ? Le président du parti vient bien d’appeler le président de la République à dissoudre l’Assemblée. Gaëtan Dussausaye, 29e sur la liste et nouveau député européen tempère : « On verra plus tard pour tout ça, d’abord on savoure le triomphe. Nos idées gagnent du terrain. Les Français ont compris que nous étions prêts pour l’alternance. » La consigne est appliquée à la lettre : responsabilité, humilité.

Coup de poker présidentiel et coup de théâtre politique

Un coup de théâtre vient secouer le triomphalisme tranquille du RN. Lors de son allocution présidentielle, annoncée en début de soirée, Emmanuel Macron annonce l’emploi de l’article 12 : « dissolution » ! Les militants se laissent alors aller à l’euphorie. Des jeunes courent dans les jardins et hurlent leur joie. A annonce exceptionnelle, mesure exceptionnelle : le secrétaire général du Parti, Gilles Pennelle, gueule un bon coup pour battre le rappel des troupes : « Allez, allez… la fête est finie. Tous au siège ! On a un boulot ». Message reçu. Une militante habituée des lieux se réjouit « de reprendre le balai et la colle dès ce soir ». Les cadres du parti désertent un par un le parc floral. Comme saisis par le vertige, les militants affichent leur confiance et se disent certains d’envoyer une majorité RN à l’Assemblée ! Jean-Lin Lacapelle assure que tout est prêt en interne : « Nous avons prévu un dispositif Matignon au cas où Emmanuel Macron dissoudrait l’Assemblée ». Les photos seraient déjà faites… mais, on presse tout de même les cadres pour se faire tirer le portrait à l’étage. Fidèle à sa réputation d’intellectuel sage et mesuré, Pierre-Romain Thionnet tient un discours très « force tranquille » : « Macron espère faire peur aux Français en agitant la menace du désordre institutionnel et réactive la diabolisation, mais je pense que cela n’aura aucun effet. Les Français veulent vraiment sanctionner le président. » Il retournera probablement affronter Charles de Courson, en Haute-Marne, contre lequel il avait largement échoué en 2022.

Vers une Nupes de droite ?

Le coup de théâtre n’est pas moindre chez Reconquête, rue Goujon. Et à vrai dire, la soirée commençait à devenir longuette quand l’allocution présidentielle débute. Si le président Macron a réussi quelque chose ce soir, c’est bien de transformer les huées habituelles que lui réservent les militants Reconquête en hourras et en applaudissements à l’annonce de la dissolution. Pour les journalistes, l’annonce de deux tours en plus en ce début d’été a le goût d’une deuxième part de gâteau. Pour les communicants du parti, cette épreuve de sprint imposée trois semaines après la fin du marathon des Européennes, et à quelques jours du début des JO, ne réjouit pas franchement. Et il n’est pas dit que dans le coup de poker présidentiel, on ne mise pas sur l’épuisement des troupes parmi les partis rivaux… Pour les militants, la possibilité de constituer « une Nupes de droite » dans les prochains jours redonne de la vigueur dans les rangs. La grande alliance des droites est ici dans tous les esprits – un mythe mobilisateur pour la base, et une planche de salut pour les cadres du parti. Les yeux des militants pétillent, quand Marion Maréchal l’appelle explicitement dans son discours, citant comme partenaires les LR, Dupont-Aignan et le vainqueur du jour Jordan Bardella.

Ces alliances qui font rêver Reconquête, il en est à peine question au RN. Alexandre Loubet, le directeur de la campagne des Européennes du RN, tient un discours combattif mais botte en touche sur les questions qui fâchent comme celle des alliances électorales. Le RN a de bonnes chances d’arriver en tête le 30 juin, mais pourra-t-il être majoritaire sans alliance, coalition ou accords avec des partenaires politiques ? Un collaborateur parlementaire proche de la direction dédaigne tout cartel des droites, et assure « qu’historiquement la droite n’a pas la culture de l’alliance mais de la domination. Bien malin celui qui peut dire ce qui se passera… je ne m’appelle pas Madame Irma ». Raphael Audouard, responsable de la fondation Identité et Démocratie, préfère rester à un poste d’observateur : « Ce sont à ces forces politiques concurrentes de se positionner par rapport à nous. » Sous-entendu : pas d’accords de partis pour l’instant, mais tout ralliement individuel est évidemment le bienvenu… La question des alliances ne se pose donc pas vraiment au RN ; le parti entend exercer son hégémonie sans faire de concessions à ses concurrents. 

Les cadres désertent rapidement le parc floral. C’est que les investitures vont se négocier rapidement et nerveusement, sans doute jusqu’au bout de la nuit. Au siège du parti, un bureau exécutif exceptionnel est convoqué pour 22h. A Reconquête, les deux leaders interviennent tour à tour. La décomposition du parti promise par des oiseaux de mauvais augure n’est pas pour tout de suite, mais la différence des stratégies s’exprime encore dans les deux discours. Marion Maréchal se réjouit de son choix, qui ouvre une perspective d’alliance. Pour que l’idée d’union ne divise pas, Stéphane Ravier nous confie : « Zemmour et Marion ont tous les deux raison, et en même temps, ils ont tous les deux tort ». Jamais Marseille n’avait été aussi proche de la Normandie (P’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non…). Et en même temps, jamais la rue de Goujon n’était aussi loin d’une union avec le Pavillon Chesnaie du Roy…

Bumble: premier (faux) pas

Jusqu’à ce jour, sur Bumble, c’étaient les femmes qui faisaient le premier pas…


Riche de 60 millions d’utilisateurs, mais souhaitant augmenter sa part de marché, Bumble, le numéro 2 du lucratif secteur des rencontres amoureuses (derrière Tinder), a décidé d’offrir une nouvelle fonctionnalité à ses utilisatrices : « Opening Moves ». Les catherinettes américaines disposaient jusqu’à cette date d’un privilège inaliénable : sur Bumble, pour les matchs hétérosexuels, la femme devait faire le premier pas. Une fois le « match » établi, la pauvrette avait vingt-quatre heures pour envoyer son premier message, sans quoi le match expire. L’homme, lui, ne pouvait pas envoyer de message ! Une façon pour l’application de donner le pouvoir aux femmes, qui faisait toute sa singularité jusqu’alors…

Il est déjà amusant de noter que les homosexuels ne bénéficiaient pas de ce privilège.

Mais, devoir lancer et relancer la conversation étant harassant, l’application offre désormais la possibilité de laisser les hommes s’en charger ! Psychologie féminine, chasseur, chassé(e)… nous n’épiloguerons pas sur ces points !

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Le fonctionnement initial s’expliquait par le traumatisme subi par la fondatrice de Bumble, Whitney Wolfe Herd, laquelle avait quitté son ancien employeur Tinder en 2014 avec fracas, le poursuivant pour discrimination et harcèlement sexuels et obtenant un million de dollars de dédommagement. En lançant son concurrent, elle promettait des rencontres enfin débarrassées des comportements grossiers ou sexistes, tels que l’envoi de dick pics ou le harcèlement. Pourtant, selon Bumble, 91 % des femmes préfèrent la nouvelle fonctionnalité où elles n’ont pas à faire le premier pas. Malheureusement pour Bumble, la compagnie a dû présenter ses excuses après une campagne marketing où l’on pouvait lire des messages tels que « un vœu de célibat n’est pas la réponse » ou « tu n’abandonneras pas les fréquentations et ne deviendras pas religieuse », jugés discriminants envers les utilisatrices qui choisissent d’être abstinentes.

Jamais contentes ! On avait compris que les filles les plus délurées étaient chez Tinder.

Pour l’union des droites!

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Les élections européennes ont démontré qu’une majorité de Français votaient à droite. Les élections législatives qui s’annoncent devraient être une chance à saisir pour voir naître une union des droites. Tout les rassemble, mais ce n’est pas suffisant…


Les résultats des élections européennes ont démontré, s’il en était besoin, que la France a bel et bien basculé à droite. Que l’on en juge : le score cumulé de Glucksmann, Aubry et Toussaint – 29,14% – n’atteint même pas le niveau de Bardella seul ; quant au score cumulé des droites, avec Bellamy et Maréchal, il monte à 44,17% !

Une chance à saisir pour la vraie droite

Le président de la République lui-même, prenant acte de la rupture entre les idées qu’il porte et les aspirations du peuple français, a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale, une première depuis 1997. Les élections législatives seront l’occasion de changer de majorité parlementaire et de permettre, le cas échéant, la nomination d’un gouvernement de cohabitation. Pour la vraie droite, c’est une chance à saisir, loin d’être purement théorique : il suffit d’écouter les cris d’orfraie de la gauche en panique !

Mais si la droite française veut rester crédible, gagner les élections, enfin gouverner le pays, elle doit d’abord s’entendre, et dégager les hauts-reliefs d’un programme commun ; car en dépit de leurs fausses oppositions, inhérentes au jeu démocratique, Marine Le Pen, Éric Zemmour et François-Xavier Bellamy sont d’accord sur l’essentiel, c’est-à-dire sur tout.

Tous les trois se disent nationalistes, conservateurs et républicains. Leur priorité commune réside dans la sauvegarde de l’identité nationale ; pour cela, ils veulent chacun limiter l’immigration et favoriser l’assimilation plutôt que l’intégration.

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Sur l’immigration, ils se trouvent en accord avec la majorité du peuple français, qui d’une part en fait constamment l’une de ses préoccupations majeures, et d’autre part la juge largement déraisonnable. Par conséquent, ni Reconquête, ni Les Républicains, ni le Rassemblement national ne seront défavorables au moins à une augmentation des forces de la police aux frontières, à une réduction drastique des aides sociales accordées aux étrangers, à un durcissement du droit des migrants en matière d’asile et d’OQTF, ainsi qu’à une limitation du droit au regroupement familial.

Quant à la politique d’assimilation, les outrances, les accointances douteuses de La France Insoumise avec l’islamisme radical devraient paradoxalement favoriser sa mise en œuvre commune. De fait, aux yeux d’une certaine gauche, défendre la laïcité, et surtout nos vieilles valeurs humanistes et libérales, c’est être islamophobe et se faire le complice de l’extrême-droite : qu’à cela ne tienne ! Que la droite et l’extrême-droite soient donc complices et gouvernent en limitant au maximum la propagande islamiste contraire à nos principes historiques, par la fin des financements directs ou indirects de ces idéologies, la dissolution des organisations et lieux de culte les promouvant, ou l’interdiction des tenues islamistes dans l’espace public.

Laïcité, école : les partis de droite d’accord

Le propre d’une politique conservatrice, c’est également de croire en la nécessité d’une verticalité mesurée mais efficiente, favorisant à la fois la sécurité publique et la promotion des élites. Sur ce sujet, nos droites sont de nouveau d’accord : elles partagent les idées d’une présomption de légitime défense des policiers, de l’instauration de peines planchers, puis de l’impératif d’une réforme du code de procédure pénale devant rendre la justice plus rapide et plus ferme. L’École aussi gagnerait à une réforme ambitieuse née de l’alliance des droites : car elles soutiennent unanimement – en harmonie avec l’écrasante majorité du peuple – l’urgence d’un recentrage sur les savoirs fondamentaux, ainsi que le rétablissement de la discipline et de l’autorité. Les classes de niveaux, timidement tentées par Gabriel Attal ministre de l’Éducation nationale, avaient été accueillies très favorablement par le vaste camp des conservateurs ; il faudrait aller plus loin et supprimer le collège unique, imposer le port de l’uniforme, responsabiliser les familles des absentéistes et perturbateurs par la suspension des allocations, rendre plus sélectifs les examens, et d’une manière générale, revenir aux anciennes méthodes pédagogiques (le cours magistral et l’apprentissage par cœur) qui de tous temps ont fait leur preuve.

Je pourrai continuer encore longtemps, évoquant tour à tour les familles, les charges sur les entreprises, la confiscation de la vraie démocratie par les juges et les conseillers, mais je m’arrêterai là ; car les électeurs de M. Bardella, de Mme Maréchal et de M. Bellamy n’auront nul besoin d’une longue argumentation, pour tomber d’accord et sur les constats, et sur les solutions.

En 2022, la Nupes avait permis à la gauche de faire un carton plein à l’Assemblée. Éric Zemmour a proposé aux droites de s’unir : c’est l’heure. Qu’attendent-elles ?


Elisabeth Lévy : « Les électeurs de droite sont prêts à l’union »

Emmanuel Macron: c’est sa faute, sa très grande faute…

Dissolution. Alors qu’on nous dit que le président de la République ne supportait plus son absence de majorité claire au parlement, et sa situation, notre chroniqueur s’étonne qu’il n’ait pas plutôt décidé de démissionner après la déroute de la liste « Renaissance » aux élections européennes. Analyses.


La liste conduite par Jordan Bardella voulait faire des élections européennes un test national, une machine de guerre contre Emmanuel Macron. La victoire écrasante du RN est la preuve implacable de la justesse de ce dessein. Qui a été renforcé tout au long, lors de la déconfiture programmée de la liste Hayer, par l’incroyable et indécente implication du couple exécutif dans une campagne qui, parce qu’elle était prétendue seulement européenne, aurait dû le laisser sur la réserve. Est-ce alors porter atteinte à la dignité du président de la République que de suggérer qu’il y avait une solution, plus que toute autre conforme à un choix gaullien, pour dénouer cette crise politique ? La démission du président de la République désavoué comme jamais et contraint d’ordonner une dissolution de l’Assemblée avec des élections législatives précipitées le 30 juin et le 7 juillet.

9 juin 2024 : une date historique

Ainsi ce président qui n’avait cessé de se vanter d’être l’unique rempart contre le RN, avec déjà un premier accroc capital tenant aux 89 députés de ce parti, englué dans une impasse au soir du 9 juin, alors qu’il avait toujours affirmé détester agir sous la contrainte des événements, décidait de dissoudre, cédant apparemment à l’injonction de Jordan Bardella qui l’avait évoquée comme une conséquence inéluctable si sa liste l’emportait !
Je considère que « c’est sa faute, sa très grande faute » que d’avoir permis et facilité ce triomphe du RN même si son discours dans la soirée du 9 montrait qu’il continuait à se défausser de toute responsabilité dans cette configuration démocratique révélatrice, selon Jean-François Copé, du désir des Français « d’avoir de l’ordre dans la rue, dans l’école, dans les comptes ».
Jordan Bardella a annoncé qu’il ne se présenterait pas aux élections législatives mais était prêt à assumer la charge de Premier ministre.
Pour que le président le 8 juillet prenne la décision de le nommer à Matignon, il faudrait que le RN disposât d’une majorité d’au moins 289 députés, ce qui est peu probable compte tenu du saut parlementaire que cet accroissement représenterait et de la différence entre les modalités des élections européennes et celles des élections législatives. Le RN, dans celles-ci, sera moins assuré de pouvoir tirer dans leur plénitude les conséquences des résultats du 9 juin.

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Si demain le RN, comme c’est probable, a davantage de députés et que l’Assemblée nationale verra sa composition bouleversée avec, je l’espère, une représentation forte à gauche d’une social-démocratie authentique et un échec de LFI, le président de la République sera forcément conduit à nommer un Premier ministre qui ne sera pas récusé par le nouveau groupe majoritaire, les députés macronistes étant probablement réduits dans leur nombre. Il devra tenir compte d’un certain nombre de données et on retrouve alors là la critique de la présidente de l’Assemblée nationale déplorant la dissolution et suggérant « un pacte de gouvernement, de coalition, un autre chemin ». Mais avec qui ?

Le temps des grandes manœuvres et des outrances

Eric Ciotti (qui est coupable du faible score du remarquable François-Xavier Bellamy pour l’avoir désigné trop tard tête de liste) a déclaré refuser toute alliance avec le macronisme. Marion Maréchal a tendu la main à Jordan Bardella et à quelques personnalités « patriotes ». Après avoir craché comme elle l’a fait sur LR – à l’évidence son ennemi exclusif -, qu’elle n’attende pas, de la part de ceux-ci, la moindre envie de pactiser avec « Reconquête ! ». Il serait dramatique que ces élections législatives ne consacrent pas en effet la disparition totale de la Nupes, l’exclusion de LFI de toute entreprise d’unité à gauche (après la campagne et les propos honteux de certains sur sa liste ou dans le groupe parlementaire), le retour d’une gauche inspirée par une « éthique démocratique » selon la formule de Raphaël Glucksmann et une vision susceptible de lui redonner son honneur et son influence.
J’ai conscience qu’en amont des élections à venir, au sein des partis devraient avoir lieu des remises en cause, des contritions, des repentances et de nouvelles hiérarchisations dans les appareils. On ne peut plus laisser les mêmes aux commandes et à droite plus qu’ailleurs, sauf à considérer que les jeux politiciens demeurent dominants. Si on n’adhère pas au RN, deux disqualifications incontestables pour le futur : le macronisme et l’extrême gauche. François Ruffin – je souhaite qu’il soit un jour aussi courageux à l’égard de Jean-Luc Mélenchon qu’il est grossier à l’encontre du président – a formulé sur ce dernier cette appréciation : « Nous avons un taré à la tête de l’Etat, il n’a rien écouté en gouvernant avec brutalité et arrogance ». C’est la faute, la très grande faute du président si le RN n’est pas loin du pouvoir. Avec son humanisme verbeux, il l’a fait progresser. Hors de question donc qu’il démissionne mais au moins qu’il ne reste pas pour rien !

Les castors, Macron et l’amour du risque

Notre journaliste Céline Pina n’a pas manqué une miette de la soirée électorale à grand spectacle, hier soir. Elle nous soumet et analyse trois scénarios politiques possibles pour le RN et la majorité présidentielle d’ici le 30 juin.


En annonçant la dissolution alors que les résultats définitifs n’étaient même pas tombés, Emmanuel Macron a bien réussi sa contre-soirée électorale. On a assisté en direct à la déstabilisation de ses ministres, et aux tractations de marchands de tapis en mode donjon entre Olivier Faure et Mathilde Panot. Et on a bien vu que c’est LFI qui tient le fouet… Elle s’en est d’ailleurs servie en direct. On a également assisté en direct à la main tendue de Marion Maréchal à Marine Le Pen et constaté qu’Éric Zemmour digérait mal la couleuvre. On a même eu droit à une Valérie Hayer, exaltée, s’essayant au lyrisme antifasciste en mode « ami entends-tu le vol noir des corbeaux sur la plaine ».

RN trop méchant : le retour des éléments de langage habituels

A peine l’annonce de la dissolution était-elle tombée que nous possédions déjà les éléments de langage dont nous allons avoir les oreilles rebattues durant le mois qui vient. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elles n’annoncent aucun sursaut mais plutôt la continuation du « business as usual » déguisé en « prise de conscience face à la montée du péril fasciste ». Bref le triste plat que l’on nous sert à chaque élection pour faire oublier que ce qui conduit les Français à voter RN est avant tout le sentiment que les partis dits de gouvernement les ont trahis, travaillent à détruire leur culture et leur mode de vie, le tout en faisant exploser l’insécurité, les injustices et en détruisant leur modèle social sans reconstruire de perspectives économiques et politiques. Mais pourquoi les élus se fatigueraient-ils à le faire quand il suffit de diaboliser son adversaire pour garder son poste ?

Une dissolution justifiée

Cette réaction à laquelle nous avons assisté sur les plateaux est d’autant plus regrettable que cette dissolution aurait pu être salvatrice. D’abord, parce qu’elle est parfaitement justifiée et correspond au bon usage de la Constitution de la Vème République. A partir du moment où son esprit a été abimé, en passant du septennat au quinquennat, on a supprimé la respiration électorale qui permettait au pays d’exprimer son rejet ou son accord quant à la politique menée. De ce fait, les élections européennes sont devenues des sortes de référendums sauvages, nouvelles élections de mi-mandat chargées de transmettre au pouvoir l’opinion populaire. A ce titre, les partis stigmatisés par la classe politique recueillant autour de 40% des voix, on peut dire que le désaveu est massif. D’autant que cette perspective, qui n’a rien d’une surprise, n’a pas fait bouger la moitié des électeurs. Signifiant ainsi qu’ils jugeaient inutiles de se mobiliser contre une victoire du RN. Prendre acte d’une situation où la légitimité du pouvoir est clairement remise en cause et souhaiter une clarification politique est donc la meilleure des réactions. Elle aura échoué avant même sa mise en orbite.

Il faut dire que si Emmanuel Macron est un mauvais président, c’est un habile manœuvrier. En agissant aussi vite et en ne laissant aucun délai à ses adversaires, il sait que sa soi-disant ouverture et clarification ne pourra avoir lieu. En revanche il met en difficulté morale et /ou matérielle, tous ses adversaires. A gauche comme à droite.

A gauche, le refus de la clarification politique, seul moyen de garder ses postes

Avec cette annonce, le président poursuit l’élimination de l’ancienne gauche de gouvernement. Celle-ci, dirigée par un homme sans idée ni caractère, n’a pas les premiers éléments d’une doctrine lui permettant de s’adresser aux Français en leur proposant un chemin. La soudaineté de l’annonce a montré à quel point le roi était nu car en direct, sur le plateau, on a assisté à une reddition complète d’Olivier Faure alors que personne ne lui demandait d’organiser ainsi sa propre humiliation. Mathilde Panot a alors, avec délectation, rappelé à son futur supplétif qu’il allait devoir travailler la souplesse de ses adducteurs et que l’accord électoral se ferait aux conditions de LFI. Aucun problème pour le patron du PS à qui le mode serpillière semble tenir lieu de seconde nature…

L’effondrement moral de la gauche la laisse nue

Mais me direz-vous, Olivier Faure n’a donc aucun problème avec la dérive factieuse, et « antisioniste » de LFI ? Ses références à la violence politique ? Son soutien à un groupe de tortionnaires terroristes, le Hamas, qui a commis un crime contre l’humanité ? Son révisionnisme historique ? Son instrumentalisation du conflit en Palestine pour semer la haine de la France et des Français, décrits comme soutenant un « génocide » alors qu’il n’a pas lieu ? Visiblement non.

Pourquoi ? Parce que dans l’état dans lequel est la gauche, sans union, beaucoup perdront leur poste. LFI le sait, le PS aussi. Reconstruire demanderait alors des hommes et des femmes forts, habités par une vision pour leur pays, capables de prendre leur perte et sans dire un seul mot, se mettre à reconstruire. Le modèle n’est hélas plus en stock. Etant donné le peu de temps restant et le caractère brutal, hégémonique et violent de LFI, l’accord ne se fera qu’à leurs conditions. Le PS y perdra son honneur et toute dignité. Le plus drôle est que ce parti est pourtant arrivé en tête de la gauche lors de ces Européennes. Il n’aura su en tirer aucun bénéfice, y compris symbolique : le leader du parti ayant été soumis par LFI avant même d’être vaincu et la tête de liste ayant un statut politique difficile à saisir. Raphaël Glucksmann n’apparait en effet qu’au moment des élections européennes, pour ensuite quasiment disparaître du paysage. Or le mode alternatif n’est pas idéal pour tisser un lien avec un pays.

Comment peut-on passer son temps à faire la morale et piétiner toutes les lignes rouges qui distinguent l’humaniste de l’arriviste faux jeton ? En faisant croire qu’on ne s’allie avec le diable que pour renverser l’esprit du mal. Ainsi, le PS s’allie avec LFI car il doit combattre le risque de l’arrivée au pouvoir du RN. RN qui, comme chacun devrait le savoir, est l’équivalent du nazisme. L’élément de langage est ici : « On s’est bien allié à Staline pour vaincre Hitler ». Et à ceux qui s’indigneraient d’un tel choix, il suffit de leur expliquer qu’ils sont comme ceux qui disaient « plutôt Hitler que le Front populaire » ! On a vu ce que cela donnait. Sauf que LFI et sa dérive totalitaire n’ont rien à voir avec le Front populaire. Cela fait belle lurette qu’ils ont quitté le terrain du social pour investir celui de la race et des origines.

A droite, inventaire avant liquidation ?

Côté droite, on n’est guère mieux loti. LR ne sait toujours pas s’il est un PS-bis partisan d’une Europe libérale construite contre les nations, ou s’il doit reprendre un discours axé sur le retour à la souveraineté. Le plus simple, en aussi peu de temps, est de rester dans le flou et de négocier une alliance. Et il est plus facile de justifier une alliance au centre qu’avec un RN que l’on n’a cessé de conspuer. Là aussi, en prenant LR de vitesse, le président peut espérer leur forcer la main. Mais la vraie pierre a été jetée dans le jardin du RN.

En effet, en accélérant le calendrier aussi brusquement, le président pose un problème matériel au RN, celui de trouver des candidats dans chaque circonscription. Sachant que ce n’est pas tout de les trouver, il faut ensuite les gérer. Or on a vu ce que donnait l’arrivée en masse de personnes sans éducation ni tenue au parlement. LFI, par ses outrances, a abimé la fonction de député et choqué beaucoup de citoyens. Or, pour le RN, tenir ses troupes est d’autant plus essentiel que symboliquement le mouvement de Marine Le Pen voudrait incarner une France qui reprend en main son destin.

Autre point, la rapidité d’action du président peut ralentir les effets du scrutin, autrement dit, le plafond de verre qui aurait cédé dans deux ans est, selon les calculs de la majorité, juste fendillé aujourd’hui. Cela se révèle doublement utile.

Les éléments de langage du vote castor immédiatement déployés

D’abord parce que l’annonce de la dissolution a dissout aussi les effets du scrutin européen et permet la mise en place immédiate des éléments de langage du vote castor, appuyé en cela par les commémorations du 80eme anniversaire du Débarquement. Et pour maximiser les effets miroir avec la Seconde Guerre mondiale, Emmanuel Macron se rendait aujourd’hui à Oradour-sur-Glane (87). Faire barrage devient alors le seul moyen d’éviter les réitérations de ce type de massacre. Ce qui est ballot, c’est que le dernier massacre qui rappelle celui d’Oradour a été récemment commis par le Hamas, ce mouvement tortionnaire que certains LFI qualifient de « résistants ».

Autre point, la manœuvre présidentielle de la dissolution surprise empêche de faire aboutir la stratégie de dédiabolisation. Dans les prochains jours, tous les partis vont cibler l’adversaire susceptible de l’emporter, donc le RN, alors que celui-ci n’est qu’au début de son ascension. Il va devoir se justifier d’accusations de « totalitarisme » alors qu’il a mué en parti bonapartiste depuis longtemps, dont la pratique du pouvoir ressemble en réalité aux coups politiques que vient de réaliser Emmanuel Macron : exercice solitaire du pouvoir, effacement de tous les corps intermédiaires, recours au peuple. Simplement cette évolution est récente, quand l’image ancienne, elle, est incrustée dans l’inconscient collectif. Cette dissolution n’est pas sans danger, qu’elle l’amène à arriver au pouvoir trop tôt alors que son entreprise de dédiabolisation n’est pas achevée ou qu’elle le contraigne à gérer un groupe parlementaire à la fois nombreux et marqué par trop d’amateurisme.

L’intelligence manœuvrière au service du vide

On a beaucoup parlé de « coup de poker » face à la décision d’Emmanuel Macron, mais ce n’est pas le va-tout d’un joueur. C’est bien plus cynique et pertinent. Mais, comme tout ce qu’entreprend Emmanuel Macron, c’est aussi stérile et égotiste. L’intelligence manœuvrière n’est jamais mise au service du collectif, de l’intérêt général. Or si c’est la clarification politique qui était demandée, il fallait laisser un peu plus de temps pour que les recompositions s’amorcent. Là, en mettant tout le monde dans la seringue, ce sont surtout les vieux réflexes qui vont être réactivés. Pour quel résultat ?

Première hypothèse : le coup de bonneteau accouche d’une majorité d’opportunité et d’opportunistes

Il y a quelque chance qu’une majorité hétéroclite puisse émerger en réunissant une partie de la gauche allergique à l’alliance avec LFI, un parti qui promeut l’antisémitisme et la violence politique et a ainsi des caractères fascistes bien plus réels que ceux de l’extrême-droite actuelle. Le fait de sacrifier l’intransigeance politique sur l’autel de la solidarité humaniste contre le retour du fascisme permettrait ainsi de donner de l’allure à des ruptures plus prosaïques, liées à la difficulté d’être sous la coupe d’un Mélenchon par exemple. Celle-ci réunirait ainsi les LFI sadisés par leur leader, une partie de l’ancien PS, EELV, l’actuelle majorité et des LR contraints à l’alliance avec Renaissance faute d’accepter de participer à une union des droites. On approfondirait la coalition UMPS qui gère le pays avec la plus totale inefficacité. La manœuvre permettant juste de gagner du temps et de continuer à se goberger avant l’inéluctable chute. Mais elle permettrait de se draper dans les oripeaux de la vertu. Dans ce cadre, aucun projet politique ne devrait émerger. Faire barrage était à la fois le début et la fin de ces rapprochements sans promesse.

Le communiqué que Stéphane Séjourné vient de faire en tant que responsable du parti présidentiel est révélateur sur ce point : rien sur les attentes des Français, rien sur le message envoyé à leurs gouvernants, rien sur la nécessité de répondre à l’insécurité culturelle, physique, matérielle, sociale ressentie par les citoyens. Aucun mea culpa, aucun engagement, aucune proposition. Juste un appel à faire barrage au nom des ventres féconds d’où sortent les bêtes immondes. Le problème c’est que nous l’avons vu la bête immonde. Elle se pavanait à Sciences-po et ailleurs, en instrumentalisant le drapeau palestinien et en crachant sur l’Etat juif. Nous la voyons la bête immonde quand les actes antisémites explosent après le crime contre l’humanité commis par le Hamas le 7 octobre. Cela ne dérangeait pas grand monde jusqu’alors…

La possibilité d’une majorité RN

Que le RN puisse faire la bascule, voire obtenir une majorité relative n’est pas impossible.

Mais est-il prêt à gouverner, surtout après une campagne très violente et la mise en accusation de ses électeurs ? Car on l’a entendu dès la soirée électorale, faute de proposition et de vision, nos élus sombrent dans l’exaltation et une forme d’hystérie. On croirait que le moment les a tous transformé en Jean Moulin. Ils en font des tonnes, se peignent en sauveurs de la démocratie au risque de susciter un fort sentiment d’incrédulité chez leurs compatriotes qui se demandent bien du sommet de quelle réalisation, ils peuvent ainsi jeter l’opprobre sur un autre parti. Cet antifascisme d’opérette est de moins en moins crédible mais il est encore porteur de mort sociale et de risque pour les carrières. C’est son efficacité qui va être testée lors de ce scrutin.

Le plus probable : du chaos à la crise

Et puis il y a le plus probable : un pays ingouvernable qui s’enfonce dans le chaos, des alliances de circonstances qui ne font pas un chemin vers l’avenir. La poursuite du déclin. Jusqu’à la prochaine crise.

En avons-nous encore le loisir, alors que l’ampleur de l’influence islamiste a été révélée par le score de LFI et que le parti fait clairement appel aux quartiers pour renforcer son pouvoir ? En avons-nous encore le loisir alors que le parti leader de la gauche dérive vers la haine antisémite et traite son pays et ses habitants de « génocidaires » ? En avons-nous encore le loisir, quand la population pense de plus en plus que son élite la trahit ou n’est pas à la hauteur ? En avons-nous encore le loisir alors que l’hôpital coule, que les déserts médicaux se multiplient et que les pénuries de médicaments diminuent les chances de vivre des malades ?

Le séisme politique provoqué par le président n’a hélas rien du sursaut salvateur et tout d’un festival de comptes d’épiciers et de calculs d’apothicaires. Un pas de plus dans l’impasse, en somme.

La boîte du bouquiniste

Les bouquinistes ne seront finalement pas virés des quais de Seine durant les JO. Causeur peut donc continuer d’ouvrir leurs boîtes à vieux livres.


Monsieur Ladmiral va bientôt mourir est le dernier roman de Pierre Bost (1901-1975) – adapté au cinéma par Bertrand Tavernier. Son auteur, trop méconnu, laisse une œuvre rare, laquelle, à la suite de Proust, renouvelle le roman dit psychologique.

En 1939, Pierre Bost écrit à son frère qui est au front : « Je n’ai jamais écrit pour dire quelque chose. Je n’avais rien à dire. Ce qui m’a manqué en cette matière c’est d’être intelligent. Je l’ai toujours dit sans aucune espèce de trace de fausse modestie : je n’ai pas d’idées. Ou plutôt je n’ai pas ce qu’on appelle des pensées. » Cette dernière phrase est démentie par le roman ultime de son auteur, testament littéraire qui paraît six ans après la rédaction de cette lettre.

Monsieur Ladmiral est un peintre apprécié de 76 ans. Prix de Rome, membre de l’Institut, il « reconnaissait de bon cœur qu’il n’avait jamais eu de génie. » Le vieil homme veuf vit dans sa maison de campagne de Saint-Ange-des-Bois avec sa vieille bonne. Tous les dimanches, son fils Gonzague, sa belle-fille Marie-Thérèse et leur progéniture lui rendent indéfectiblement visite. Pour ce père, Gonzague est trop sage, trop lisse, trop raisonnable ; quant à Marie-Thérèse, fort pieuse, elle a « peut-être toutes les vertus, mais bien cachées ». Ladmiral, en vérité, reproche à son fils ce qu’il reproche à sa peinture et à lui-même : d’être académique. « J’ai eu un tort, disait-il, c’est de manquer de courage. J’ai peint comme on peignait en mon temps ; comme on m’avait appris à peindre. Je croyais à mes maîtres, on nous avait tellement seriné la tradition, les règles, les ancêtres, la fidélité, et que la vraie liberté suppose d’abord l’obéissance ; et que la vraie personnalité se trouve dans la discipline ; et tout le reste. Moi, j’y ai cru, je trouvais ça bien. Et puis, à mesure que j’apprenais, que j’imitais, que j’écoutais, comme j’étais très doué, le métier entrait, et je me suis aperçu un beau jour qu’il avait pris toute la place. Cette fameuse originalité, qui doit récompenser à la fin celui qui a su d’abord se plier aux règles, je ne la voyais toujours pas venir. J’étais tombé dans le piège, quoi ! Ou alors, je la voyais bien, l’originalité, mais chez les autres, et ça, c’était le plus décourageant. »

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Le livre bascule à l’arrivée impromptue d’Irène, la fille du peintre. Elle est belle, fantasque, insouciante, irrévérencieuse, brillante et moderne ! Irène, qui vient si peu voir son père, est le contraire de Gonzague. Ah, le contraste ! D’ailleurs elle n’aime pas la peinture de Ladmiral qu’elle trouve trop sage et elle le lui dit ; alors, quand la journée se termine, que le soir tombe, qu’elle repart pour Paris où l’attend son amant, le peintre revient à son ouvrage : « Il regardait ce coin d’atelier qu’il avait commencé à peindre depuis trois jours et cherchait des secrets dans le rouge d’un coussin, dans le pli d’une tenture, avec une envie si féroce de les découvrir qu’il se sentait toujours jeune, avec une certitude si totale et si amère de ne rien trouver qu’il se sentait très vieux ; plus que vieux, mort ; plus que mort : fini. »

Il est difficile de parler du charme de ce roman sans action, mais il persiste au-delà de sa lecture – et c’est ce qui en fait tout le prix.

Pierre Bost, Monsieur Ladmiral va bientôt mourir, Gallimard, 1945.

Monsieur Ladmiral va bientôt mourir

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Retour à Kensington

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La statue du commandeur

Les éditions Séguier font reparaître les Mémoires d’Enzo Ferrari (1898-1988) sous le titre Le vertige de la vitesse, parues une première fois en France en 1964. « Il Commendatore » y explique sa vision de la course, des moteurs, des pilotes, des clients et les raisons de la persistance du mythe.


Ces mémoires sont celles d’un homme, pilote de course, directeur d’écurie et constructeur d’automobiles de sport, qui vient de connaître le plus grand drame de sa vie. Après la mort de son fils Dino en 1956, plus rien ne fut pareil. Même le goût de la victoire, cette quête permanente qui le possédait, n’avait plus la saveur originelle. Cette tragédie faillit même mettre un terme à l’aventure du cheval rampant qui, dans ce milieu des années 1960, connaissait de sérieux soucis financiers, avant l’entrée au capital de la FIAT.

Un défi à la vitesse et au temps

Ces mémoires sont celle d’un commandeur taiseux, rude, âpre, secret, pouvant se révéler un despotique meneur d’hommes aussi cassant que paternel avec ses pilotes. Un homme de caractère né à Modène, dans cette province d’Émilie-Romagne, chaudron de l’industrie mécanique de pointe italienne. Une terre fertile en inventeurs où le paysan côtoie l’ingénieur, où il n’est pas rare d’entendre dans cette campagne paisible, le vacarme d’un douze cylindres exprimant la mélodie du bonheur. Pour celui qui n’a jamais entendu cette cavalcade enchantée pleine de promesses et de stupeur, dans la furie et les cymbales, dans les vapeurs d’essence et le frisson, il est difficile de comprendre la dévotion que des millions d’Hommes portent aux voitures rouges. Maranello est le temple païen de la démesure et du fracas, le seul endroit où l’on fabrique des modèles qui défient les limites de la vitesse et du temps. Avant qu’Hollywood ne s’empare du phénomène Enzo, il est bon de revenir aux sources, c’est-à-dire à ses propres écrits.

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Dans ses Mémoires, Ferrari se veut sincère, il cachera donc ses zones d’ombre, il manie la cigüe et la caresse, il alterne plusieurs visages, professionnel, méthodique, metteur au point taciturne quand il évoque ses créations ; plus sarcastique quand il exprime son opinion sur les pilotes et la vie en général. Dans une confidence rieuse, il affirme que ses « ambitions d’enfant » étaient successivement de devenir chanteur d’opéra, chroniqueur sportif et coureur automobile. Enzo a l’humour froid des survivants ayant traversé deux guerres mondiales, l’invention du moteur à explosion, le goudronnage des routes et la voiture comme exhausteur de vie. Ces Mémoires font office de sépulture car la mort y rôde à chaque instant, sur la piste et les chemins poussiéreux. Son destin bascula lorsqu’en 1951, une Ferrari battit une Alfa Roméo, la marque dont il porta longtemps les couleurs. « J’ai tué ma mère » avoua-t-il, ce jour-là. Enzo nous raconte une jeunesse italienne dans un XXème siècle chaotique. Il nous délivre aussi sa philosophie, ses préceptes directeurs dans la conception et l’évolution des machines. Il se définit avant tout comme un « créateur de moteurs ». Ainsi, il accorde plus d’importance à la puissance de la bête tapie sous le capot qu’au châssis.

Fangio, l’heure des comptes

Sous sa plume défilent tous les plus grands pilotes des années 1920 jusqu’à l’après-guerre. On y retrouve nombre de ses compatriotes italiens, il fait d’eux un portrait psychologique aussi vigoureux que le V12 Colombo vous arrache des larmes à l’accélération. Il ne tarit pas d’éloges sur Antonio Ascari : « c’était un garibaldino, comme on appelle en argot de métier les pilotes qui privilégient le courage et le brio au froid calcul de ceux qui réussissent à chaque fois à mesurer parfaitement les virages ». Peu avare en compliments, il s’incline devant le style de Nuvolari et de Moss : « des hommes qui, sur n’importe quelle machine, dans n’importe quelle circonstance et sur n’importe quel circuit, prenaient tous les risques pour gagner et qui, en dernière analyse, semblent dominer le lot ». Il règle son compte à Fangio dont leur incompatibilité d’humeur ferait à elle seule le sujet d’un long métrage. « Fangio était vraiment un grand pilote, mais affligé de la folie de la persécution », écrit-il.

Ces Mémoires reviennent sur les succès de la Scuderia mais aussi sur la production des voitures de série qui allaient faire fantasmer les anonymes comme les célébrités. Enzo classifie avec drôlerie ses clients en trois catégories : le sportif, le quinquagénaire et l’exhibitionniste. Il nous parle des liens intimes avec certain d’entre eux comme l’ex-roi Léopold de Belgique ou encore Roberto Rossellini, Ingrid Bergman et Anna Magnani. Un jour, peut-être, comme ces illustres détenteurs du mythe, nous pousserons les portes de l’usine de Maranello.

Mémoires – Le vertige de la vitesse – Enzo Ferrari – Séguier, 224 pages.

La République des salopards

La Ve République du général de Gaulle a tout fait pour qu’on oublie la IVe, peu reluisante. Au lendemain de l’Occupation, le régime parlementaire est celui de la corruption et de l’imposture, un bal d’escrocs et d’anciens collabos. Sans fard, le nouveau livre d’Éric Branca nous rafraichit la mémoire.


La IVe République est une période méconnue de l’histoire contemporaine. On en a une vague idée : la valse des ministères, des hommes en costume gris au visage fermé… La France n’est plus en guerre mais on respire mal. C’est qu’il est difficile de digérer quatre années d’occupation allemande orchestrées par un vieux maréchal et un maquignon en cravate blanche qui n’aura rêvé que de la victoire du nazisme. C’est une scène de théâtre où s’agite une flopée de spectres. L’intérêt réside dans les coulisses du pouvoir et ce que nous raconte Éric Branca, preuves à l’appui, est hallucinant. Il s’agit en réalité d’une des périodes les plus folles de notre pays. On apprend que d’immenses fortunes se sont édifiées sur le crime et la corruption ; des carrières fulgurantes, reposant sur l’imposture, se sont mises en place avant de sombrer dans la honte. D’anciens collaborateurs sont parvenus au sommet de la hiérarchie judiciaire et ont présidé les grands procès de l’Épuration. À tous les étages de la société, le travestissement règne. Quant au mensonge, il est la règle d’airain. Pour paraphraser Jean-Luc Godard, 1946 ressemble à une assiette sale.

Cas rocambolesques

Branca résume « les spectres » en question : « Ses protagonistes ne furent pas seulement des mythomanes ou de classiques escrocs tirant leur pouvoir de l’impéritie de l’État, mais bien souvent d’authentiques « salopards » – selon la terminologie d’alors – et parfois des assassins passés sans transition du statut de collaborateur des nazis à celui de « princes du système » pour reprendre l’expression rendue célèbre par Michel Debré. » Tous ces « salopards » profitent du chaos spectaculaire de l’après-guerre. Un couloir sombre s’est créé entre deux mondes et les plus perfides s’y sont engouffrés, laissant la morale à la consigne des objets trouvés.

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Les exemples rapportés par Éric Branca sont nombreux. Ils sont tous incroyables pour ne pas dire écœurants. Il évoque surtout ceux qui ne sont guère connus du grand public, laissant de côté, par exemple, René Bousquet, ancien secrétaire général de la Police de Vichy, coordonnateur de la rafle du Vél’ d’Hiv, acquitté en 1949 par la Haute Cour de justice au terme de seulement trois années de prison, et qui restera, jusqu’à son assassinat en 1993, l’ami intime de François Mitterrand. Branca s’attarde plutôt sur des cas rocambolesques, comme celui de Roger Peyré. En 1944, ce riche négociant en tissus est à la fois membre de la Milice et du PPF de Jacques Doriot. Il est sous le coup d’un mandat d’arrêt pour intelligence avec l’ennemi. Il parvient à s’enfuir mais se fait arrêter, puis s’échappe à nouveau. Il est jugé par contumace et condamné en 1946 à l’indignité nationale. Ses biens sont alors confisqués. On le retrouve deux ans plus tard, lavé de tout soupçon et décoré de la Légion d’Honneur pour « services exceptionnels ». Il se murmure qu’il fut un « agent double ». Mais la mascarade ne s’arrête pas là. Cet ancien milicien aura ses entrées jusqu’à l’Élysée. Il finira par « tomber » à la suite d’une magouille politico-financière évoquée par Branca. On épluchera sa comptabilité faite de multiples pots-de-vin versés et reçus. De nombreux autres collabos seront recyclés par la CIA, sorte de 5e colonne d’agents dormants, dans le but d’infiltrer les différents gouvernements occidentaux pour prévenir une éventuelle invasion de l’Europe de l’Ouest par l’URSS. Le chapitre intitulé « Les imposteurs de la guerre froide » est particulièrement édifiant. Face à un tel « fleuve d’immondices », formule d’Alexandre Vialatte, on comprend que le général de Gaulle ait souhaité imposer le mythe d’une France à son image, « tout entière tendue vers sa reconstruction après avoir communié avec lui dans « un seul combat pour une seule patrie » », rappelle Éric Branca. De la même manière, il demande à André Malraux de créer le mythe de la France résistante avec le discours du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon. Chassé par les partis, en 1946, l’homme du 18-juin reviendra en force en 1958 pour donner le coup de grâce à cette IVe République putréfiée.

Une décennie et puis s’en va

Dans ce contexte, les États-Unis ont la mainmise sur l’Europe de l’Ouest. D’abord sur le plan économique avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), dont le pro-atlantiste Jean Monnet accepte, en 1951, d’être le premier secrétaire général. Étienne Hirsch, son successeur comme commissaire au Plan, lors d’un entretien, est sans ambiguïté : « La question de la modernisation de la sidérurgie n’a pas joué. Nous voulions trouver quelque chose qui puisse amorcer la construction de l’Europe. Notre préoccupation était d’arriver à la disparition des souverainetés nationales. » Ajoutons à cela les colossales subventions du plan Marshall difficilement refusables qui vont acculturer les Européens à l’Americain Way of Life, faisant d’eux de futurs consommateurs de produits… américains. Enfin le rôle pernicieux de la Communauté européenne de défense (CED), dénoncé par Michel Debré, futur « père » de la constitution de la Ve République. Ce rôle consiste à créer une armée européenne, avec des institutions supranationales placées sous l’autorité du commandant en chef de l’OTAN, lui-même nommé par le président des États-Unis. Éric Branca révèle le poids respectif de chaque contingent national au sein de cette armée européenne. On constate que le poids de l’Allemagne aurait dû être de 33,6%, tandis que celui de la France n’aurait pas atteint les 25%. La confiscation de notre souveraineté était programmée.

Après avoir refermé La République des imposteurs, la trahison de nos dirigeants fait froid dans le dos. Mais comme le souligne Branca : « Moins de huit ans après son avènement, la IVe République s’est brisée sur la défiance des Français. » La défiance est une lame de fond qui finit par tout emporter.

Éric Branca, La République des imposteurs. Chronique indiscrète de la France d’après-guerre, 1944-1954. Perrin, 2024.

Métamorphoses argentines

Tamara Kostianovsky transmue ses souvenirs argentins en créant, à partir de textiles recyclés, des trompe-l’œil spectaculaires curieusement raffinés.


Une souche immense et multicolore est fixée au mur. Le quartier de bœuf marbré de toile de Jouy tourne lentement devant un Desportes gourmand, la Nature morte du Régent (1716), où un perroquet immangeable contemple des volailles bardées. Des perroquets se détachent en relief des grands carrés de tissu d’ameublement comme s’ils venaient de prendre vie sans renoncer à leur matière initiale.

Le Musée de la Chasse et de la Nature, qui a entamé il y a quelques années déjà une lente mue vers l’art contemporain, exposant les relations entre l’humanité et le monde animal sur un mode moins prédateur, offre aux visiteurs un spectacle très réussi, surtout dans les moments où les œuvres de Tamara Kostianovsky se mélangent aux salles permanentes : un vautour de tissu est suspendu au milieu d’un salon XVIIIe, une souche aussi colorée que des robes de Chardin s’épanouit sur un parquet ciré, entourée de tentures bleues, et, surtout, trois quartiers de viande, à peine sortis d’un abattoir, tournent à l’unisson dans un salon reculé aux murs élégamment sombres.

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Ces trois pièces ont une silhouette réaliste mais sont constituées d’un patchwork de tissus d’ameublement mis au rebut : c’est une débauche de couleurs et ces quartiers féériques abritent une vie intérieure surprenante, des volatiles de tissu, eux aussi, qui nichent au cœur des carcasses, aussi à l’aise que dans une forêt tropicale : Tropical Rococo (2021) réussit une synthèse inédite entre un esprit XVIIIe qui aime la nature et l’exotisme, un discours écologique contemporain, celui de l’upcycling (utiliser un matériau de rebut, sans le détruire, pour créer un objet neuf à la valeur supérieure), et la réflexion biographique d’une artiste tout-à-fait contemporaine pour qui représenter une viande argentine est l’occasion de dénoncer « l’élevage de masse et l’abattage de jeunes veaux, interpellant sur la cruauté inhérente à ces pratiques » sans se borner, bien sûr, à un message aussi simple : son travail « s’étend à des questions cruciales telles que la violence faite aux femmes, des thèmes puisés dans son histoire familiale et notamment l’assassinat de sa grand-mère, la surconsommation et les conséquences écologiques de nos habitudes alimentaires. »

© RX & SLAG, Paris, NY — Théo Pitout

Le croirait-on ? Ça ne se voit pas – ou plutôt ça ne se voit plus, car si Tropical Rococo reprend le thème des carcasses, déjà traité sur un mode plus réaliste et avec la même technique de “sculpture” de tissus (l’artiste ayant découvert cette voie suite à une lessive malencontreuse ayant rétréci tous ses vêtements, felix culpa), ces carcasses nouvelles n’ont plus rien de macabre. La vie surabonde, le trompe-l’œil subversif est désarmé par l’assemblage bigarré des tons vifs, la forêt a littéralement pris possession de leurs formes. La charge de critique sociale en est amoindrie, tempérée, sans qu’on arrive à le regretter tant l’équilibre est satisfaisant entre l’évocation d’une forme brutale et sa disparition dans le récit joyeux d’un morceau de forêt tropicale éclosant dans un salon.

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Les autres œuvres, dispersées au gré des salles du musée (excellente occasion de revoir les circonvolutions emplumées de Kate MccGwire, le Bouquet royal en os de volaille et lapin de Corine Borgnet, le Paysage vu du train de Philippe Cognée ou la Leda de Karen Knorr), offrent le même joyeux contraste entre une forme naturelle identifiable et saugrenue, une matière qui révèle de près son premier usage, et des couleurs douces ou éclatantes qui enlèvent toute réalité à l’objet en même temps qu’on en identifie la nature supposée. Les œuvres de Tamara Kostianovsky ont parfaitement leur place dans l’hôtel de Guénégaud avec leur rapport à la fois clair et distancié avec l’animalité et l’affirmation d’un regard personnel et humain sur la nature.


« La chair du monde »,Tamara Kostianovsky. Musée de la Chasse et de la Nature, jusqu’au 3 novembre 2024.

L’énigme Salazar


Énigmatique figure que celle d’Antonio de Oliveira Salazar (1889-1970), professeur à l’Université de Coimbra appelé tout jeune par les militaires à occuper les postes de Ministre des Finances d’un Portugal dans la tourmente depuis la proclamation de la République en 1910, ensuite de Président du Conseil, qu’il resta de 1932 à 1968. « Dictateur modéré » selon Jacques Bainville, Salazar, o Doutor (le Docteur) instaura l’Estado Novo, un régime autoritaire qui ne se confondit jamais avec le fascisme italien ni même avec le franquisme, et aux antipodes du national-socialisme. Le mot d’ordre de ce régime singulier pourrait se trouver chez Juan Donoso Cortès, un auteur contre-révolutionnaire espagnol qu’affectionnait Salazar : « Quand la légalité suffit pour sauver la société, la légalité ; quand elle ne suffit pas, la dictature ». Loin de l’exaltation frénétique de la nation propre aux mouvements fascistes comme des formes extrêmes de pouvoir, l’Estado Novo fut une dictature fondée sur une vision spirituelle et non économique de l’homme. Maurras, qui admirait Salazar, disait qu’il avait rendu à l’autorité « le plus humain des visages ». Frugalité et probité (indéniables chez o Doutor, plus douteuses chez divers caciques du régime), décence (surjouée, mais réelle), prudence, ruse furent les qualités du maître intraitable du Portugal, qu’il entendait protéger du monde moderne de ce qu’il considérait comme le fléau des fléaux : « le mal diabolique de la confusion des concepts ».

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La copieuse biographie qu’Yves Léonard, qui enseigne à Sciences Po, consacre à Salazar retrace assez bien le parcours de ce chef d’État unique, et ce malgré un style parfois scolaire, toutefois compensé par la richesse des sources consultées, dont les archives diplomatiques, celles de la redoutable PIDE, la police secrète de l’Estado Novo, et surtout les précieux Diarios, ces journaux du Doutor tenus scrupuleusement de 1933 à 1968. Curieusement, Léonard ne cite pas les deux intéressants essais de Mircea Eliade, diplomate en poste à Lisbonne pendant la guerre, et de Paul Sérant, bon connaisseur des milieux non-conformistes.

Formé dans sa studieuse jeunesse par la lecture de Gustave Le Bon, de Maurras et de Barrès, des catholiques sociaux René de la Tour du Pin et Frédéric Le Play, Salazar se voyait, tout jeune, comme « le Premier ministre d’un roi absolu ». Refusant le parlementarisme, hostile au libéralisme comme au socialisme, ce moine dictateur (qui n’était nullement bigot et qui abhorrait la démocratie chrétienne) était un technocrate avant la lettre, d’ailleurs admiré à Vichy, qui réussit à maintenir un régime élitaire en réalité peu structuré : des experts, tous professeurs comme lui, une police tenue d’une poigne de fer, des militaires en laisse, un clergé soumis – un exemple parfait de verticalité et de pouvoir personnel, sans bain de sang ni terreur.

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L’un des chapitres les plus passionnants retrace par le menu les louvoiements de Salazar pendant la Seconde Guerre mondiale, où, fidèle à la vieille alliance avec l’Angleterre (« être aux côtés de qui contrôle l’Atlantique »), il joue au plus fin avec Hitler et Mussolini avec dans sa manche une carte maîtresse, les Açores, à l’importance stratégique pour les Alliés dans le cadre de la guerre sous-marine. Un autre chapitre traite de la question de l’Outre-Mer (Angola, Mozambique, Guinée portugaise, etc.), présentées par la propagande comme des provinces ultramarines du Portugal dans le cadre d’un improbable « lusotropicalisme », idéologie du métissage rédempteur. Comme disait Paul Morand, « c’est le Portugal qui enseigna les océans à l’Europe de la Renaissance ». Salazar crut pouvoir reprendre cette mission de professeur infaillible par le truchement d’une dictature des premiers de classe. Il faisait ainsi du Portugal une sorte de Tibet atlantique dont il aurait été l’ultime Dalaï Lama. Une figure romanesque en somme, et qui fascina les antimodernes Pierre Benoit, Jacques Chardonne et Michel Déon.

Yves Léonard, Salazar. Le dictateur énigmatique, Perrin, 520 pages

Salazar: Le dictateur énigmatique

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Bardella: le triomphe tranquille

Jordan Bardella, hier soir à Paris © Chang Martin/SIPA

RN, Reconquête: deux salles, deux ambiances. Nos deux reporters se sont faufilés aux soirées électorales de la droite nationale. A 20 heures, le score de la liste de Jordan Bardella confirme les estimations les plus optimistes. A 21 heures, le président de la République annonce la dissolution de l’Assemblée nationale. Marine Le Pen l’assure alors: « Nous sommes prêts à exercer le pouvoir si les Français nous font confiance lors de ces futures élections législatives. Nous sommes prêts à redresser le pays ». Éric Zemmour, de son côté, rêve d’une Nupes de droite, pour que les idées nationales soient majoritaires et s’emparent de l’Assemblée.


Rarement les ennuyeuses élections européennes auront autant bousculé la vie politique française ! La cuvée 2024 aura réveillé les abstentionnistes, accéléré la recomposition de la vie politique française et contraint Emmanuel Macron à un bouleversement institutionnel. Au prix d’un coup de tonnerre présidentiel peu après 21 heures, la banale soirée électorale qui ennuyait tout le monde s’est transformée en un été électoral à trois tours.
Nos deux reporters, réunis la semaine dernière au meeting de Jordan Bardella, se sont cette fois séparés, l’un à la soirée électorale du Rassemblement National, l’autre à celle de Reconquête, pour capter l’ambiance des deux salles •


Reconquête et RN : deux salles, deux ambiances

Bois de Vincennes, les familles achèvent leur promenade dominicale dans le parc floral et le RN réunit ses soutiens au Pavillon Chesnaie du Roy (12e arrondissement). Le champagne est au frais ; prudents, les sympathisants sont encore au blanc. Vers 19h, les premiers chiffres circulent. L’enjeu pour le parti restait la mobilisation de sa base électorale, réputée perméable à l’abstention. « Quelques remontées nous viennent de nos députés et elles sont excellentes… » assure un candidat bien placé sur la liste. Emeric Salmon, député de Haute-Saône, concède un certain soulagement : « Je disais ces derniers jours aux militants qu’il faudrait se satisfaire d’un score de 28 ou 29%… Ils étaient tellement motivés, alors si le résultat n’était pas la hauteur de ce qu’on annonçait dans les sondages, cela aurait été forcément décevant ». Le scénario noir des régionales de 2021, où l’abstention massive de l’électorat RN avait douché les espoirs du parti, reste dans les esprits.

Rue Goujon (8e arrondissement), les premiers militants se retrouvent dans les étroites pièces du QG de Reconquête. Rapidement, la chaleur et la foule rendent la déambulation difficile. Pour le moment, les jeunes gens sont surtout inquiets du résultat de la finale masculine de Roland-Garros ! Et parmi les militants, la crainte que la balle frôle la ligne blanche des 5% et retombe du mauvais côté est difficile à dissimuler… Des papiers incendiaires, sur un possible clivage au sein du parti, et même sur son imminente explosion (dans les colonnes du JDD), sont commentés à bas bruit. Si l’on en veut un peu à Geoffroy Lejeune d’avoir laissé passer cet article en plein scrutin, des militants reconnaissent que le choix fait par la tête de liste de taper à fleurets mouchetés sur la liste Bardella était en effet discutable, « puisque les réserves de voix étaient plutôt chez eux ». En fin d’après-midi, le président du parti, Éric Zemmour, fait un rapide tour parmi les troupes, suscitant la première bouffée d’enthousiasme de la soirée.

Soulagement et triomphalisme

A 20 h, le score est sans appel et confirme les estimations les plus optimistes. Avec 32%, voici le RN hégémonique à droite.

A Reconquête, pourtant, c’est le soulagement. L’apparition du visage de Marion Maréchal est associée au chiffre de 5,1% sur la première chaine. En zappant sur d’autres chaines, le score est même légèrement meilleur. Les militants laissent échapper leur joie : « Marion députée ! ». Samuel Lafont, directeur de la stratégie numérique et des levées de fonds au sein du parti, nous l’assure : « Nous avons le bon diagnostic. Nous avons la ligne qui paiera à long terme. Avec ces cinq députés que nous obtenons, nous entrons dans la cour des grands partis ». L’apparition sur les écrans du rival numéro 1, Jordan Bardella, est accueillie diversement. Quelques huées ne sont pas retenues.

Côté RN, si on écrase la concurrence, on se garde de tout triomphalisme, dans les discours comme dans les commentaires. Jordan Bardella appelle « à l’humilité et la responsabilité ». La salle, d’ailleurs polie, acclame sans déversement de joie excessive la confirmation d’un triomphe qui était finalement attendu. Faut-il anticiper des changements institutionnels ou politiques, au niveau européen ? Le président du parti vient bien d’appeler le président de la République à dissoudre l’Assemblée. Gaëtan Dussausaye, 29e sur la liste et nouveau député européen tempère : « On verra plus tard pour tout ça, d’abord on savoure le triomphe. Nos idées gagnent du terrain. Les Français ont compris que nous étions prêts pour l’alternance. » La consigne est appliquée à la lettre : responsabilité, humilité.

Coup de poker présidentiel et coup de théâtre politique

Un coup de théâtre vient secouer le triomphalisme tranquille du RN. Lors de son allocution présidentielle, annoncée en début de soirée, Emmanuel Macron annonce l’emploi de l’article 12 : « dissolution » ! Les militants se laissent alors aller à l’euphorie. Des jeunes courent dans les jardins et hurlent leur joie. A annonce exceptionnelle, mesure exceptionnelle : le secrétaire général du Parti, Gilles Pennelle, gueule un bon coup pour battre le rappel des troupes : « Allez, allez… la fête est finie. Tous au siège ! On a un boulot ». Message reçu. Une militante habituée des lieux se réjouit « de reprendre le balai et la colle dès ce soir ». Les cadres du parti désertent un par un le parc floral. Comme saisis par le vertige, les militants affichent leur confiance et se disent certains d’envoyer une majorité RN à l’Assemblée ! Jean-Lin Lacapelle assure que tout est prêt en interne : « Nous avons prévu un dispositif Matignon au cas où Emmanuel Macron dissoudrait l’Assemblée ». Les photos seraient déjà faites… mais, on presse tout de même les cadres pour se faire tirer le portrait à l’étage. Fidèle à sa réputation d’intellectuel sage et mesuré, Pierre-Romain Thionnet tient un discours très « force tranquille » : « Macron espère faire peur aux Français en agitant la menace du désordre institutionnel et réactive la diabolisation, mais je pense que cela n’aura aucun effet. Les Français veulent vraiment sanctionner le président. » Il retournera probablement affronter Charles de Courson, en Haute-Marne, contre lequel il avait largement échoué en 2022.

Vers une Nupes de droite ?

Le coup de théâtre n’est pas moindre chez Reconquête, rue Goujon. Et à vrai dire, la soirée commençait à devenir longuette quand l’allocution présidentielle débute. Si le président Macron a réussi quelque chose ce soir, c’est bien de transformer les huées habituelles que lui réservent les militants Reconquête en hourras et en applaudissements à l’annonce de la dissolution. Pour les journalistes, l’annonce de deux tours en plus en ce début d’été a le goût d’une deuxième part de gâteau. Pour les communicants du parti, cette épreuve de sprint imposée trois semaines après la fin du marathon des Européennes, et à quelques jours du début des JO, ne réjouit pas franchement. Et il n’est pas dit que dans le coup de poker présidentiel, on ne mise pas sur l’épuisement des troupes parmi les partis rivaux… Pour les militants, la possibilité de constituer « une Nupes de droite » dans les prochains jours redonne de la vigueur dans les rangs. La grande alliance des droites est ici dans tous les esprits – un mythe mobilisateur pour la base, et une planche de salut pour les cadres du parti. Les yeux des militants pétillent, quand Marion Maréchal l’appelle explicitement dans son discours, citant comme partenaires les LR, Dupont-Aignan et le vainqueur du jour Jordan Bardella.

Ces alliances qui font rêver Reconquête, il en est à peine question au RN. Alexandre Loubet, le directeur de la campagne des Européennes du RN, tient un discours combattif mais botte en touche sur les questions qui fâchent comme celle des alliances électorales. Le RN a de bonnes chances d’arriver en tête le 30 juin, mais pourra-t-il être majoritaire sans alliance, coalition ou accords avec des partenaires politiques ? Un collaborateur parlementaire proche de la direction dédaigne tout cartel des droites, et assure « qu’historiquement la droite n’a pas la culture de l’alliance mais de la domination. Bien malin celui qui peut dire ce qui se passera… je ne m’appelle pas Madame Irma ». Raphael Audouard, responsable de la fondation Identité et Démocratie, préfère rester à un poste d’observateur : « Ce sont à ces forces politiques concurrentes de se positionner par rapport à nous. » Sous-entendu : pas d’accords de partis pour l’instant, mais tout ralliement individuel est évidemment le bienvenu… La question des alliances ne se pose donc pas vraiment au RN ; le parti entend exercer son hégémonie sans faire de concessions à ses concurrents. 

Les cadres désertent rapidement le parc floral. C’est que les investitures vont se négocier rapidement et nerveusement, sans doute jusqu’au bout de la nuit. Au siège du parti, un bureau exécutif exceptionnel est convoqué pour 22h. A Reconquête, les deux leaders interviennent tour à tour. La décomposition du parti promise par des oiseaux de mauvais augure n’est pas pour tout de suite, mais la différence des stratégies s’exprime encore dans les deux discours. Marion Maréchal se réjouit de son choix, qui ouvre une perspective d’alliance. Pour que l’idée d’union ne divise pas, Stéphane Ravier nous confie : « Zemmour et Marion ont tous les deux raison, et en même temps, ils ont tous les deux tort ». Jamais Marseille n’avait été aussi proche de la Normandie (P’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non…). Et en même temps, jamais la rue de Goujon n’était aussi loin d’une union avec le Pavillon Chesnaie du Roy…

Bumble: premier (faux) pas

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D.R

Jusqu’à ce jour, sur Bumble, c’étaient les femmes qui faisaient le premier pas…


Riche de 60 millions d’utilisateurs, mais souhaitant augmenter sa part de marché, Bumble, le numéro 2 du lucratif secteur des rencontres amoureuses (derrière Tinder), a décidé d’offrir une nouvelle fonctionnalité à ses utilisatrices : « Opening Moves ». Les catherinettes américaines disposaient jusqu’à cette date d’un privilège inaliénable : sur Bumble, pour les matchs hétérosexuels, la femme devait faire le premier pas. Une fois le « match » établi, la pauvrette avait vingt-quatre heures pour envoyer son premier message, sans quoi le match expire. L’homme, lui, ne pouvait pas envoyer de message ! Une façon pour l’application de donner le pouvoir aux femmes, qui faisait toute sa singularité jusqu’alors…

Il est déjà amusant de noter que les homosexuels ne bénéficiaient pas de ce privilège.

Mais, devoir lancer et relancer la conversation étant harassant, l’application offre désormais la possibilité de laisser les hommes s’en charger ! Psychologie féminine, chasseur, chassé(e)… nous n’épiloguerons pas sur ces points !

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Le fonctionnement initial s’expliquait par le traumatisme subi par la fondatrice de Bumble, Whitney Wolfe Herd, laquelle avait quitté son ancien employeur Tinder en 2014 avec fracas, le poursuivant pour discrimination et harcèlement sexuels et obtenant un million de dollars de dédommagement. En lançant son concurrent, elle promettait des rencontres enfin débarrassées des comportements grossiers ou sexistes, tels que l’envoi de dick pics ou le harcèlement. Pourtant, selon Bumble, 91 % des femmes préfèrent la nouvelle fonctionnalité où elles n’ont pas à faire le premier pas. Malheureusement pour Bumble, la compagnie a dû présenter ses excuses après une campagne marketing où l’on pouvait lire des messages tels que « un vœu de célibat n’est pas la réponse » ou « tu n’abandonneras pas les fréquentations et ne deviendras pas religieuse », jugés discriminants envers les utilisatrices qui choisissent d’être abstinentes.

Jamais contentes ! On avait compris que les filles les plus délurées étaient chez Tinder.

Pour l’union des droites!

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Marion Maréchal, devant le siège du Rassemblement national, pour rencontrer Marine Le Pen et Jordan Bardella, le 10 juin 2024 © Jeanne Accorsini/SIPA

Les élections européennes ont démontré qu’une majorité de Français votaient à droite. Les élections législatives qui s’annoncent devraient être une chance à saisir pour voir naître une union des droites. Tout les rassemble, mais ce n’est pas suffisant…


Les résultats des élections européennes ont démontré, s’il en était besoin, que la France a bel et bien basculé à droite. Que l’on en juge : le score cumulé de Glucksmann, Aubry et Toussaint – 29,14% – n’atteint même pas le niveau de Bardella seul ; quant au score cumulé des droites, avec Bellamy et Maréchal, il monte à 44,17% !

Une chance à saisir pour la vraie droite

Le président de la République lui-même, prenant acte de la rupture entre les idées qu’il porte et les aspirations du peuple français, a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale, une première depuis 1997. Les élections législatives seront l’occasion de changer de majorité parlementaire et de permettre, le cas échéant, la nomination d’un gouvernement de cohabitation. Pour la vraie droite, c’est une chance à saisir, loin d’être purement théorique : il suffit d’écouter les cris d’orfraie de la gauche en panique !

Mais si la droite française veut rester crédible, gagner les élections, enfin gouverner le pays, elle doit d’abord s’entendre, et dégager les hauts-reliefs d’un programme commun ; car en dépit de leurs fausses oppositions, inhérentes au jeu démocratique, Marine Le Pen, Éric Zemmour et François-Xavier Bellamy sont d’accord sur l’essentiel, c’est-à-dire sur tout.

Tous les trois se disent nationalistes, conservateurs et républicains. Leur priorité commune réside dans la sauvegarde de l’identité nationale ; pour cela, ils veulent chacun limiter l’immigration et favoriser l’assimilation plutôt que l’intégration.

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Sur l’immigration, ils se trouvent en accord avec la majorité du peuple français, qui d’une part en fait constamment l’une de ses préoccupations majeures, et d’autre part la juge largement déraisonnable. Par conséquent, ni Reconquête, ni Les Républicains, ni le Rassemblement national ne seront défavorables au moins à une augmentation des forces de la police aux frontières, à une réduction drastique des aides sociales accordées aux étrangers, à un durcissement du droit des migrants en matière d’asile et d’OQTF, ainsi qu’à une limitation du droit au regroupement familial.

Quant à la politique d’assimilation, les outrances, les accointances douteuses de La France Insoumise avec l’islamisme radical devraient paradoxalement favoriser sa mise en œuvre commune. De fait, aux yeux d’une certaine gauche, défendre la laïcité, et surtout nos vieilles valeurs humanistes et libérales, c’est être islamophobe et se faire le complice de l’extrême-droite : qu’à cela ne tienne ! Que la droite et l’extrême-droite soient donc complices et gouvernent en limitant au maximum la propagande islamiste contraire à nos principes historiques, par la fin des financements directs ou indirects de ces idéologies, la dissolution des organisations et lieux de culte les promouvant, ou l’interdiction des tenues islamistes dans l’espace public.

Laïcité, école : les partis de droite d’accord

Le propre d’une politique conservatrice, c’est également de croire en la nécessité d’une verticalité mesurée mais efficiente, favorisant à la fois la sécurité publique et la promotion des élites. Sur ce sujet, nos droites sont de nouveau d’accord : elles partagent les idées d’une présomption de légitime défense des policiers, de l’instauration de peines planchers, puis de l’impératif d’une réforme du code de procédure pénale devant rendre la justice plus rapide et plus ferme. L’École aussi gagnerait à une réforme ambitieuse née de l’alliance des droites : car elles soutiennent unanimement – en harmonie avec l’écrasante majorité du peuple – l’urgence d’un recentrage sur les savoirs fondamentaux, ainsi que le rétablissement de la discipline et de l’autorité. Les classes de niveaux, timidement tentées par Gabriel Attal ministre de l’Éducation nationale, avaient été accueillies très favorablement par le vaste camp des conservateurs ; il faudrait aller plus loin et supprimer le collège unique, imposer le port de l’uniforme, responsabiliser les familles des absentéistes et perturbateurs par la suspension des allocations, rendre plus sélectifs les examens, et d’une manière générale, revenir aux anciennes méthodes pédagogiques (le cours magistral et l’apprentissage par cœur) qui de tous temps ont fait leur preuve.

Je pourrai continuer encore longtemps, évoquant tour à tour les familles, les charges sur les entreprises, la confiscation de la vraie démocratie par les juges et les conseillers, mais je m’arrêterai là ; car les électeurs de M. Bardella, de Mme Maréchal et de M. Bellamy n’auront nul besoin d’une longue argumentation, pour tomber d’accord et sur les constats, et sur les solutions.

En 2022, la Nupes avait permis à la gauche de faire un carton plein à l’Assemblée. Éric Zemmour a proposé aux droites de s’unir : c’est l’heure. Qu’attendent-elles ?


Elisabeth Lévy : « Les électeurs de droite sont prêts à l’union »

Emmanuel Macron: c’est sa faute, sa très grande faute…

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Le président Macron à Oradour-sur-Glane (87), aujourd'hui © Eliot Blondet-POOL/SIPA

Dissolution. Alors qu’on nous dit que le président de la République ne supportait plus son absence de majorité claire au parlement, et sa situation, notre chroniqueur s’étonne qu’il n’ait pas plutôt décidé de démissionner après la déroute de la liste « Renaissance » aux élections européennes. Analyses.


La liste conduite par Jordan Bardella voulait faire des élections européennes un test national, une machine de guerre contre Emmanuel Macron. La victoire écrasante du RN est la preuve implacable de la justesse de ce dessein. Qui a été renforcé tout au long, lors de la déconfiture programmée de la liste Hayer, par l’incroyable et indécente implication du couple exécutif dans une campagne qui, parce qu’elle était prétendue seulement européenne, aurait dû le laisser sur la réserve. Est-ce alors porter atteinte à la dignité du président de la République que de suggérer qu’il y avait une solution, plus que toute autre conforme à un choix gaullien, pour dénouer cette crise politique ? La démission du président de la République désavoué comme jamais et contraint d’ordonner une dissolution de l’Assemblée avec des élections législatives précipitées le 30 juin et le 7 juillet.

9 juin 2024 : une date historique

Ainsi ce président qui n’avait cessé de se vanter d’être l’unique rempart contre le RN, avec déjà un premier accroc capital tenant aux 89 députés de ce parti, englué dans une impasse au soir du 9 juin, alors qu’il avait toujours affirmé détester agir sous la contrainte des événements, décidait de dissoudre, cédant apparemment à l’injonction de Jordan Bardella qui l’avait évoquée comme une conséquence inéluctable si sa liste l’emportait !
Je considère que « c’est sa faute, sa très grande faute » que d’avoir permis et facilité ce triomphe du RN même si son discours dans la soirée du 9 montrait qu’il continuait à se défausser de toute responsabilité dans cette configuration démocratique révélatrice, selon Jean-François Copé, du désir des Français « d’avoir de l’ordre dans la rue, dans l’école, dans les comptes ».
Jordan Bardella a annoncé qu’il ne se présenterait pas aux élections législatives mais était prêt à assumer la charge de Premier ministre.
Pour que le président le 8 juillet prenne la décision de le nommer à Matignon, il faudrait que le RN disposât d’une majorité d’au moins 289 députés, ce qui est peu probable compte tenu du saut parlementaire que cet accroissement représenterait et de la différence entre les modalités des élections européennes et celles des élections législatives. Le RN, dans celles-ci, sera moins assuré de pouvoir tirer dans leur plénitude les conséquences des résultats du 9 juin.

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Si demain le RN, comme c’est probable, a davantage de députés et que l’Assemblée nationale verra sa composition bouleversée avec, je l’espère, une représentation forte à gauche d’une social-démocratie authentique et un échec de LFI, le président de la République sera forcément conduit à nommer un Premier ministre qui ne sera pas récusé par le nouveau groupe majoritaire, les députés macronistes étant probablement réduits dans leur nombre. Il devra tenir compte d’un certain nombre de données et on retrouve alors là la critique de la présidente de l’Assemblée nationale déplorant la dissolution et suggérant « un pacte de gouvernement, de coalition, un autre chemin ». Mais avec qui ?

Le temps des grandes manœuvres et des outrances

Eric Ciotti (qui est coupable du faible score du remarquable François-Xavier Bellamy pour l’avoir désigné trop tard tête de liste) a déclaré refuser toute alliance avec le macronisme. Marion Maréchal a tendu la main à Jordan Bardella et à quelques personnalités « patriotes ». Après avoir craché comme elle l’a fait sur LR – à l’évidence son ennemi exclusif -, qu’elle n’attende pas, de la part de ceux-ci, la moindre envie de pactiser avec « Reconquête ! ». Il serait dramatique que ces élections législatives ne consacrent pas en effet la disparition totale de la Nupes, l’exclusion de LFI de toute entreprise d’unité à gauche (après la campagne et les propos honteux de certains sur sa liste ou dans le groupe parlementaire), le retour d’une gauche inspirée par une « éthique démocratique » selon la formule de Raphaël Glucksmann et une vision susceptible de lui redonner son honneur et son influence.
J’ai conscience qu’en amont des élections à venir, au sein des partis devraient avoir lieu des remises en cause, des contritions, des repentances et de nouvelles hiérarchisations dans les appareils. On ne peut plus laisser les mêmes aux commandes et à droite plus qu’ailleurs, sauf à considérer que les jeux politiciens demeurent dominants. Si on n’adhère pas au RN, deux disqualifications incontestables pour le futur : le macronisme et l’extrême gauche. François Ruffin – je souhaite qu’il soit un jour aussi courageux à l’égard de Jean-Luc Mélenchon qu’il est grossier à l’encontre du président – a formulé sur ce dernier cette appréciation : « Nous avons un taré à la tête de l’Etat, il n’a rien écouté en gouvernant avec brutalité et arrogance ». C’est la faute, la très grande faute du président si le RN n’est pas loin du pouvoir. Avec son humanisme verbeux, il l’a fait progresser. Hors de question donc qu’il démissionne mais au moins qu’il ne reste pas pour rien !

Les castors, Macron et l’amour du risque

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La journaliste Nathalie Saint-Cricq et la députée d'extrème gauche Mathilde Panot, soirée électorale, Capture France 2, 9 juin 2024..

Notre journaliste Céline Pina n’a pas manqué une miette de la soirée électorale à grand spectacle, hier soir. Elle nous soumet et analyse trois scénarios politiques possibles pour le RN et la majorité présidentielle d’ici le 30 juin.


En annonçant la dissolution alors que les résultats définitifs n’étaient même pas tombés, Emmanuel Macron a bien réussi sa contre-soirée électorale. On a assisté en direct à la déstabilisation de ses ministres, et aux tractations de marchands de tapis en mode donjon entre Olivier Faure et Mathilde Panot. Et on a bien vu que c’est LFI qui tient le fouet… Elle s’en est d’ailleurs servie en direct. On a également assisté en direct à la main tendue de Marion Maréchal à Marine Le Pen et constaté qu’Éric Zemmour digérait mal la couleuvre. On a même eu droit à une Valérie Hayer, exaltée, s’essayant au lyrisme antifasciste en mode « ami entends-tu le vol noir des corbeaux sur la plaine ».

RN trop méchant : le retour des éléments de langage habituels

A peine l’annonce de la dissolution était-elle tombée que nous possédions déjà les éléments de langage dont nous allons avoir les oreilles rebattues durant le mois qui vient. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elles n’annoncent aucun sursaut mais plutôt la continuation du « business as usual » déguisé en « prise de conscience face à la montée du péril fasciste ». Bref le triste plat que l’on nous sert à chaque élection pour faire oublier que ce qui conduit les Français à voter RN est avant tout le sentiment que les partis dits de gouvernement les ont trahis, travaillent à détruire leur culture et leur mode de vie, le tout en faisant exploser l’insécurité, les injustices et en détruisant leur modèle social sans reconstruire de perspectives économiques et politiques. Mais pourquoi les élus se fatigueraient-ils à le faire quand il suffit de diaboliser son adversaire pour garder son poste ?

Une dissolution justifiée

Cette réaction à laquelle nous avons assisté sur les plateaux est d’autant plus regrettable que cette dissolution aurait pu être salvatrice. D’abord, parce qu’elle est parfaitement justifiée et correspond au bon usage de la Constitution de la Vème République. A partir du moment où son esprit a été abimé, en passant du septennat au quinquennat, on a supprimé la respiration électorale qui permettait au pays d’exprimer son rejet ou son accord quant à la politique menée. De ce fait, les élections européennes sont devenues des sortes de référendums sauvages, nouvelles élections de mi-mandat chargées de transmettre au pouvoir l’opinion populaire. A ce titre, les partis stigmatisés par la classe politique recueillant autour de 40% des voix, on peut dire que le désaveu est massif. D’autant que cette perspective, qui n’a rien d’une surprise, n’a pas fait bouger la moitié des électeurs. Signifiant ainsi qu’ils jugeaient inutiles de se mobiliser contre une victoire du RN. Prendre acte d’une situation où la légitimité du pouvoir est clairement remise en cause et souhaiter une clarification politique est donc la meilleure des réactions. Elle aura échoué avant même sa mise en orbite.

Il faut dire que si Emmanuel Macron est un mauvais président, c’est un habile manœuvrier. En agissant aussi vite et en ne laissant aucun délai à ses adversaires, il sait que sa soi-disant ouverture et clarification ne pourra avoir lieu. En revanche il met en difficulté morale et /ou matérielle, tous ses adversaires. A gauche comme à droite.

A gauche, le refus de la clarification politique, seul moyen de garder ses postes

Avec cette annonce, le président poursuit l’élimination de l’ancienne gauche de gouvernement. Celle-ci, dirigée par un homme sans idée ni caractère, n’a pas les premiers éléments d’une doctrine lui permettant de s’adresser aux Français en leur proposant un chemin. La soudaineté de l’annonce a montré à quel point le roi était nu car en direct, sur le plateau, on a assisté à une reddition complète d’Olivier Faure alors que personne ne lui demandait d’organiser ainsi sa propre humiliation. Mathilde Panot a alors, avec délectation, rappelé à son futur supplétif qu’il allait devoir travailler la souplesse de ses adducteurs et que l’accord électoral se ferait aux conditions de LFI. Aucun problème pour le patron du PS à qui le mode serpillière semble tenir lieu de seconde nature…

L’effondrement moral de la gauche la laisse nue

Mais me direz-vous, Olivier Faure n’a donc aucun problème avec la dérive factieuse, et « antisioniste » de LFI ? Ses références à la violence politique ? Son soutien à un groupe de tortionnaires terroristes, le Hamas, qui a commis un crime contre l’humanité ? Son révisionnisme historique ? Son instrumentalisation du conflit en Palestine pour semer la haine de la France et des Français, décrits comme soutenant un « génocide » alors qu’il n’a pas lieu ? Visiblement non.

Pourquoi ? Parce que dans l’état dans lequel est la gauche, sans union, beaucoup perdront leur poste. LFI le sait, le PS aussi. Reconstruire demanderait alors des hommes et des femmes forts, habités par une vision pour leur pays, capables de prendre leur perte et sans dire un seul mot, se mettre à reconstruire. Le modèle n’est hélas plus en stock. Etant donné le peu de temps restant et le caractère brutal, hégémonique et violent de LFI, l’accord ne se fera qu’à leurs conditions. Le PS y perdra son honneur et toute dignité. Le plus drôle est que ce parti est pourtant arrivé en tête de la gauche lors de ces Européennes. Il n’aura su en tirer aucun bénéfice, y compris symbolique : le leader du parti ayant été soumis par LFI avant même d’être vaincu et la tête de liste ayant un statut politique difficile à saisir. Raphaël Glucksmann n’apparait en effet qu’au moment des élections européennes, pour ensuite quasiment disparaître du paysage. Or le mode alternatif n’est pas idéal pour tisser un lien avec un pays.

Comment peut-on passer son temps à faire la morale et piétiner toutes les lignes rouges qui distinguent l’humaniste de l’arriviste faux jeton ? En faisant croire qu’on ne s’allie avec le diable que pour renverser l’esprit du mal. Ainsi, le PS s’allie avec LFI car il doit combattre le risque de l’arrivée au pouvoir du RN. RN qui, comme chacun devrait le savoir, est l’équivalent du nazisme. L’élément de langage est ici : « On s’est bien allié à Staline pour vaincre Hitler ». Et à ceux qui s’indigneraient d’un tel choix, il suffit de leur expliquer qu’ils sont comme ceux qui disaient « plutôt Hitler que le Front populaire » ! On a vu ce que cela donnait. Sauf que LFI et sa dérive totalitaire n’ont rien à voir avec le Front populaire. Cela fait belle lurette qu’ils ont quitté le terrain du social pour investir celui de la race et des origines.

A droite, inventaire avant liquidation ?

Côté droite, on n’est guère mieux loti. LR ne sait toujours pas s’il est un PS-bis partisan d’une Europe libérale construite contre les nations, ou s’il doit reprendre un discours axé sur le retour à la souveraineté. Le plus simple, en aussi peu de temps, est de rester dans le flou et de négocier une alliance. Et il est plus facile de justifier une alliance au centre qu’avec un RN que l’on n’a cessé de conspuer. Là aussi, en prenant LR de vitesse, le président peut espérer leur forcer la main. Mais la vraie pierre a été jetée dans le jardin du RN.

En effet, en accélérant le calendrier aussi brusquement, le président pose un problème matériel au RN, celui de trouver des candidats dans chaque circonscription. Sachant que ce n’est pas tout de les trouver, il faut ensuite les gérer. Or on a vu ce que donnait l’arrivée en masse de personnes sans éducation ni tenue au parlement. LFI, par ses outrances, a abimé la fonction de député et choqué beaucoup de citoyens. Or, pour le RN, tenir ses troupes est d’autant plus essentiel que symboliquement le mouvement de Marine Le Pen voudrait incarner une France qui reprend en main son destin.

Autre point, la rapidité d’action du président peut ralentir les effets du scrutin, autrement dit, le plafond de verre qui aurait cédé dans deux ans est, selon les calculs de la majorité, juste fendillé aujourd’hui. Cela se révèle doublement utile.

Les éléments de langage du vote castor immédiatement déployés

D’abord parce que l’annonce de la dissolution a dissout aussi les effets du scrutin européen et permet la mise en place immédiate des éléments de langage du vote castor, appuyé en cela par les commémorations du 80eme anniversaire du Débarquement. Et pour maximiser les effets miroir avec la Seconde Guerre mondiale, Emmanuel Macron se rendait aujourd’hui à Oradour-sur-Glane (87). Faire barrage devient alors le seul moyen d’éviter les réitérations de ce type de massacre. Ce qui est ballot, c’est que le dernier massacre qui rappelle celui d’Oradour a été récemment commis par le Hamas, ce mouvement tortionnaire que certains LFI qualifient de « résistants ».

Autre point, la manœuvre présidentielle de la dissolution surprise empêche de faire aboutir la stratégie de dédiabolisation. Dans les prochains jours, tous les partis vont cibler l’adversaire susceptible de l’emporter, donc le RN, alors que celui-ci n’est qu’au début de son ascension. Il va devoir se justifier d’accusations de « totalitarisme » alors qu’il a mué en parti bonapartiste depuis longtemps, dont la pratique du pouvoir ressemble en réalité aux coups politiques que vient de réaliser Emmanuel Macron : exercice solitaire du pouvoir, effacement de tous les corps intermédiaires, recours au peuple. Simplement cette évolution est récente, quand l’image ancienne, elle, est incrustée dans l’inconscient collectif. Cette dissolution n’est pas sans danger, qu’elle l’amène à arriver au pouvoir trop tôt alors que son entreprise de dédiabolisation n’est pas achevée ou qu’elle le contraigne à gérer un groupe parlementaire à la fois nombreux et marqué par trop d’amateurisme.

L’intelligence manœuvrière au service du vide

On a beaucoup parlé de « coup de poker » face à la décision d’Emmanuel Macron, mais ce n’est pas le va-tout d’un joueur. C’est bien plus cynique et pertinent. Mais, comme tout ce qu’entreprend Emmanuel Macron, c’est aussi stérile et égotiste. L’intelligence manœuvrière n’est jamais mise au service du collectif, de l’intérêt général. Or si c’est la clarification politique qui était demandée, il fallait laisser un peu plus de temps pour que les recompositions s’amorcent. Là, en mettant tout le monde dans la seringue, ce sont surtout les vieux réflexes qui vont être réactivés. Pour quel résultat ?

Première hypothèse : le coup de bonneteau accouche d’une majorité d’opportunité et d’opportunistes

Il y a quelque chance qu’une majorité hétéroclite puisse émerger en réunissant une partie de la gauche allergique à l’alliance avec LFI, un parti qui promeut l’antisémitisme et la violence politique et a ainsi des caractères fascistes bien plus réels que ceux de l’extrême-droite actuelle. Le fait de sacrifier l’intransigeance politique sur l’autel de la solidarité humaniste contre le retour du fascisme permettrait ainsi de donner de l’allure à des ruptures plus prosaïques, liées à la difficulté d’être sous la coupe d’un Mélenchon par exemple. Celle-ci réunirait ainsi les LFI sadisés par leur leader, une partie de l’ancien PS, EELV, l’actuelle majorité et des LR contraints à l’alliance avec Renaissance faute d’accepter de participer à une union des droites. On approfondirait la coalition UMPS qui gère le pays avec la plus totale inefficacité. La manœuvre permettant juste de gagner du temps et de continuer à se goberger avant l’inéluctable chute. Mais elle permettrait de se draper dans les oripeaux de la vertu. Dans ce cadre, aucun projet politique ne devrait émerger. Faire barrage était à la fois le début et la fin de ces rapprochements sans promesse.

Le communiqué que Stéphane Séjourné vient de faire en tant que responsable du parti présidentiel est révélateur sur ce point : rien sur les attentes des Français, rien sur le message envoyé à leurs gouvernants, rien sur la nécessité de répondre à l’insécurité culturelle, physique, matérielle, sociale ressentie par les citoyens. Aucun mea culpa, aucun engagement, aucune proposition. Juste un appel à faire barrage au nom des ventres féconds d’où sortent les bêtes immondes. Le problème c’est que nous l’avons vu la bête immonde. Elle se pavanait à Sciences-po et ailleurs, en instrumentalisant le drapeau palestinien et en crachant sur l’Etat juif. Nous la voyons la bête immonde quand les actes antisémites explosent après le crime contre l’humanité commis par le Hamas le 7 octobre. Cela ne dérangeait pas grand monde jusqu’alors…

La possibilité d’une majorité RN

Que le RN puisse faire la bascule, voire obtenir une majorité relative n’est pas impossible.

Mais est-il prêt à gouverner, surtout après une campagne très violente et la mise en accusation de ses électeurs ? Car on l’a entendu dès la soirée électorale, faute de proposition et de vision, nos élus sombrent dans l’exaltation et une forme d’hystérie. On croirait que le moment les a tous transformé en Jean Moulin. Ils en font des tonnes, se peignent en sauveurs de la démocratie au risque de susciter un fort sentiment d’incrédulité chez leurs compatriotes qui se demandent bien du sommet de quelle réalisation, ils peuvent ainsi jeter l’opprobre sur un autre parti. Cet antifascisme d’opérette est de moins en moins crédible mais il est encore porteur de mort sociale et de risque pour les carrières. C’est son efficacité qui va être testée lors de ce scrutin.

Le plus probable : du chaos à la crise

Et puis il y a le plus probable : un pays ingouvernable qui s’enfonce dans le chaos, des alliances de circonstances qui ne font pas un chemin vers l’avenir. La poursuite du déclin. Jusqu’à la prochaine crise.

En avons-nous encore le loisir, alors que l’ampleur de l’influence islamiste a été révélée par le score de LFI et que le parti fait clairement appel aux quartiers pour renforcer son pouvoir ? En avons-nous encore le loisir alors que le parti leader de la gauche dérive vers la haine antisémite et traite son pays et ses habitants de « génocidaires » ? En avons-nous encore le loisir, quand la population pense de plus en plus que son élite la trahit ou n’est pas à la hauteur ? En avons-nous encore le loisir alors que l’hôpital coule, que les déserts médicaux se multiplient et que les pénuries de médicaments diminuent les chances de vivre des malades ?

Le séisme politique provoqué par le président n’a hélas rien du sursaut salvateur et tout d’un festival de comptes d’épiciers et de calculs d’apothicaires. Un pas de plus dans l’impasse, en somme.

La boîte du bouquiniste

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Pierre Bost. D.R

Les bouquinistes ne seront finalement pas virés des quais de Seine durant les JO. Causeur peut donc continuer d’ouvrir leurs boîtes à vieux livres.


Monsieur Ladmiral va bientôt mourir est le dernier roman de Pierre Bost (1901-1975) – adapté au cinéma par Bertrand Tavernier. Son auteur, trop méconnu, laisse une œuvre rare, laquelle, à la suite de Proust, renouvelle le roman dit psychologique.

En 1939, Pierre Bost écrit à son frère qui est au front : « Je n’ai jamais écrit pour dire quelque chose. Je n’avais rien à dire. Ce qui m’a manqué en cette matière c’est d’être intelligent. Je l’ai toujours dit sans aucune espèce de trace de fausse modestie : je n’ai pas d’idées. Ou plutôt je n’ai pas ce qu’on appelle des pensées. » Cette dernière phrase est démentie par le roman ultime de son auteur, testament littéraire qui paraît six ans après la rédaction de cette lettre.

Monsieur Ladmiral est un peintre apprécié de 76 ans. Prix de Rome, membre de l’Institut, il « reconnaissait de bon cœur qu’il n’avait jamais eu de génie. » Le vieil homme veuf vit dans sa maison de campagne de Saint-Ange-des-Bois avec sa vieille bonne. Tous les dimanches, son fils Gonzague, sa belle-fille Marie-Thérèse et leur progéniture lui rendent indéfectiblement visite. Pour ce père, Gonzague est trop sage, trop lisse, trop raisonnable ; quant à Marie-Thérèse, fort pieuse, elle a « peut-être toutes les vertus, mais bien cachées ». Ladmiral, en vérité, reproche à son fils ce qu’il reproche à sa peinture et à lui-même : d’être académique. « J’ai eu un tort, disait-il, c’est de manquer de courage. J’ai peint comme on peignait en mon temps ; comme on m’avait appris à peindre. Je croyais à mes maîtres, on nous avait tellement seriné la tradition, les règles, les ancêtres, la fidélité, et que la vraie liberté suppose d’abord l’obéissance ; et que la vraie personnalité se trouve dans la discipline ; et tout le reste. Moi, j’y ai cru, je trouvais ça bien. Et puis, à mesure que j’apprenais, que j’imitais, que j’écoutais, comme j’étais très doué, le métier entrait, et je me suis aperçu un beau jour qu’il avait pris toute la place. Cette fameuse originalité, qui doit récompenser à la fin celui qui a su d’abord se plier aux règles, je ne la voyais toujours pas venir. J’étais tombé dans le piège, quoi ! Ou alors, je la voyais bien, l’originalité, mais chez les autres, et ça, c’était le plus décourageant. »

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Le livre bascule à l’arrivée impromptue d’Irène, la fille du peintre. Elle est belle, fantasque, insouciante, irrévérencieuse, brillante et moderne ! Irène, qui vient si peu voir son père, est le contraire de Gonzague. Ah, le contraste ! D’ailleurs elle n’aime pas la peinture de Ladmiral qu’elle trouve trop sage et elle le lui dit ; alors, quand la journée se termine, que le soir tombe, qu’elle repart pour Paris où l’attend son amant, le peintre revient à son ouvrage : « Il regardait ce coin d’atelier qu’il avait commencé à peindre depuis trois jours et cherchait des secrets dans le rouge d’un coussin, dans le pli d’une tenture, avec une envie si féroce de les découvrir qu’il se sentait toujours jeune, avec une certitude si totale et si amère de ne rien trouver qu’il se sentait très vieux ; plus que vieux, mort ; plus que mort : fini. »

Il est difficile de parler du charme de ce roman sans action, mais il persiste au-delà de sa lecture – et c’est ce qui en fait tout le prix.

Pierre Bost, Monsieur Ladmiral va bientôt mourir, Gallimard, 1945.

Monsieur Ladmiral va bientôt mourir

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La statue du commandeur

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Enzo Ferrari lors de la onzième édition de la Targa Florio, sa première course en Alfa Romeo, octobre 1920 © Photo12 / Séguier

Les éditions Séguier font reparaître les Mémoires d’Enzo Ferrari (1898-1988) sous le titre Le vertige de la vitesse, parues une première fois en France en 1964. « Il Commendatore » y explique sa vision de la course, des moteurs, des pilotes, des clients et les raisons de la persistance du mythe.


Ces mémoires sont celles d’un homme, pilote de course, directeur d’écurie et constructeur d’automobiles de sport, qui vient de connaître le plus grand drame de sa vie. Après la mort de son fils Dino en 1956, plus rien ne fut pareil. Même le goût de la victoire, cette quête permanente qui le possédait, n’avait plus la saveur originelle. Cette tragédie faillit même mettre un terme à l’aventure du cheval rampant qui, dans ce milieu des années 1960, connaissait de sérieux soucis financiers, avant l’entrée au capital de la FIAT.

Un défi à la vitesse et au temps

Ces mémoires sont celle d’un commandeur taiseux, rude, âpre, secret, pouvant se révéler un despotique meneur d’hommes aussi cassant que paternel avec ses pilotes. Un homme de caractère né à Modène, dans cette province d’Émilie-Romagne, chaudron de l’industrie mécanique de pointe italienne. Une terre fertile en inventeurs où le paysan côtoie l’ingénieur, où il n’est pas rare d’entendre dans cette campagne paisible, le vacarme d’un douze cylindres exprimant la mélodie du bonheur. Pour celui qui n’a jamais entendu cette cavalcade enchantée pleine de promesses et de stupeur, dans la furie et les cymbales, dans les vapeurs d’essence et le frisson, il est difficile de comprendre la dévotion que des millions d’Hommes portent aux voitures rouges. Maranello est le temple païen de la démesure et du fracas, le seul endroit où l’on fabrique des modèles qui défient les limites de la vitesse et du temps. Avant qu’Hollywood ne s’empare du phénomène Enzo, il est bon de revenir aux sources, c’est-à-dire à ses propres écrits.

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Dans ses Mémoires, Ferrari se veut sincère, il cachera donc ses zones d’ombre, il manie la cigüe et la caresse, il alterne plusieurs visages, professionnel, méthodique, metteur au point taciturne quand il évoque ses créations ; plus sarcastique quand il exprime son opinion sur les pilotes et la vie en général. Dans une confidence rieuse, il affirme que ses « ambitions d’enfant » étaient successivement de devenir chanteur d’opéra, chroniqueur sportif et coureur automobile. Enzo a l’humour froid des survivants ayant traversé deux guerres mondiales, l’invention du moteur à explosion, le goudronnage des routes et la voiture comme exhausteur de vie. Ces Mémoires font office de sépulture car la mort y rôde à chaque instant, sur la piste et les chemins poussiéreux. Son destin bascula lorsqu’en 1951, une Ferrari battit une Alfa Roméo, la marque dont il porta longtemps les couleurs. « J’ai tué ma mère » avoua-t-il, ce jour-là. Enzo nous raconte une jeunesse italienne dans un XXème siècle chaotique. Il nous délivre aussi sa philosophie, ses préceptes directeurs dans la conception et l’évolution des machines. Il se définit avant tout comme un « créateur de moteurs ». Ainsi, il accorde plus d’importance à la puissance de la bête tapie sous le capot qu’au châssis.

Fangio, l’heure des comptes

Sous sa plume défilent tous les plus grands pilotes des années 1920 jusqu’à l’après-guerre. On y retrouve nombre de ses compatriotes italiens, il fait d’eux un portrait psychologique aussi vigoureux que le V12 Colombo vous arrache des larmes à l’accélération. Il ne tarit pas d’éloges sur Antonio Ascari : « c’était un garibaldino, comme on appelle en argot de métier les pilotes qui privilégient le courage et le brio au froid calcul de ceux qui réussissent à chaque fois à mesurer parfaitement les virages ». Peu avare en compliments, il s’incline devant le style de Nuvolari et de Moss : « des hommes qui, sur n’importe quelle machine, dans n’importe quelle circonstance et sur n’importe quel circuit, prenaient tous les risques pour gagner et qui, en dernière analyse, semblent dominer le lot ». Il règle son compte à Fangio dont leur incompatibilité d’humeur ferait à elle seule le sujet d’un long métrage. « Fangio était vraiment un grand pilote, mais affligé de la folie de la persécution », écrit-il.

Ces Mémoires reviennent sur les succès de la Scuderia mais aussi sur la production des voitures de série qui allaient faire fantasmer les anonymes comme les célébrités. Enzo classifie avec drôlerie ses clients en trois catégories : le sportif, le quinquagénaire et l’exhibitionniste. Il nous parle des liens intimes avec certain d’entre eux comme l’ex-roi Léopold de Belgique ou encore Roberto Rossellini, Ingrid Bergman et Anna Magnani. Un jour, peut-être, comme ces illustres détenteurs du mythe, nous pousserons les portes de l’usine de Maranello.

Mémoires – Le vertige de la vitesse – Enzo Ferrari – Séguier, 224 pages.

La République des salopards

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Le général de Gaulle à Colombey les deux Eglises, référendum constitutionnel du 28 septembre 1958 © COLLECTION YLI/SIPA

La Ve République du général de Gaulle a tout fait pour qu’on oublie la IVe, peu reluisante. Au lendemain de l’Occupation, le régime parlementaire est celui de la corruption et de l’imposture, un bal d’escrocs et d’anciens collabos. Sans fard, le nouveau livre d’Éric Branca nous rafraichit la mémoire.


La IVe République est une période méconnue de l’histoire contemporaine. On en a une vague idée : la valse des ministères, des hommes en costume gris au visage fermé… La France n’est plus en guerre mais on respire mal. C’est qu’il est difficile de digérer quatre années d’occupation allemande orchestrées par un vieux maréchal et un maquignon en cravate blanche qui n’aura rêvé que de la victoire du nazisme. C’est une scène de théâtre où s’agite une flopée de spectres. L’intérêt réside dans les coulisses du pouvoir et ce que nous raconte Éric Branca, preuves à l’appui, est hallucinant. Il s’agit en réalité d’une des périodes les plus folles de notre pays. On apprend que d’immenses fortunes se sont édifiées sur le crime et la corruption ; des carrières fulgurantes, reposant sur l’imposture, se sont mises en place avant de sombrer dans la honte. D’anciens collaborateurs sont parvenus au sommet de la hiérarchie judiciaire et ont présidé les grands procès de l’Épuration. À tous les étages de la société, le travestissement règne. Quant au mensonge, il est la règle d’airain. Pour paraphraser Jean-Luc Godard, 1946 ressemble à une assiette sale.

Cas rocambolesques

Branca résume « les spectres » en question : « Ses protagonistes ne furent pas seulement des mythomanes ou de classiques escrocs tirant leur pouvoir de l’impéritie de l’État, mais bien souvent d’authentiques « salopards » – selon la terminologie d’alors – et parfois des assassins passés sans transition du statut de collaborateur des nazis à celui de « princes du système » pour reprendre l’expression rendue célèbre par Michel Debré. » Tous ces « salopards » profitent du chaos spectaculaire de l’après-guerre. Un couloir sombre s’est créé entre deux mondes et les plus perfides s’y sont engouffrés, laissant la morale à la consigne des objets trouvés.

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Les exemples rapportés par Éric Branca sont nombreux. Ils sont tous incroyables pour ne pas dire écœurants. Il évoque surtout ceux qui ne sont guère connus du grand public, laissant de côté, par exemple, René Bousquet, ancien secrétaire général de la Police de Vichy, coordonnateur de la rafle du Vél’ d’Hiv, acquitté en 1949 par la Haute Cour de justice au terme de seulement trois années de prison, et qui restera, jusqu’à son assassinat en 1993, l’ami intime de François Mitterrand. Branca s’attarde plutôt sur des cas rocambolesques, comme celui de Roger Peyré. En 1944, ce riche négociant en tissus est à la fois membre de la Milice et du PPF de Jacques Doriot. Il est sous le coup d’un mandat d’arrêt pour intelligence avec l’ennemi. Il parvient à s’enfuir mais se fait arrêter, puis s’échappe à nouveau. Il est jugé par contumace et condamné en 1946 à l’indignité nationale. Ses biens sont alors confisqués. On le retrouve deux ans plus tard, lavé de tout soupçon et décoré de la Légion d’Honneur pour « services exceptionnels ». Il se murmure qu’il fut un « agent double ». Mais la mascarade ne s’arrête pas là. Cet ancien milicien aura ses entrées jusqu’à l’Élysée. Il finira par « tomber » à la suite d’une magouille politico-financière évoquée par Branca. On épluchera sa comptabilité faite de multiples pots-de-vin versés et reçus. De nombreux autres collabos seront recyclés par la CIA, sorte de 5e colonne d’agents dormants, dans le but d’infiltrer les différents gouvernements occidentaux pour prévenir une éventuelle invasion de l’Europe de l’Ouest par l’URSS. Le chapitre intitulé « Les imposteurs de la guerre froide » est particulièrement édifiant. Face à un tel « fleuve d’immondices », formule d’Alexandre Vialatte, on comprend que le général de Gaulle ait souhaité imposer le mythe d’une France à son image, « tout entière tendue vers sa reconstruction après avoir communié avec lui dans « un seul combat pour une seule patrie » », rappelle Éric Branca. De la même manière, il demande à André Malraux de créer le mythe de la France résistante avec le discours du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon. Chassé par les partis, en 1946, l’homme du 18-juin reviendra en force en 1958 pour donner le coup de grâce à cette IVe République putréfiée.

Une décennie et puis s’en va

Dans ce contexte, les États-Unis ont la mainmise sur l’Europe de l’Ouest. D’abord sur le plan économique avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), dont le pro-atlantiste Jean Monnet accepte, en 1951, d’être le premier secrétaire général. Étienne Hirsch, son successeur comme commissaire au Plan, lors d’un entretien, est sans ambiguïté : « La question de la modernisation de la sidérurgie n’a pas joué. Nous voulions trouver quelque chose qui puisse amorcer la construction de l’Europe. Notre préoccupation était d’arriver à la disparition des souverainetés nationales. » Ajoutons à cela les colossales subventions du plan Marshall difficilement refusables qui vont acculturer les Européens à l’Americain Way of Life, faisant d’eux de futurs consommateurs de produits… américains. Enfin le rôle pernicieux de la Communauté européenne de défense (CED), dénoncé par Michel Debré, futur « père » de la constitution de la Ve République. Ce rôle consiste à créer une armée européenne, avec des institutions supranationales placées sous l’autorité du commandant en chef de l’OTAN, lui-même nommé par le président des États-Unis. Éric Branca révèle le poids respectif de chaque contingent national au sein de cette armée européenne. On constate que le poids de l’Allemagne aurait dû être de 33,6%, tandis que celui de la France n’aurait pas atteint les 25%. La confiscation de notre souveraineté était programmée.

Après avoir refermé La République des imposteurs, la trahison de nos dirigeants fait froid dans le dos. Mais comme le souligne Branca : « Moins de huit ans après son avènement, la IVe République s’est brisée sur la défiance des Français. » La défiance est une lame de fond qui finit par tout emporter.

Éric Branca, La République des imposteurs. Chronique indiscrète de la France d’après-guerre, 1944-1954. Perrin, 2024.

Métamorphoses argentines

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Œuvre de Tamara Kostianovsky © RX & SLAG, Paris, NY — Théo Pitout

Tamara Kostianovsky transmue ses souvenirs argentins en créant, à partir de textiles recyclés, des trompe-l’œil spectaculaires curieusement raffinés.


Une souche immense et multicolore est fixée au mur. Le quartier de bœuf marbré de toile de Jouy tourne lentement devant un Desportes gourmand, la Nature morte du Régent (1716), où un perroquet immangeable contemple des volailles bardées. Des perroquets se détachent en relief des grands carrés de tissu d’ameublement comme s’ils venaient de prendre vie sans renoncer à leur matière initiale.

Le Musée de la Chasse et de la Nature, qui a entamé il y a quelques années déjà une lente mue vers l’art contemporain, exposant les relations entre l’humanité et le monde animal sur un mode moins prédateur, offre aux visiteurs un spectacle très réussi, surtout dans les moments où les œuvres de Tamara Kostianovsky se mélangent aux salles permanentes : un vautour de tissu est suspendu au milieu d’un salon XVIIIe, une souche aussi colorée que des robes de Chardin s’épanouit sur un parquet ciré, entourée de tentures bleues, et, surtout, trois quartiers de viande, à peine sortis d’un abattoir, tournent à l’unisson dans un salon reculé aux murs élégamment sombres.

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Ces trois pièces ont une silhouette réaliste mais sont constituées d’un patchwork de tissus d’ameublement mis au rebut : c’est une débauche de couleurs et ces quartiers féériques abritent une vie intérieure surprenante, des volatiles de tissu, eux aussi, qui nichent au cœur des carcasses, aussi à l’aise que dans une forêt tropicale : Tropical Rococo (2021) réussit une synthèse inédite entre un esprit XVIIIe qui aime la nature et l’exotisme, un discours écologique contemporain, celui de l’upcycling (utiliser un matériau de rebut, sans le détruire, pour créer un objet neuf à la valeur supérieure), et la réflexion biographique d’une artiste tout-à-fait contemporaine pour qui représenter une viande argentine est l’occasion de dénoncer « l’élevage de masse et l’abattage de jeunes veaux, interpellant sur la cruauté inhérente à ces pratiques » sans se borner, bien sûr, à un message aussi simple : son travail « s’étend à des questions cruciales telles que la violence faite aux femmes, des thèmes puisés dans son histoire familiale et notamment l’assassinat de sa grand-mère, la surconsommation et les conséquences écologiques de nos habitudes alimentaires. »

© RX & SLAG, Paris, NY — Théo Pitout

Le croirait-on ? Ça ne se voit pas – ou plutôt ça ne se voit plus, car si Tropical Rococo reprend le thème des carcasses, déjà traité sur un mode plus réaliste et avec la même technique de “sculpture” de tissus (l’artiste ayant découvert cette voie suite à une lessive malencontreuse ayant rétréci tous ses vêtements, felix culpa), ces carcasses nouvelles n’ont plus rien de macabre. La vie surabonde, le trompe-l’œil subversif est désarmé par l’assemblage bigarré des tons vifs, la forêt a littéralement pris possession de leurs formes. La charge de critique sociale en est amoindrie, tempérée, sans qu’on arrive à le regretter tant l’équilibre est satisfaisant entre l’évocation d’une forme brutale et sa disparition dans le récit joyeux d’un morceau de forêt tropicale éclosant dans un salon.

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Les autres œuvres, dispersées au gré des salles du musée (excellente occasion de revoir les circonvolutions emplumées de Kate MccGwire, le Bouquet royal en os de volaille et lapin de Corine Borgnet, le Paysage vu du train de Philippe Cognée ou la Leda de Karen Knorr), offrent le même joyeux contraste entre une forme naturelle identifiable et saugrenue, une matière qui révèle de près son premier usage, et des couleurs douces ou éclatantes qui enlèvent toute réalité à l’objet en même temps qu’on en identifie la nature supposée. Les œuvres de Tamara Kostianovsky ont parfaitement leur place dans l’hôtel de Guénégaud avec leur rapport à la fois clair et distancié avec l’animalité et l’affirmation d’un regard personnel et humain sur la nature.


« La chair du monde »,Tamara Kostianovsky. Musée de la Chasse et de la Nature, jusqu’au 3 novembre 2024.

L’énigme Salazar

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Photographie officielle du dirigeant portugais António de Oliveira Salazar, vers 1968. DR.

Énigmatique figure que celle d’Antonio de Oliveira Salazar (1889-1970), professeur à l’Université de Coimbra appelé tout jeune par les militaires à occuper les postes de Ministre des Finances d’un Portugal dans la tourmente depuis la proclamation de la République en 1910, ensuite de Président du Conseil, qu’il resta de 1932 à 1968. « Dictateur modéré » selon Jacques Bainville, Salazar, o Doutor (le Docteur) instaura l’Estado Novo, un régime autoritaire qui ne se confondit jamais avec le fascisme italien ni même avec le franquisme, et aux antipodes du national-socialisme. Le mot d’ordre de ce régime singulier pourrait se trouver chez Juan Donoso Cortès, un auteur contre-révolutionnaire espagnol qu’affectionnait Salazar : « Quand la légalité suffit pour sauver la société, la légalité ; quand elle ne suffit pas, la dictature ». Loin de l’exaltation frénétique de la nation propre aux mouvements fascistes comme des formes extrêmes de pouvoir, l’Estado Novo fut une dictature fondée sur une vision spirituelle et non économique de l’homme. Maurras, qui admirait Salazar, disait qu’il avait rendu à l’autorité « le plus humain des visages ». Frugalité et probité (indéniables chez o Doutor, plus douteuses chez divers caciques du régime), décence (surjouée, mais réelle), prudence, ruse furent les qualités du maître intraitable du Portugal, qu’il entendait protéger du monde moderne de ce qu’il considérait comme le fléau des fléaux : « le mal diabolique de la confusion des concepts ».

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La copieuse biographie qu’Yves Léonard, qui enseigne à Sciences Po, consacre à Salazar retrace assez bien le parcours de ce chef d’État unique, et ce malgré un style parfois scolaire, toutefois compensé par la richesse des sources consultées, dont les archives diplomatiques, celles de la redoutable PIDE, la police secrète de l’Estado Novo, et surtout les précieux Diarios, ces journaux du Doutor tenus scrupuleusement de 1933 à 1968. Curieusement, Léonard ne cite pas les deux intéressants essais de Mircea Eliade, diplomate en poste à Lisbonne pendant la guerre, et de Paul Sérant, bon connaisseur des milieux non-conformistes.

Formé dans sa studieuse jeunesse par la lecture de Gustave Le Bon, de Maurras et de Barrès, des catholiques sociaux René de la Tour du Pin et Frédéric Le Play, Salazar se voyait, tout jeune, comme « le Premier ministre d’un roi absolu ». Refusant le parlementarisme, hostile au libéralisme comme au socialisme, ce moine dictateur (qui n’était nullement bigot et qui abhorrait la démocratie chrétienne) était un technocrate avant la lettre, d’ailleurs admiré à Vichy, qui réussit à maintenir un régime élitaire en réalité peu structuré : des experts, tous professeurs comme lui, une police tenue d’une poigne de fer, des militaires en laisse, un clergé soumis – un exemple parfait de verticalité et de pouvoir personnel, sans bain de sang ni terreur.

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L’un des chapitres les plus passionnants retrace par le menu les louvoiements de Salazar pendant la Seconde Guerre mondiale, où, fidèle à la vieille alliance avec l’Angleterre (« être aux côtés de qui contrôle l’Atlantique »), il joue au plus fin avec Hitler et Mussolini avec dans sa manche une carte maîtresse, les Açores, à l’importance stratégique pour les Alliés dans le cadre de la guerre sous-marine. Un autre chapitre traite de la question de l’Outre-Mer (Angola, Mozambique, Guinée portugaise, etc.), présentées par la propagande comme des provinces ultramarines du Portugal dans le cadre d’un improbable « lusotropicalisme », idéologie du métissage rédempteur. Comme disait Paul Morand, « c’est le Portugal qui enseigna les océans à l’Europe de la Renaissance ». Salazar crut pouvoir reprendre cette mission de professeur infaillible par le truchement d’une dictature des premiers de classe. Il faisait ainsi du Portugal une sorte de Tibet atlantique dont il aurait été l’ultime Dalaï Lama. Une figure romanesque en somme, et qui fascina les antimodernes Pierre Benoit, Jacques Chardonne et Michel Déon.

Yves Léonard, Salazar. Le dictateur énigmatique, Perrin, 520 pages

Salazar: Le dictateur énigmatique

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