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Métis, si je veux !

Au début, c’était enivrant. Cela devient saoulant. « Qu’ils sont ravissants vos fils ! Métis, non ? Ah ! Les métis, c’est (sic) toujours très beau… » Aujourd’hui c’est une voisine, charmante comme tout, Nouvel Obs sous le bras, qui me sert le compliment.
Et m’exaspère.

Je n’ai pourtant rien contre le métissage. Certes, l’injonction culturelle du métissage à tous prix m’agace (comme du reste toute forme de « pensée gramophone »), mais d’elle je ne me préoccupe guère : contrairement aux idéologies totalitaires, il suffit de l’ignorer pour s’en libérer. Et puis, ne suis-je pas, moi aussi, à la fois fils et père du métissage ? Non, la gêne que j’éprouve aujourd’hui encore dans le hall de mon immeuble ne provient pas de la louange, mais de ce qu’elle sous-entend. Et qui me semble remarquablement préoccupant.

Le racisme est devenu un tabou contemporain. Tant mieux. Mais ce qui semble avoir échappé à notre vigilance, c’est la persistance d’un discours qui, pour être formellement sympathique, n’autorise pas moins la pérennité, la mutation et donc, à terme, le retour d’un racisme pur et dur.

Car si l’expression raciste de nature agressive est prohibée, la louange raciste, elle, ne l’est pas. Les Noirs sont plus sympathiques, les Nordiques mieux bâtis, les Asiatiques plus sensuels, et ad libitum : autant de jugements caricaturaux, qui sont communément propagés et admis dans la mesure où ils ne sont pas proférés dans un but méprisant… mais laudateur. Ils n’en demeurent pas moins d’essence parfaitement raciste. Mes enfants sont beaux… comme tous les Métis. Ben Johnson court vite… comme tous les Noirs. Mlle Gong Li est gracieuse… comme toutes les Jaunes. Zidane ne plaisante pas avec l’honneur de la famille… comme tous les Arabes [1. Zinédine Zidane n’est pas Arabe mais Kabyle ? Qu’importe. Pendant toute l’épopée bleue (1998-2006), il fut sommé d’incarner l’Arabe d’une équipe nationale black-blanc-beur, qui n’en compta jamais un seul. Dommage, car l’Arabe, dit-on, est fin dribbleur…].

On ne trouvera là nulle matière à procès. Ni injure, ni dénigrement. Que des compliments. Mais qui enferment. Qui caricaturent. Et soutiennent qu’un être humain n’est plus le produit de son histoire, de ses choix personnels, de son univers historique et de son héritage culturel : il est avant tout et plus que tout l’illustration d’un principe génétique. Les Métis sont beaux, comme les Noirs dansent bien et les Asiatiques cousent vite. Loin de toute vocifération hitlérienne, on en arrive ainsi, de nouveau, à ramener l’individu à ses caractéristiques zoologiques.

L’homme ? Un animal comme les autres

Pourtant, si toutes les vaches ont des cornes, tous les Noirs n’ont pas la voix de Barry White ; si tous les oiseaux volent, tous les Asiatiques ne sont pas soigneux ; si toutes les poules sont ovipares, tous les Métis ne sont pas gâtés par la nature ; si tous les poissons ont des écailles, tous les Juifs ne sont pas doués pour faire de l’argent, de la philosophie ou de la physique quantique.

Et c’est heureux : la non-reproduction de caractéristiques d’espèce est précisément ce qui fonde la dignité et la liberté de l’homme. Cette conception de l’homme est hélas minée par un néo-racisme débonnaire et flatteur, qui à la haine préfère l’ADN, et nous ramène sans cesse au règne animal : pour la chasse ? Un teckel. Pour l’entrée du magasin ? Un black ! Pour le défilé de Deauville ? Un lévrier. Pour le standard et l’accueil ? Une Noich… Pour la chambre du petit ? Un hamster. Dans les buts ? Un rebeu. Pour Mamy ? Un chat angora. Et pour la Direction Générale ? Un blanc, la bonne blague !

Où l’on constate que la division raciale de l’éloge appelle déjà la division raciale du travail – c’est-à-dire qu’elle détermine l’utilité sociale.
Question : quel avenir prépare-t-on à certains de nos enfants, encouragés à travailler leurs abdos parce que Noirs, dans une société où seuls la matière grise est recherchée et où la force est désormais fournie par des robots tendanciellement gratuits ? Le chômage, la déréliction, l’amertume. Cool.
Qu’on y songe donc : derrière d’innocents compliments (« Oh ! Comme ils sont beaux… ») se profile une régression idéologique majeure. Il ne tient qu’à nous de l’enrayer. Avec un peu de pédagogie, sinon d’humour…

C’est pourquoi, aux admirateurs de mes enfants, j’ai décidé de livrer, une fois pour toutes, le secret de leur beauté. Mes fils ne sont pas beaux parce qu’ils sont métis. Ni parce que leur mère est superbe (et, accessoirement, leur père pas mal). Mes fils sont beaux parce qu’ils ont du talent et de la volonté, mes fils sont beaux parce qu’ils ont décidé d’être beaux.

Les Francophobes

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Fink Fiction

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Extrait de la nouvelle intitulée Fink Fiction, hommage déjanté au philosophe Alain Finkielkraut, tirée des Contes de la télé ordinaire, paru le 27 mars aux éditions Michalon. David Abiker a déjà publié chez le même éditeur Le Musée de l’homme et Le Mur des lamentations, respectivement consacrés à la féminisation de la société et à la victimisation médiatique. Il tient un blog.

(…) Une fois dans le hall d’entrée, Nikos Aliagas s’est rendu immédiatement. Nous l’avons ficelé sans aucune difficulté et rangé dans un placard à balais. Ses yeux semblaient nous dire merci.Je ne sais pas pourquoi mais dans ce rêve je suis eurosceptique. Et donc je dis à Fink :

– À cause de l’Europe, ce maudit Grec a pris ma place. C’était à moi d’animer le radio crochet, pas à cet étranger, hélas, il a demandé deux fois moins de pognon et ils l’ont pris.
– On va te venger, poulet, a répondu Fink.

L’auteur de Nous autres modernes avait les yeux qui brillaient et moi j’étais très excité. On a commencé la visite en tendant l’oreille. On entendait des « Yeeeeahhhhéhangue » dans les couloirs.

– Ils chantent les cons, j’ai dit.

Dans une pièce qui ressemblait à une cuisine Ikéa, on a reconnu deux candidates qui lisaient Psychologie Magazine tout en faisant des vocalises.Fink a posé cette question :

– Pourquoi font-elle innocemment vibrer les cloisons de leur nez au lieu d’utiliser leur ventre, leurs tripes et leur gorge ?
– Mais parce qu’elles sont en apprentissage, Alain, j’ai cru bon de répondre.

Jessica et Connifer, je crois. Elles poussaient des « Yeaaaaaaahéhangue » qui rappelaient ceux d’Ophélie Winter.
Fink a proposé de les maltraiter immédiatement.

– On s’occupe des garçons d’abord, j’ai dit.

Que restait-il de ces jeunes hommes à grandes dents ? Ils avaient déjà viré les plus dégénérés par SMS. Restaient deux ados avec des pieds immenses et des boîtes de céréales dans les poches.

Cette génération a des grands pieds, des gros os, des grosses lèvres, des mentons énormes. Avant de les liquider, Fink a souhaité qu’on s’occupe du gel.

J’ai senti qu’il faisait une fixette sur le gel. Pour lui le gel capillaire est un paradigme déterminant pour comprendre cette jeunesse.Faut dire qu’on supporte plus le gel, Fink et moi. On supporte plus leurs cheveux, leur air ahuri comme s’il fallait à tout prix avoir l’air ahuri. Avant on pensait avec sa tête, eux, ils pensent avec leurs cheveux. Ce qui est bien c’est que dans les rêves personne ne vient dire : « Mais David, en 1983, tu passais une heure par jour à te coiffer sans succès.

« Toujours est-il que dans ce château à la gomme, il y a des dizaines de cantines militaires pleines de gel. Le gel coule dans les veines et les artères des candidats de la StarAc’. C’est archi sûr. Du gel turquoise, du rose, du bleu, du « des années 80 ». L’école de chant la plus réputée de France carbure au gel.

– Mais ils en bouffent ou quoi ?, a gueulé Fink excédé.
J’ai pris un air mauvais.
– Ils vont le chier leur gel, t’aaas voir [1. Tu vas voir.].

J’ai fracassé la porte du studio. Deux jeunes mecs quart-de-finalistes s’entraînaient à la lambada avec des guitares classiques, tout en se jurant que si l’un d’entre eux perdait il n’en voudrait pas à l’autre.

Ni l’un ni l’autre n’avait jamais employé le terme « empathie », mais c’est bien le sentiment que chacun de ces adolescents attardés de vingt-six ans ressentait l’un pour l’autre.

Pour faire court, ils se câlinaient en l’absence des filles. Cette génération passe son temps à se câliner. Ils sont là à se peloter sans arrêt et à faire « Yeeaaaahéhangue », a noté Fink dans le carnet qui ne le quitte plus depuis l’apparition des nouveaux philosophes.

Quand j’ai sifflé la mi-temps, les « Djeuns » ont stoppé net leur chanson douce. J’ai tabassé les deux. Comme dans tous les rêves violents que je fais dans mon lit, il me faut des heures et des heures avant de démonter la tête d’un type.On dirait que je cogne dans la guimauve.

À la fin, j’ai pris la gratte et je l’ai enfoncée sur la coiffure du plus grand. Comme sur la jaquette de London Calling [2. Double album du groupe anglais The Clash.]. On aurait dit aussi Malcom Mc Dowel dans Orange Mécanique, mais en plus gras.

J’ai dit : « Ça, c’est pour avoir massacré Nicoletta la première année. Et ça c’est pour faire semblant de savoir chanter du Téléphone alors que vous n’êtes que des minables. »

Fink a filé un coup de Doc Martins dans l’ampli pour qu’ils soient pas tentés de couiner ou d’appeler leur manager. On a obligé la prof de chant, celle qui a les mêmes lèvres que Michel Sardou, à se bourrer à la bière jusqu’à ce qu’elle arrête de crier.

Ensuite, seulement, nous sommes retournés voir Jessica et Connifer.

Elles essayaient des jeans devant un miroir aux alouettes en rentrant leur ventre. On a fermé la porte de la chambre. On s’est mis à les regarder par en dessous.

– Vas-y, Fink, t’as qu’à commencer…
Et Fink a démarré, il a sorti son cahier et lu des notes qui dataient du milieu des années 1980.
– Bien que j’ai été soixante-huitard comme la plupart des gens de mon âge, ou peut-être précisément pour cette raison, je ne crois pas qu’il faille valoriser automatiquement tout ce qui bouge ni que le mouvement soit à lui-même sa propre justification. Il me semble, à l’inverse, qu’au risque d’être un peu seul, il importe aujourd’hui d’être sobre et de résister à la grande marée lyrique des pseudo-résistants.

Ça n’a pas manqué. Les deux apprenties ont été prises de convulsions comme si elles avaient laissé tomber leur fer à friser dans leur bain. C’était atroce, ça chialait, ça demandait pardon à la Pensée, à la Culture, aux Punks des 70’s et même à la New Wave. L’une s’est tellement secouée qu’un sein est sorti de son body. Ça a failli m’attendrir.

– Tiens, remets donc ça, j’ai dit à Fink en me ravisant.Et il a remis ça le mec.
– À l’inquiétude suscitée par l’hétérogénéité linguistique ou culturelle qui règne dans les écoles et collèges situés hors des quartiers bourgeois on répond en vantant, sur le mode Benetton…

Il a pas pu continuer car une des filles s’est mise à pleurer franchement provoquant le déclenchement d’une alarme. Fink m’a regardé avec son cahier ouvert et son questionnement.

– On devrait peut-être se tirer, j’ai dit.
– Ouais, mais avant on s’occupe du gel.Pas question effectivement, de partir sans détruire les provisions de gel. On a vidé les pots dans les cabinets collectifs et on s’est taillé.

Comme dans tous les songes de qualité, j’avais mis la main sur une liasse de Pascal, des vrais francs, pas des euros. Une liasse bien épaisse, bien dense avec le bandeau vert rayé, le tout dérobé dans la poche intérieure du smoking de Nikos Aliagas. (…)

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Le vide et la particule élémentaire

Le pouvoir en France est en état de déréliction avancé. Car la « rupture » sarkozienne n’est pas comme annoncée une remise en cause de la pratique républicaine depuis quarante ans, mais bien un retournement de l’idée de modernité portée par la politique depuis deux cents ans.

Je fus longtemps assidu à mon journal politique. L’accélération prodigieuse du temps politique sous Sarkozy aurait dû m’emporter dans un rythme effréné de commentaires. L’insondable vide de la pensée économique de Sarkozy appelait quand même quelques analyses. Mais non, rien. L’inanité de sa vision internationale aurait dû susciter des critiques. Pas grand-chose de ma part. Le piétinement de toutes nos valeurs et de nos traditions républicaines aurait dû provoquer mon insurrection épistolaire. Un ou deux billets à peine. D’où me vient alors ce sentiment si pénétrant de vide ?

Henri Guaino – quand il pensait encore avant d’écrire – avait noté dans un de ses essais sur la modernité : « L’homme moderne a un problème avec le réel […] parce qu’il sait qu’il croit, alors que l’homme archaïque ne le sait pas. […] Quand l’un fait acte de foi, l’autre fait acte de soumission… » Il n’avait pas encore remarqué que son futur président sombrerait dans cet archaïsme soumis qu’il dénonçait. Car Sarkozy est bien désormais soumis au rythme désordonné du virtuel et de l’émotion.

Depuis que la politique s’est arrachée voici deux cents ans à l’emprise du sacré, l’homme politique moderne avait pour projet d’ordonner sa pensée ; il n’atteignait pas toujours son objectif, mais le doute raisonné faisait vibrer son jugement. Le président nouveau est en « rupture » avec ce projet ; crypto-archaïque ou archéo-bougiste, il ne doute pas, il avance. Il ne raisonne pas, il résonne comme un tambour qui cadence sa marche forcée au rythme des nouveautés. Il feint de croire que ce tempo imposé et improvisé crée un ordre ; qu’il sort de chaque commission une idée forte et nouvelle pour la France ; mais chaque battement est le signe d’une nouvelle orientation, d’un nouvel engouement, d’une palinodie. Dans la cacophonie des tam-tams de la rupture sarkozienne, sa tribu ne sait plus sur quel pied danser ; chacun part dans un sens ou un autre, dans une transe sans unité ou harmonie collective. On croirait des paramécies s’agitant dans le chaos de leur bouillon de culture. Ce monde n’est pas ordonné, tout y est libre comme dans la soupe originelle où les particules élémentaires n’avaient encore trouvé aucune force pour assurer leur cohésion et leur permettre de constituer des systèmes évolués. Là où l’homme moderne s’imprègne de culture pour mieux dresser les plans du progrès, un projet de civilisation, l’incarnation présidentielle de l’homme « nouveau » se soumettra ainsi à la nature et s’accordera pour accepter toutes les régressions.

Car au-delà de toute idéologie, c’est bien de cela qu’il s’agit. Sarkozy n’est pas un doctrinaire partisan du libre-échangisme ou de l’économie dérégulée. C’est avant tout – selon la définition de Taguieff – un « bougiste » post-soixante-huitard libéré de la culture positiviste. En rupture avec la modernité et la rationalité. Non Sarkozy n’est pas fou (un peu quand même…). C’est juste une particule élémentaire libérée dans un espace politique vide de tout corpus idéologique solide. Alors, il s’agite et rebondit sur rien…. Mais ce vide qui baigne le monde politique comme l’éther baignait le monde des anciens emplit aussi tout son espace intérieur. Car Sarkozy ne dispose d’aucune culture qui permettrait d’agréger le mouvement brownien de ses neurones. Pas de repère littéraire ou philosophique. Juste Marc Lévy comme horizon culturel… Alors ses quelques neurones s’agitent et rebondissent sur rien…

Voilà où nous en sommes. Et un grand frisson d’effroi parcourt le peuple et le monde médiatique prêt au lynchage. Depuis 1999, je prédis le pire pour notre pays. Le pire est là. Malgré nos divergences politiques, nous ne devons pas nous en réjouir car l’image de la France s’abîme un peu plus chaque jour. D’aucuns diront que sous sommes une nation trop orgueilleuse pour produire un dirigeant aussi inepte et grotesque que Sarkozy. Et pourtant si.

Le 6 mai 2007 une grande voiture vide s’est arrêtée devant l’arc de triomphe. Nicolas Sarkozy en est sorti.

Buvez pour ceux qui ont soif

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Véronique Jannot est le prototype de l’actrice française qui n’a pas réussi. Elle en avait les atouts. Elle n’était pas plus sotte qu’une autre. Elle arborait sous son t-shirt tous les arguments d’une grande carrière.

Pourtant, le destin cantonna Véronique Jannot à connaître son unique heure de gloire au début des années 1980 lorsque des centaines de milliers d’adolescents s’occupaient à presser autre chose que leur bubons d’acné en la voyant tenir le rôle titre du téléfilm Pause Café.

A croire que le touche pipi n’est qu’une activité française : sa notoriété ne dépassa jamais les frontières de l’Hexagone. En Allemagne, les apparitions télévisées de l’assistante sociale au grand cœur n’eurent aucune incidence sur la consommation de kleenex des jeunes gens. Et c’est bien dommage car cela aurait évité à toute une génération de finir homosexuelle à force de mater l’icône gay qu’est Horst Tappert lorsqu’il revêtait encore l’imperméable si suggestif de l’inspecteur Derrick.

Le lecteur récalcitrant maugréera que Horst Tappert n’est pas une icône gay. Qu’on soit rassuré : il le deviendra sitôt qu’on aura sorti son cadavre du formol. On l’a bien fait pour Dalida, Line Renaud, Mireille Mathieu ou Chantal Goya. Aucun directeur marketing ne pourrait parier sa Rollex que ça ne marchera pas pour lui.

Mais revenons à nos lapins : Jannot n’a jamais été qu’une petite égérie française, comme l’avait dit en son temps le général Bigeard.

Aujourd’hui, elle n’a aucun contrat en vue : ni au théâtre, ni à la télévision, ni dans la chanson, ni au cinéma. Le seul engagement qu’elle ait trouvé, c’est l’humanitaire. Elle qui a connu la gloire sous Giscard milite pour Volvic, l’eau minérale des volcans d’Auvergne.

Cela fera plaisir à Véronique Jannot : il vous suffit d’acheter un litre de Volvic et les gens au Sahel pourront aller puiser dix litres d’eau potable dans leur village. En prenant connaissance de l’opération, j’avais compris qu’on les faisait débarquer par charter à Clermont-Ferrand, puis qu’on les trimballait en bus jusqu’à Volvic avant de les renvoyer par charter au Sahel avec leurs dix litres d’eau en poche. Je l’avoue : je me suis trompée.

Volvic et l’Unicef ont fait appel à Véronique Jannot pour une opération qui ressemble à s’y méprendre à « barils de pétrole contre sacs de blé ». Sauf qu’il s’agit, en l’espèce, d’un litre de flotte contre dix.

– Mais, il me faut vingt litres d’eau, Bouana.
– Ah non, aujourd’hui, t’auras droit qu’à dix litres : Elisabeth Lévy n’a acheté qu’une bouteille de Volvic à l’Unico d’Hagondange. Tu n’as qu’à t’en prendre à elle !
– Mais qu’est-ce qu’elle foutait à Hagondange, Elisabeth Lévy ?
– C’est pas tes oignons !

On n’avait pas vu plus belle initiative humanitaire depuis l’Arche de Zoé. Cependant, méfiez-vous : si vous achetez un litre d’Evian, de Contrexéville, de Vittel, de Saint-Yorre, d’Hépar, de Badoit ou de Perrier, on ferme l’arrivée d’eau dans les villages du Sahel. Ils peuvent bien crever la bouche ouverte, on vous avait dit que c’était du Volvic qu’il fallait boire. Et rien d’autre.

En revanche, si vous achetez six yaourts Danone aux fruits au lieu d’un litre de Volvic, on veut bien croire en votre bonne foi et donner cinq cent grammes de millet aux gens du Sahel. On n’a pas osé leur proposer du fromage blanc à 0 %. Le problème, c’est que le Sahélien moyen, lorsqu’il veut bouffer son millet, il lui faut de l’eau. Jamais satisfaits, ces gens-là. Donc, notre recommandation, c’est de toujours acheter un litre de Volvic avec vos yaourts Danone. A moins que cela ne vous dérange pas d’avoir des morts sur la conscience.

Si jamais, entre deux cirrhoses, l’un ou l’autre producteur de Pommard ou de Gevrey-Chambertin passait sur ce site, qu’il me laisse un message : je suis toute disposée à me dévouer à ne boire plus que ça. Même plusieurs fois par jour. Et sans enquiquiner le Sahélien moyen.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Peut-on rire de rien ?

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Le « rire de résistance », vous connaissez ? Non, ça ne date pas de l’occupation allemande, mais d’aujourd’hui. Plus précisément, d’un cycle de conférences organisé par Jean-Michel Ribes (d’ordinaire mieux inspiré) en son théâtre du Rond-Point. En tout, une vingtaine d’exposés pieusement relayés par France Culture, qui n’en rate pas une !

Mais alors, dira-t-on, « résistance » à quoi? Une fois de plus, ce sont les Inrocks qui m’ont éclairé : nous avons, à ce qu’il paraît, un « devoir de résistance politique (…) contre l’époque sarkozyste (…) par la subversion de nos rires ». Rien que ça !

Mais quels rires, au fait ? A vrai dire, on n’en a guère entendu durant la conférence de Roger-Pol Droit, « philosophe et homme d’esprit » comme le présentait (sans rire) l’animateur.

Faire croire aux lecteurs du Monde, auquel il collabore, que ce Roger-Pol là est un philosophe, passe encore ; après tout, ils croient bien lire un « grand quotidien de référence »… Mais le faire passer pour un « homme d’esprit », c’est à la limite de la diffamation !
Toujours est-il que notre ami a choisi, pour accomplir son « devoir de résistance », de s ‘en prendre à… Staline, à l’occasion du 55ème anniversaire de sa mort. On n’est pas plus audacieux.

Circonstance aggravante, notre Mondain avait imprudemment choisi pour arme le deuxième degré, qu’il manie avec une rare balourdise – crachant alternativement une ironie de plomb et des jeux de mots laids, qui à coup sûr seraient refusés aux « Grosses Têtes » ! Me croirez-vous, le ressort comique de cet interminable one-intello-show, c’est d’appeler Staline… le « GPS » !

Ravi de sa trouvaille, R.-P.D. va la décliner trente minutes durant, du « Grand Penseur Staline » au « Guide Parfait des Soviets » en passant par le « Gourou Prolétarien Systématique ». A ce niveau d’à-peu près foireux et de nullité facile, on se croirait sur Rire et Chansons… Et encore, en écrivant ça, je risque le procès (avec la station).

Soudain, R.-P.D. nous informe qu’il a cessé de plaisanter pour causer sérieux. Une précision bien utile au demeurant, puisqu’on rit au moins autant qu’avant ! Que dis-je, on rit beaucoup plus quand, par exemple, au lieu de ses vannes à deux kopeks, l’orateur cite des blagues de prisonniers du Goulag qui savaient, eux, de quoi ils plaisantaient !

– Combien tu as pris ?
– Moi, 20 ans !
– Pourquoi ?
– Pour rien !
– Menteur ! Pour rien, c’est 10 ans !

Mais on ne peut s’empêcher de sourire aussi quand notre humoriste enfile son costume de « Grande Conscience » pour clamer : « Staline a trompé l’espérance ! Il a mué le socialisme en dictature ! » Les nouvelles vont vite, chez RPD…

Pour sa conclusion, l’homme d’esprit a choisi de re-redevenir drôle. Je ne peux que citer : « Merci, camarade Staline, d’avoir montré jusqu’où peut se porter la bêtise, même chez les savants et les philosophes… » Mais si ça se trouve, on en a eu d’autres exemples depuis, n’est-ce pas Roger-Pol ?

Le rire de résistance: De Diogène à Charlie Hebdo

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Une cause nationale

Moi aussi, je préfèrerais qu’Ingrid Betancourt soit libre. Moi aussi, la simple idée de son calvaire me glace d’effroi. Moi aussi. Comme Nicolas Sarkozy, Bertrand Delanoë, Julien Dray, François Fillon et les autres. Comme les onze femmes du gouvernement qui, bravant le ridicule avec un courage admirable, ont enregistré des messages de soutien platonique à la captive. Comme les dizaines de milliers de pétitionnaires et militants plus ou moins actifs de la cause. Car « Ingrid », comme l’appellent désormais des tas de gens qui ne la connaissent pas, est devenue une cause. Et même une « cause nationale », comme l’a proclamée notre président sans susciter la moindre réserve – bien au contraire. Tout Paris s’est bouché le nez quand il s’est agi de remercier Khadafi qui, après tout, avait bel et bien renoncé à son programme nucléaire et libéré les infirmières bulgares. En revanche, la politique ingridienne de Nicolas Sarkozy est l’objet de toutes les approbations : il fait des mamours à Chavez ? Excellent ! Il se déclare prêt à aller la chercher lui-même – avec ou sans les dents ? Epatant !

Il faudrait être inhumain pour ne pas souhaiter la libération d’une femme détenue dans d’aussi atroces conditions, n’est-ce pas ? Alors, n’écoutant que les élans de notre bon cœur, nous jurons de « tout faire » pour libérer Ingrid. Oui, moi aussi, je la tutoie : depuis qu’elle est détenue dans une jungle lointaine, ne sommes-nous pas tous devenus ses amis intimes ? D’ailleurs, elle le mérite : grâce à elle, sans rien faire, sans bouger une fesse, nous voilà tous des « gens bien ». Des résistants ! Qui voudrait être en reste ?

Un portrait géant de la prisonnière est hissé sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris. Entre Césars (de cinéma) et Victoires (de la musique), le showbiz « se mobilise » et les intellectuels « s’engagent ». Déjà dans les théâtres municipaux parisiens on lit solennellement sa lettre – en attendant qu’elle soit inscrite au programme de CP ! Sous la houlette de Elle, l’hebdo qui n’en rate pas une (bonne cause), toutes les niches du people sont mises à contribution. De Marc Lévy à Julia Kristeva, de Catherine Deneuve à Harry Roselmack, de Ségolène Royal à André Vingt-Trois, chacun sait trouver le mot juste pour « Ingrid ». Il n’y manque qu’un message de soutien des Tokio Hotel pour mobiliser notre belle jeunesse.

« Vous nous êtes proche parce que vous êtes une victime. » Cette admirable phrase, que nous devons à Nathalie Kosciusko-Morizet, résume à elle seule le climat dans lequel baigne l’élite de notre pays à propos de « l’affaire Ingrid » : le pathos gratos.

Que nous soyons odieux avec nos subordonnés, impitoyables avec les faibles, complaisants avec les puissants, peu importe : en affirmant haut et fort combien nous souffrons pour et avec « elle », n’acquérons-nous pas nous-mêmes un statut de victimes ? Femme et otage, madame Betancourt est une victime au carré. La mère de toutes les victimes – ou leur « maman ».

Alors écoutons plutôt Fadela Amara qui, pour l’occasion, a délaissé son cher parler zyva au profit d’une prose gourmée, entre slam et IIIe République: « Pour les filles des quartiers / Vous êtes le visage de Marianne / Parce que vous êtes belle / Mais surtout parce que vous êtes rebelle », déclare-t-elle avec conviction. Ingrid, l’héroïne absente et silencieuse de la Journée internationale de la Femme (j’ai appris, sur France Inter, que Lénine en personne en avait fixé la date). Son visage de suppliciée fût l’icône de cette dénonciation rituelle autant qu’annuelle de toutes les méchanteries faites aux femmes des origines à nos jours.

D’accord, j’exagère. Que le combat pour la libération d’Ingrid Betancourt soit marqué par quelques boursouflures n’enlève rien à sa justesse. S’il y a du pathos, c’est aussi qu’il y a du pathétique. Fanatiques illuminés, seigneurs de la guerre ou droguistes déguisés, les FARC méritent bien que l’on brandisse contre eux les grands principes. Mais en l’occurrence, ce n’est pas contre eux qu’on les brandit ! Avant même d’être proclamée « cause nationale » dans notre beau pays, Ingrid Betancourt était – est reste – l’enjeu d’un affrontement politique et militaire entre un Etat soutenu par les USA et une organisation terroriste (selon les critères de l’Union européenne et du bon sens.) Cet affrontement nourrit la tension dans toute la région. Mais vous me direz, la Colombie, c’est loin et c’est compliqué…

Quoi qu’il en soit, l’opinion française a bien compris une chose : on peut faire pression sur le président Uribe plus facilement que sur les FARC. Et en plus, c’est lui le bad guy, celui qui refuse toute négociation… En abattant le numéro 2 des FARC, sur territoire équatorien de surcroît, n’a-t-il pas salopé d’un coup tous les efforts généreux déployés par le président Chavez ?

Ce n’est pas moi qui m’opposerai à l’idée que la France ait une politique étrangère. Encore faudrait-il qu’elle soit fondée sur une appréciation vaguement lucide des rapports de force et des intérêts nationaux plutôt que sur des élans médiatico-humanitaires. En faisant de l’ »ingridisme » l’alpha et l’omega de notre diplomatie locale, nous ne sommes pas sûrs du tout de hâter sa libération… Ce dont nous pouvons être certains en revanche, c’est qu’en jouant à ce jeu, la France prend parti à l’aveuglette dans un conflit dont elle ne détient pas les clés. Est-ce bien raisonnable ? Les droits de l’homme ne sont pas une politique, écrivait Marcel Gauchet en 1980. Les larmes d’enfants et de ministres non plus.

Au moins dans le monde réel ; mais tout le monde a le droit de déménager…

NB. Cette excellente chute et un certain nombre de perles – merci pour le pathos gratos – que les lecteurs avisés repèreront dans cette nouvelle version sont dues à Basile de Koch qui a été bien plus qu’un simple relecteur. Qu’il soit remercié pour ce talent rare et les heures nocturnes consacrées à ce texte. EL

Pour une révolution culturelle

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Plus loin ! Plus haut ! Les électeurs ont adressé un message clair à Nicolas Sarkozy. Il faut dépoussiérer la France et commencer par la culture.

La nomination de Georges-Marc Benamou à la Villa Médicis est un pas dans la bonne direction. Pouvait-on imaginer un meilleur ambassadeur pour la culture française ? Nul doute qu’à ce poste de confiance, il saura bousculer les vieilles habitudes et faire souffler l’air frais de la modernité.

Le chemin est tracé. Les Français le veulent. Non pas les « réformes » comme l’ânonne une vaine élite mais la « rupture » originelle ! La Révolution.

Nous exigeons l’adoption immédiate d’un plan de modernisation de la culture.
Quelques mesures symboliques seront prises dans les 50 premiers jours :

– Colorisation de tous les films en noir et blanc ;
– projection obligatoire de Bienvenue chez les Chtis dans toutes les classes de CM2, dans le cadre d’un projet pédagogique sur la mémoire des régions ;
– destruction des vieux bâtiments qui gâchent la perspective autour des colonnes de Buren ;
– instauration d’un jour férié pour commémorer la refondation du groupe NTM ;
– retour à la méthode globale et sa généralisation à l’ensemble des matières en particulier l’algèbre et la philosophie ;
– réaménagement de la Galerie des Glaces par Philippe Starck ;
– versement au parc Astérix d’une subvention de 10 millions d’euros dans le cadre de la lutte contre l’hégémonie américaine ;
– rétrospective Luc Besson à la Cinémathèque ;
– déplacement des épreuves du bac pour permettre la reprogrammation à sa date initiale du concert de Tokio Hotel ;
– réimpression, sur papier bible, à l’Imprimerie nationale, de la collection complète du magazine Globe.

La révolution culturelle que nous appelons de nos vœux a besoin d’hommes et de femmes neufs et neuves, capables enfin de faire table rase d’un passé désespérément vide.

Dès maintenant, nous suggérons vivement au président de la République de manifester son engagement pour la Modernité dont nous ne sommes que les modestes porte-drapeaux en procédant immédiatement aux nominations suivantes :

– Marc Lévy à la Culture
– Michel-Edouard Leclerc à la direction du Livre
– Christian Clavier, à la Comédie Française
– Thierry Ardisson à France Télévision dont il a été exclu dans des conditions ignobles qui ne sont pas sans rappeler les pages plus sombres de notre histoire
– Jean-Marie Bigard à l’Académie française
– Diam’s à l’Inspection générale de l’Education nationale
– Michel Polnareff à l’IRCAM
– Marion Cotillard au Quai d’Orsay

Vous aussi, vous voulez dépoussiérer la France ? Rien de plus simple ! Signez ce manifeste ! L’union à la base des gens de qualité comme toi et nous pourra donner enfin un coup d’accélérateur à l’immobilisme qui ronge ce pays comme un frein.

Le livre, une marchandise. Rentable ?

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La promotion de best-sellers ressemble aux lancements des campagnes électorales, qui eux-mêmes font penser aux pubs de lessives. Heureusement, il y a les critiques (heu, c’est un gag). Philippe et Elisabeth font remarquer qu’il y a beaucoup trop de livres de journalistes. Teresa est tellement bien élevée qu’elle ne leur fait même pas remarquer qu’ils viennent d’en publier un…

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Comment peut-on être éditeur ?

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Où l’on apprend que Philippe Cohen déprime chaque semaine devant la liste des meilleures ventes, que Teresa Cremisi pense que les lecteurs et n’ont jamais été aussi intelligents, que – surprise! – Elisabeth ne partage pas entièrement cet optimisme…et que Montaigne vous protège, même si vous ne le lisez pas.

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Le président aux œufs d’or

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Editrice de Yasmina Reza et d’Anna Bitton, Teresa Cremisi n’est pas donc pas une déçue du sarkozysme. Augustin Scalbert s’intéresse au procès intenté par Cécilia – qui tous comptes faits, effraie moins l’éditrice que le procès en pipolisation intenté par… devinez qui ?

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Métis, si je veux !

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Au début, c’était enivrant. Cela devient saoulant. « Qu’ils sont ravissants vos fils ! Métis, non ? Ah ! Les métis, c’est (sic) toujours très beau… » Aujourd’hui c’est une voisine, charmante comme tout, Nouvel Obs sous le bras, qui me sert le compliment.
Et m’exaspère.

Je n’ai pourtant rien contre le métissage. Certes, l’injonction culturelle du métissage à tous prix m’agace (comme du reste toute forme de « pensée gramophone »), mais d’elle je ne me préoccupe guère : contrairement aux idéologies totalitaires, il suffit de l’ignorer pour s’en libérer. Et puis, ne suis-je pas, moi aussi, à la fois fils et père du métissage ? Non, la gêne que j’éprouve aujourd’hui encore dans le hall de mon immeuble ne provient pas de la louange, mais de ce qu’elle sous-entend. Et qui me semble remarquablement préoccupant.

Le racisme est devenu un tabou contemporain. Tant mieux. Mais ce qui semble avoir échappé à notre vigilance, c’est la persistance d’un discours qui, pour être formellement sympathique, n’autorise pas moins la pérennité, la mutation et donc, à terme, le retour d’un racisme pur et dur.

Car si l’expression raciste de nature agressive est prohibée, la louange raciste, elle, ne l’est pas. Les Noirs sont plus sympathiques, les Nordiques mieux bâtis, les Asiatiques plus sensuels, et ad libitum : autant de jugements caricaturaux, qui sont communément propagés et admis dans la mesure où ils ne sont pas proférés dans un but méprisant… mais laudateur. Ils n’en demeurent pas moins d’essence parfaitement raciste. Mes enfants sont beaux… comme tous les Métis. Ben Johnson court vite… comme tous les Noirs. Mlle Gong Li est gracieuse… comme toutes les Jaunes. Zidane ne plaisante pas avec l’honneur de la famille… comme tous les Arabes [1. Zinédine Zidane n’est pas Arabe mais Kabyle ? Qu’importe. Pendant toute l’épopée bleue (1998-2006), il fut sommé d’incarner l’Arabe d’une équipe nationale black-blanc-beur, qui n’en compta jamais un seul. Dommage, car l’Arabe, dit-on, est fin dribbleur…].

On ne trouvera là nulle matière à procès. Ni injure, ni dénigrement. Que des compliments. Mais qui enferment. Qui caricaturent. Et soutiennent qu’un être humain n’est plus le produit de son histoire, de ses choix personnels, de son univers historique et de son héritage culturel : il est avant tout et plus que tout l’illustration d’un principe génétique. Les Métis sont beaux, comme les Noirs dansent bien et les Asiatiques cousent vite. Loin de toute vocifération hitlérienne, on en arrive ainsi, de nouveau, à ramener l’individu à ses caractéristiques zoologiques.

L’homme ? Un animal comme les autres

Pourtant, si toutes les vaches ont des cornes, tous les Noirs n’ont pas la voix de Barry White ; si tous les oiseaux volent, tous les Asiatiques ne sont pas soigneux ; si toutes les poules sont ovipares, tous les Métis ne sont pas gâtés par la nature ; si tous les poissons ont des écailles, tous les Juifs ne sont pas doués pour faire de l’argent, de la philosophie ou de la physique quantique.

Et c’est heureux : la non-reproduction de caractéristiques d’espèce est précisément ce qui fonde la dignité et la liberté de l’homme. Cette conception de l’homme est hélas minée par un néo-racisme débonnaire et flatteur, qui à la haine préfère l’ADN, et nous ramène sans cesse au règne animal : pour la chasse ? Un teckel. Pour l’entrée du magasin ? Un black ! Pour le défilé de Deauville ? Un lévrier. Pour le standard et l’accueil ? Une Noich… Pour la chambre du petit ? Un hamster. Dans les buts ? Un rebeu. Pour Mamy ? Un chat angora. Et pour la Direction Générale ? Un blanc, la bonne blague !

Où l’on constate que la division raciale de l’éloge appelle déjà la division raciale du travail – c’est-à-dire qu’elle détermine l’utilité sociale.
Question : quel avenir prépare-t-on à certains de nos enfants, encouragés à travailler leurs abdos parce que Noirs, dans une société où seuls la matière grise est recherchée et où la force est désormais fournie par des robots tendanciellement gratuits ? Le chômage, la déréliction, l’amertume. Cool.
Qu’on y songe donc : derrière d’innocents compliments (« Oh ! Comme ils sont beaux… ») se profile une régression idéologique majeure. Il ne tient qu’à nous de l’enrayer. Avec un peu de pédagogie, sinon d’humour…

C’est pourquoi, aux admirateurs de mes enfants, j’ai décidé de livrer, une fois pour toutes, le secret de leur beauté. Mes fils ne sont pas beaux parce qu’ils sont métis. Ni parce que leur mère est superbe (et, accessoirement, leur père pas mal). Mes fils sont beaux parce qu’ils ont du talent et de la volonté, mes fils sont beaux parce qu’ils ont décidé d’être beaux.

Les Francophobes

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Fink Fiction

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Extrait de la nouvelle intitulée Fink Fiction, hommage déjanté au philosophe Alain Finkielkraut, tirée des Contes de la télé ordinaire, paru le 27 mars aux éditions Michalon. David Abiker a déjà publié chez le même éditeur Le Musée de l’homme et Le Mur des lamentations, respectivement consacrés à la féminisation de la société et à la victimisation médiatique. Il tient un blog.

(…) Une fois dans le hall d’entrée, Nikos Aliagas s’est rendu immédiatement. Nous l’avons ficelé sans aucune difficulté et rangé dans un placard à balais. Ses yeux semblaient nous dire merci.Je ne sais pas pourquoi mais dans ce rêve je suis eurosceptique. Et donc je dis à Fink :

– À cause de l’Europe, ce maudit Grec a pris ma place. C’était à moi d’animer le radio crochet, pas à cet étranger, hélas, il a demandé deux fois moins de pognon et ils l’ont pris.
– On va te venger, poulet, a répondu Fink.

L’auteur de Nous autres modernes avait les yeux qui brillaient et moi j’étais très excité. On a commencé la visite en tendant l’oreille. On entendait des « Yeeeeahhhhéhangue » dans les couloirs.

– Ils chantent les cons, j’ai dit.

Dans une pièce qui ressemblait à une cuisine Ikéa, on a reconnu deux candidates qui lisaient Psychologie Magazine tout en faisant des vocalises.Fink a posé cette question :

– Pourquoi font-elle innocemment vibrer les cloisons de leur nez au lieu d’utiliser leur ventre, leurs tripes et leur gorge ?
– Mais parce qu’elles sont en apprentissage, Alain, j’ai cru bon de répondre.

Jessica et Connifer, je crois. Elles poussaient des « Yeaaaaaaahéhangue » qui rappelaient ceux d’Ophélie Winter.
Fink a proposé de les maltraiter immédiatement.

– On s’occupe des garçons d’abord, j’ai dit.

Que restait-il de ces jeunes hommes à grandes dents ? Ils avaient déjà viré les plus dégénérés par SMS. Restaient deux ados avec des pieds immenses et des boîtes de céréales dans les poches.

Cette génération a des grands pieds, des gros os, des grosses lèvres, des mentons énormes. Avant de les liquider, Fink a souhaité qu’on s’occupe du gel.

J’ai senti qu’il faisait une fixette sur le gel. Pour lui le gel capillaire est un paradigme déterminant pour comprendre cette jeunesse.Faut dire qu’on supporte plus le gel, Fink et moi. On supporte plus leurs cheveux, leur air ahuri comme s’il fallait à tout prix avoir l’air ahuri. Avant on pensait avec sa tête, eux, ils pensent avec leurs cheveux. Ce qui est bien c’est que dans les rêves personne ne vient dire : « Mais David, en 1983, tu passais une heure par jour à te coiffer sans succès.

« Toujours est-il que dans ce château à la gomme, il y a des dizaines de cantines militaires pleines de gel. Le gel coule dans les veines et les artères des candidats de la StarAc’. C’est archi sûr. Du gel turquoise, du rose, du bleu, du « des années 80 ». L’école de chant la plus réputée de France carbure au gel.

– Mais ils en bouffent ou quoi ?, a gueulé Fink excédé.
J’ai pris un air mauvais.
– Ils vont le chier leur gel, t’aaas voir [1. Tu vas voir.].

J’ai fracassé la porte du studio. Deux jeunes mecs quart-de-finalistes s’entraînaient à la lambada avec des guitares classiques, tout en se jurant que si l’un d’entre eux perdait il n’en voudrait pas à l’autre.

Ni l’un ni l’autre n’avait jamais employé le terme « empathie », mais c’est bien le sentiment que chacun de ces adolescents attardés de vingt-six ans ressentait l’un pour l’autre.

Pour faire court, ils se câlinaient en l’absence des filles. Cette génération passe son temps à se câliner. Ils sont là à se peloter sans arrêt et à faire « Yeeaaaahéhangue », a noté Fink dans le carnet qui ne le quitte plus depuis l’apparition des nouveaux philosophes.

Quand j’ai sifflé la mi-temps, les « Djeuns » ont stoppé net leur chanson douce. J’ai tabassé les deux. Comme dans tous les rêves violents que je fais dans mon lit, il me faut des heures et des heures avant de démonter la tête d’un type.On dirait que je cogne dans la guimauve.

À la fin, j’ai pris la gratte et je l’ai enfoncée sur la coiffure du plus grand. Comme sur la jaquette de London Calling [2. Double album du groupe anglais The Clash.]. On aurait dit aussi Malcom Mc Dowel dans Orange Mécanique, mais en plus gras.

J’ai dit : « Ça, c’est pour avoir massacré Nicoletta la première année. Et ça c’est pour faire semblant de savoir chanter du Téléphone alors que vous n’êtes que des minables. »

Fink a filé un coup de Doc Martins dans l’ampli pour qu’ils soient pas tentés de couiner ou d’appeler leur manager. On a obligé la prof de chant, celle qui a les mêmes lèvres que Michel Sardou, à se bourrer à la bière jusqu’à ce qu’elle arrête de crier.

Ensuite, seulement, nous sommes retournés voir Jessica et Connifer.

Elles essayaient des jeans devant un miroir aux alouettes en rentrant leur ventre. On a fermé la porte de la chambre. On s’est mis à les regarder par en dessous.

– Vas-y, Fink, t’as qu’à commencer…
Et Fink a démarré, il a sorti son cahier et lu des notes qui dataient du milieu des années 1980.
– Bien que j’ai été soixante-huitard comme la plupart des gens de mon âge, ou peut-être précisément pour cette raison, je ne crois pas qu’il faille valoriser automatiquement tout ce qui bouge ni que le mouvement soit à lui-même sa propre justification. Il me semble, à l’inverse, qu’au risque d’être un peu seul, il importe aujourd’hui d’être sobre et de résister à la grande marée lyrique des pseudo-résistants.

Ça n’a pas manqué. Les deux apprenties ont été prises de convulsions comme si elles avaient laissé tomber leur fer à friser dans leur bain. C’était atroce, ça chialait, ça demandait pardon à la Pensée, à la Culture, aux Punks des 70’s et même à la New Wave. L’une s’est tellement secouée qu’un sein est sorti de son body. Ça a failli m’attendrir.

– Tiens, remets donc ça, j’ai dit à Fink en me ravisant.Et il a remis ça le mec.
– À l’inquiétude suscitée par l’hétérogénéité linguistique ou culturelle qui règne dans les écoles et collèges situés hors des quartiers bourgeois on répond en vantant, sur le mode Benetton…

Il a pas pu continuer car une des filles s’est mise à pleurer franchement provoquant le déclenchement d’une alarme. Fink m’a regardé avec son cahier ouvert et son questionnement.

– On devrait peut-être se tirer, j’ai dit.
– Ouais, mais avant on s’occupe du gel.Pas question effectivement, de partir sans détruire les provisions de gel. On a vidé les pots dans les cabinets collectifs et on s’est taillé.

Comme dans tous les songes de qualité, j’avais mis la main sur une liasse de Pascal, des vrais francs, pas des euros. Une liasse bien épaisse, bien dense avec le bandeau vert rayé, le tout dérobé dans la poche intérieure du smoking de Nikos Aliagas. (…)

Contes de la télé ordinaire

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Le vide et la particule élémentaire

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Le pouvoir en France est en état de déréliction avancé. Car la « rupture » sarkozienne n’est pas comme annoncée une remise en cause de la pratique républicaine depuis quarante ans, mais bien un retournement de l’idée de modernité portée par la politique depuis deux cents ans.

Je fus longtemps assidu à mon journal politique. L’accélération prodigieuse du temps politique sous Sarkozy aurait dû m’emporter dans un rythme effréné de commentaires. L’insondable vide de la pensée économique de Sarkozy appelait quand même quelques analyses. Mais non, rien. L’inanité de sa vision internationale aurait dû susciter des critiques. Pas grand-chose de ma part. Le piétinement de toutes nos valeurs et de nos traditions républicaines aurait dû provoquer mon insurrection épistolaire. Un ou deux billets à peine. D’où me vient alors ce sentiment si pénétrant de vide ?

Henri Guaino – quand il pensait encore avant d’écrire – avait noté dans un de ses essais sur la modernité : « L’homme moderne a un problème avec le réel […] parce qu’il sait qu’il croit, alors que l’homme archaïque ne le sait pas. […] Quand l’un fait acte de foi, l’autre fait acte de soumission… » Il n’avait pas encore remarqué que son futur président sombrerait dans cet archaïsme soumis qu’il dénonçait. Car Sarkozy est bien désormais soumis au rythme désordonné du virtuel et de l’émotion.

Depuis que la politique s’est arrachée voici deux cents ans à l’emprise du sacré, l’homme politique moderne avait pour projet d’ordonner sa pensée ; il n’atteignait pas toujours son objectif, mais le doute raisonné faisait vibrer son jugement. Le président nouveau est en « rupture » avec ce projet ; crypto-archaïque ou archéo-bougiste, il ne doute pas, il avance. Il ne raisonne pas, il résonne comme un tambour qui cadence sa marche forcée au rythme des nouveautés. Il feint de croire que ce tempo imposé et improvisé crée un ordre ; qu’il sort de chaque commission une idée forte et nouvelle pour la France ; mais chaque battement est le signe d’une nouvelle orientation, d’un nouvel engouement, d’une palinodie. Dans la cacophonie des tam-tams de la rupture sarkozienne, sa tribu ne sait plus sur quel pied danser ; chacun part dans un sens ou un autre, dans une transe sans unité ou harmonie collective. On croirait des paramécies s’agitant dans le chaos de leur bouillon de culture. Ce monde n’est pas ordonné, tout y est libre comme dans la soupe originelle où les particules élémentaires n’avaient encore trouvé aucune force pour assurer leur cohésion et leur permettre de constituer des systèmes évolués. Là où l’homme moderne s’imprègne de culture pour mieux dresser les plans du progrès, un projet de civilisation, l’incarnation présidentielle de l’homme « nouveau » se soumettra ainsi à la nature et s’accordera pour accepter toutes les régressions.

Car au-delà de toute idéologie, c’est bien de cela qu’il s’agit. Sarkozy n’est pas un doctrinaire partisan du libre-échangisme ou de l’économie dérégulée. C’est avant tout – selon la définition de Taguieff – un « bougiste » post-soixante-huitard libéré de la culture positiviste. En rupture avec la modernité et la rationalité. Non Sarkozy n’est pas fou (un peu quand même…). C’est juste une particule élémentaire libérée dans un espace politique vide de tout corpus idéologique solide. Alors, il s’agite et rebondit sur rien…. Mais ce vide qui baigne le monde politique comme l’éther baignait le monde des anciens emplit aussi tout son espace intérieur. Car Sarkozy ne dispose d’aucune culture qui permettrait d’agréger le mouvement brownien de ses neurones. Pas de repère littéraire ou philosophique. Juste Marc Lévy comme horizon culturel… Alors ses quelques neurones s’agitent et rebondissent sur rien…

Voilà où nous en sommes. Et un grand frisson d’effroi parcourt le peuple et le monde médiatique prêt au lynchage. Depuis 1999, je prédis le pire pour notre pays. Le pire est là. Malgré nos divergences politiques, nous ne devons pas nous en réjouir car l’image de la France s’abîme un peu plus chaque jour. D’aucuns diront que sous sommes une nation trop orgueilleuse pour produire un dirigeant aussi inepte et grotesque que Sarkozy. Et pourtant si.

Le 6 mai 2007 une grande voiture vide s’est arrêtée devant l’arc de triomphe. Nicolas Sarkozy en est sorti.

Buvez pour ceux qui ont soif

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Véronique Jannot est le prototype de l’actrice française qui n’a pas réussi. Elle en avait les atouts. Elle n’était pas plus sotte qu’une autre. Elle arborait sous son t-shirt tous les arguments d’une grande carrière.

Pourtant, le destin cantonna Véronique Jannot à connaître son unique heure de gloire au début des années 1980 lorsque des centaines de milliers d’adolescents s’occupaient à presser autre chose que leur bubons d’acné en la voyant tenir le rôle titre du téléfilm Pause Café.

A croire que le touche pipi n’est qu’une activité française : sa notoriété ne dépassa jamais les frontières de l’Hexagone. En Allemagne, les apparitions télévisées de l’assistante sociale au grand cœur n’eurent aucune incidence sur la consommation de kleenex des jeunes gens. Et c’est bien dommage car cela aurait évité à toute une génération de finir homosexuelle à force de mater l’icône gay qu’est Horst Tappert lorsqu’il revêtait encore l’imperméable si suggestif de l’inspecteur Derrick.

Le lecteur récalcitrant maugréera que Horst Tappert n’est pas une icône gay. Qu’on soit rassuré : il le deviendra sitôt qu’on aura sorti son cadavre du formol. On l’a bien fait pour Dalida, Line Renaud, Mireille Mathieu ou Chantal Goya. Aucun directeur marketing ne pourrait parier sa Rollex que ça ne marchera pas pour lui.

Mais revenons à nos lapins : Jannot n’a jamais été qu’une petite égérie française, comme l’avait dit en son temps le général Bigeard.

Aujourd’hui, elle n’a aucun contrat en vue : ni au théâtre, ni à la télévision, ni dans la chanson, ni au cinéma. Le seul engagement qu’elle ait trouvé, c’est l’humanitaire. Elle qui a connu la gloire sous Giscard milite pour Volvic, l’eau minérale des volcans d’Auvergne.

Cela fera plaisir à Véronique Jannot : il vous suffit d’acheter un litre de Volvic et les gens au Sahel pourront aller puiser dix litres d’eau potable dans leur village. En prenant connaissance de l’opération, j’avais compris qu’on les faisait débarquer par charter à Clermont-Ferrand, puis qu’on les trimballait en bus jusqu’à Volvic avant de les renvoyer par charter au Sahel avec leurs dix litres d’eau en poche. Je l’avoue : je me suis trompée.

Volvic et l’Unicef ont fait appel à Véronique Jannot pour une opération qui ressemble à s’y méprendre à « barils de pétrole contre sacs de blé ». Sauf qu’il s’agit, en l’espèce, d’un litre de flotte contre dix.

– Mais, il me faut vingt litres d’eau, Bouana.
– Ah non, aujourd’hui, t’auras droit qu’à dix litres : Elisabeth Lévy n’a acheté qu’une bouteille de Volvic à l’Unico d’Hagondange. Tu n’as qu’à t’en prendre à elle !
– Mais qu’est-ce qu’elle foutait à Hagondange, Elisabeth Lévy ?
– C’est pas tes oignons !

On n’avait pas vu plus belle initiative humanitaire depuis l’Arche de Zoé. Cependant, méfiez-vous : si vous achetez un litre d’Evian, de Contrexéville, de Vittel, de Saint-Yorre, d’Hépar, de Badoit ou de Perrier, on ferme l’arrivée d’eau dans les villages du Sahel. Ils peuvent bien crever la bouche ouverte, on vous avait dit que c’était du Volvic qu’il fallait boire. Et rien d’autre.

En revanche, si vous achetez six yaourts Danone aux fruits au lieu d’un litre de Volvic, on veut bien croire en votre bonne foi et donner cinq cent grammes de millet aux gens du Sahel. On n’a pas osé leur proposer du fromage blanc à 0 %. Le problème, c’est que le Sahélien moyen, lorsqu’il veut bouffer son millet, il lui faut de l’eau. Jamais satisfaits, ces gens-là. Donc, notre recommandation, c’est de toujours acheter un litre de Volvic avec vos yaourts Danone. A moins que cela ne vous dérange pas d’avoir des morts sur la conscience.

Si jamais, entre deux cirrhoses, l’un ou l’autre producteur de Pommard ou de Gevrey-Chambertin passait sur ce site, qu’il me laisse un message : je suis toute disposée à me dévouer à ne boire plus que ça. Même plusieurs fois par jour. Et sans enquiquiner le Sahélien moyen.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Peut-on rire de rien ?

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Le « rire de résistance », vous connaissez ? Non, ça ne date pas de l’occupation allemande, mais d’aujourd’hui. Plus précisément, d’un cycle de conférences organisé par Jean-Michel Ribes (d’ordinaire mieux inspiré) en son théâtre du Rond-Point. En tout, une vingtaine d’exposés pieusement relayés par France Culture, qui n’en rate pas une !

Mais alors, dira-t-on, « résistance » à quoi? Une fois de plus, ce sont les Inrocks qui m’ont éclairé : nous avons, à ce qu’il paraît, un « devoir de résistance politique (…) contre l’époque sarkozyste (…) par la subversion de nos rires ». Rien que ça !

Mais quels rires, au fait ? A vrai dire, on n’en a guère entendu durant la conférence de Roger-Pol Droit, « philosophe et homme d’esprit » comme le présentait (sans rire) l’animateur.

Faire croire aux lecteurs du Monde, auquel il collabore, que ce Roger-Pol là est un philosophe, passe encore ; après tout, ils croient bien lire un « grand quotidien de référence »… Mais le faire passer pour un « homme d’esprit », c’est à la limite de la diffamation !
Toujours est-il que notre ami a choisi, pour accomplir son « devoir de résistance », de s ‘en prendre à… Staline, à l’occasion du 55ème anniversaire de sa mort. On n’est pas plus audacieux.

Circonstance aggravante, notre Mondain avait imprudemment choisi pour arme le deuxième degré, qu’il manie avec une rare balourdise – crachant alternativement une ironie de plomb et des jeux de mots laids, qui à coup sûr seraient refusés aux « Grosses Têtes » ! Me croirez-vous, le ressort comique de cet interminable one-intello-show, c’est d’appeler Staline… le « GPS » !

Ravi de sa trouvaille, R.-P.D. va la décliner trente minutes durant, du « Grand Penseur Staline » au « Guide Parfait des Soviets » en passant par le « Gourou Prolétarien Systématique ». A ce niveau d’à-peu près foireux et de nullité facile, on se croirait sur Rire et Chansons… Et encore, en écrivant ça, je risque le procès (avec la station).

Soudain, R.-P.D. nous informe qu’il a cessé de plaisanter pour causer sérieux. Une précision bien utile au demeurant, puisqu’on rit au moins autant qu’avant ! Que dis-je, on rit beaucoup plus quand, par exemple, au lieu de ses vannes à deux kopeks, l’orateur cite des blagues de prisonniers du Goulag qui savaient, eux, de quoi ils plaisantaient !

– Combien tu as pris ?
– Moi, 20 ans !
– Pourquoi ?
– Pour rien !
– Menteur ! Pour rien, c’est 10 ans !

Mais on ne peut s’empêcher de sourire aussi quand notre humoriste enfile son costume de « Grande Conscience » pour clamer : « Staline a trompé l’espérance ! Il a mué le socialisme en dictature ! » Les nouvelles vont vite, chez RPD…

Pour sa conclusion, l’homme d’esprit a choisi de re-redevenir drôle. Je ne peux que citer : « Merci, camarade Staline, d’avoir montré jusqu’où peut se porter la bêtise, même chez les savants et les philosophes… » Mais si ça se trouve, on en a eu d’autres exemples depuis, n’est-ce pas Roger-Pol ?

Le rire de résistance: De Diogène à Charlie Hebdo

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Une cause nationale

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Moi aussi, je préfèrerais qu’Ingrid Betancourt soit libre. Moi aussi, la simple idée de son calvaire me glace d’effroi. Moi aussi. Comme Nicolas Sarkozy, Bertrand Delanoë, Julien Dray, François Fillon et les autres. Comme les onze femmes du gouvernement qui, bravant le ridicule avec un courage admirable, ont enregistré des messages de soutien platonique à la captive. Comme les dizaines de milliers de pétitionnaires et militants plus ou moins actifs de la cause. Car « Ingrid », comme l’appellent désormais des tas de gens qui ne la connaissent pas, est devenue une cause. Et même une « cause nationale », comme l’a proclamée notre président sans susciter la moindre réserve – bien au contraire. Tout Paris s’est bouché le nez quand il s’est agi de remercier Khadafi qui, après tout, avait bel et bien renoncé à son programme nucléaire et libéré les infirmières bulgares. En revanche, la politique ingridienne de Nicolas Sarkozy est l’objet de toutes les approbations : il fait des mamours à Chavez ? Excellent ! Il se déclare prêt à aller la chercher lui-même – avec ou sans les dents ? Epatant !

Il faudrait être inhumain pour ne pas souhaiter la libération d’une femme détenue dans d’aussi atroces conditions, n’est-ce pas ? Alors, n’écoutant que les élans de notre bon cœur, nous jurons de « tout faire » pour libérer Ingrid. Oui, moi aussi, je la tutoie : depuis qu’elle est détenue dans une jungle lointaine, ne sommes-nous pas tous devenus ses amis intimes ? D’ailleurs, elle le mérite : grâce à elle, sans rien faire, sans bouger une fesse, nous voilà tous des « gens bien ». Des résistants ! Qui voudrait être en reste ?

Un portrait géant de la prisonnière est hissé sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris. Entre Césars (de cinéma) et Victoires (de la musique), le showbiz « se mobilise » et les intellectuels « s’engagent ». Déjà dans les théâtres municipaux parisiens on lit solennellement sa lettre – en attendant qu’elle soit inscrite au programme de CP ! Sous la houlette de Elle, l’hebdo qui n’en rate pas une (bonne cause), toutes les niches du people sont mises à contribution. De Marc Lévy à Julia Kristeva, de Catherine Deneuve à Harry Roselmack, de Ségolène Royal à André Vingt-Trois, chacun sait trouver le mot juste pour « Ingrid ». Il n’y manque qu’un message de soutien des Tokio Hotel pour mobiliser notre belle jeunesse.

« Vous nous êtes proche parce que vous êtes une victime. » Cette admirable phrase, que nous devons à Nathalie Kosciusko-Morizet, résume à elle seule le climat dans lequel baigne l’élite de notre pays à propos de « l’affaire Ingrid » : le pathos gratos.

Que nous soyons odieux avec nos subordonnés, impitoyables avec les faibles, complaisants avec les puissants, peu importe : en affirmant haut et fort combien nous souffrons pour et avec « elle », n’acquérons-nous pas nous-mêmes un statut de victimes ? Femme et otage, madame Betancourt est une victime au carré. La mère de toutes les victimes – ou leur « maman ».

Alors écoutons plutôt Fadela Amara qui, pour l’occasion, a délaissé son cher parler zyva au profit d’une prose gourmée, entre slam et IIIe République: « Pour les filles des quartiers / Vous êtes le visage de Marianne / Parce que vous êtes belle / Mais surtout parce que vous êtes rebelle », déclare-t-elle avec conviction. Ingrid, l’héroïne absente et silencieuse de la Journée internationale de la Femme (j’ai appris, sur France Inter, que Lénine en personne en avait fixé la date). Son visage de suppliciée fût l’icône de cette dénonciation rituelle autant qu’annuelle de toutes les méchanteries faites aux femmes des origines à nos jours.

D’accord, j’exagère. Que le combat pour la libération d’Ingrid Betancourt soit marqué par quelques boursouflures n’enlève rien à sa justesse. S’il y a du pathos, c’est aussi qu’il y a du pathétique. Fanatiques illuminés, seigneurs de la guerre ou droguistes déguisés, les FARC méritent bien que l’on brandisse contre eux les grands principes. Mais en l’occurrence, ce n’est pas contre eux qu’on les brandit ! Avant même d’être proclamée « cause nationale » dans notre beau pays, Ingrid Betancourt était – est reste – l’enjeu d’un affrontement politique et militaire entre un Etat soutenu par les USA et une organisation terroriste (selon les critères de l’Union européenne et du bon sens.) Cet affrontement nourrit la tension dans toute la région. Mais vous me direz, la Colombie, c’est loin et c’est compliqué…

Quoi qu’il en soit, l’opinion française a bien compris une chose : on peut faire pression sur le président Uribe plus facilement que sur les FARC. Et en plus, c’est lui le bad guy, celui qui refuse toute négociation… En abattant le numéro 2 des FARC, sur territoire équatorien de surcroît, n’a-t-il pas salopé d’un coup tous les efforts généreux déployés par le président Chavez ?

Ce n’est pas moi qui m’opposerai à l’idée que la France ait une politique étrangère. Encore faudrait-il qu’elle soit fondée sur une appréciation vaguement lucide des rapports de force et des intérêts nationaux plutôt que sur des élans médiatico-humanitaires. En faisant de l’ »ingridisme » l’alpha et l’omega de notre diplomatie locale, nous ne sommes pas sûrs du tout de hâter sa libération… Ce dont nous pouvons être certains en revanche, c’est qu’en jouant à ce jeu, la France prend parti à l’aveuglette dans un conflit dont elle ne détient pas les clés. Est-ce bien raisonnable ? Les droits de l’homme ne sont pas une politique, écrivait Marcel Gauchet en 1980. Les larmes d’enfants et de ministres non plus.

Au moins dans le monde réel ; mais tout le monde a le droit de déménager…

NB. Cette excellente chute et un certain nombre de perles – merci pour le pathos gratos – que les lecteurs avisés repèreront dans cette nouvelle version sont dues à Basile de Koch qui a été bien plus qu’un simple relecteur. Qu’il soit remercié pour ce talent rare et les heures nocturnes consacrées à ce texte. EL

Pour une révolution culturelle

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Plus loin ! Plus haut ! Les électeurs ont adressé un message clair à Nicolas Sarkozy. Il faut dépoussiérer la France et commencer par la culture.

La nomination de Georges-Marc Benamou à la Villa Médicis est un pas dans la bonne direction. Pouvait-on imaginer un meilleur ambassadeur pour la culture française ? Nul doute qu’à ce poste de confiance, il saura bousculer les vieilles habitudes et faire souffler l’air frais de la modernité.

Le chemin est tracé. Les Français le veulent. Non pas les « réformes » comme l’ânonne une vaine élite mais la « rupture » originelle ! La Révolution.

Nous exigeons l’adoption immédiate d’un plan de modernisation de la culture.
Quelques mesures symboliques seront prises dans les 50 premiers jours :

– Colorisation de tous les films en noir et blanc ;
– projection obligatoire de Bienvenue chez les Chtis dans toutes les classes de CM2, dans le cadre d’un projet pédagogique sur la mémoire des régions ;
– destruction des vieux bâtiments qui gâchent la perspective autour des colonnes de Buren ;
– instauration d’un jour férié pour commémorer la refondation du groupe NTM ;
– retour à la méthode globale et sa généralisation à l’ensemble des matières en particulier l’algèbre et la philosophie ;
– réaménagement de la Galerie des Glaces par Philippe Starck ;
– versement au parc Astérix d’une subvention de 10 millions d’euros dans le cadre de la lutte contre l’hégémonie américaine ;
– rétrospective Luc Besson à la Cinémathèque ;
– déplacement des épreuves du bac pour permettre la reprogrammation à sa date initiale du concert de Tokio Hotel ;
– réimpression, sur papier bible, à l’Imprimerie nationale, de la collection complète du magazine Globe.

La révolution culturelle que nous appelons de nos vœux a besoin d’hommes et de femmes neufs et neuves, capables enfin de faire table rase d’un passé désespérément vide.

Dès maintenant, nous suggérons vivement au président de la République de manifester son engagement pour la Modernité dont nous ne sommes que les modestes porte-drapeaux en procédant immédiatement aux nominations suivantes :

– Marc Lévy à la Culture
– Michel-Edouard Leclerc à la direction du Livre
– Christian Clavier, à la Comédie Française
– Thierry Ardisson à France Télévision dont il a été exclu dans des conditions ignobles qui ne sont pas sans rappeler les pages plus sombres de notre histoire
– Jean-Marie Bigard à l’Académie française
– Diam’s à l’Inspection générale de l’Education nationale
– Michel Polnareff à l’IRCAM
– Marion Cotillard au Quai d’Orsay

Vous aussi, vous voulez dépoussiérer la France ? Rien de plus simple ! Signez ce manifeste ! L’union à la base des gens de qualité comme toi et nous pourra donner enfin un coup d’accélérateur à l’immobilisme qui ronge ce pays comme un frein.

Le livre, une marchandise. Rentable ?

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La promotion de best-sellers ressemble aux lancements des campagnes électorales, qui eux-mêmes font penser aux pubs de lessives. Heureusement, il y a les critiques (heu, c’est un gag). Philippe et Elisabeth font remarquer qu’il y a beaucoup trop de livres de journalistes. Teresa est tellement bien élevée qu’elle ne leur fait même pas remarquer qu’ils viennent d’en publier un…

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Comment peut-on être éditeur ?

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Où l’on apprend que Philippe Cohen déprime chaque semaine devant la liste des meilleures ventes, que Teresa Cremisi pense que les lecteurs et n’ont jamais été aussi intelligents, que – surprise! – Elisabeth ne partage pas entièrement cet optimisme…et que Montaigne vous protège, même si vous ne le lisez pas.

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Le président aux œufs d’or

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Editrice de Yasmina Reza et d’Anna Bitton, Teresa Cremisi n’est pas donc pas une déçue du sarkozysme. Augustin Scalbert s’intéresse au procès intenté par Cécilia – qui tous comptes faits, effraie moins l’éditrice que le procès en pipolisation intenté par… devinez qui ?

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