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Mince, des obèses !


Mince, des obèses !

Les pouvoirs publics avaient cru un instant que la mort de Carlos leur accorderait un répit et que celle de Luciano Pavarotti éloignerait durablement la main du péquin moyen du paquet de chips. Rien pourtant ne semble altérer la marche des choses : imperturbablement le Français prend du poids.

Dans quelques années, les enfants ressembleront aux petits baleineaux échoués dans le Middle West et alentours. A dix ans, ils exhiberont, de part et d’autre de leur petit corps boursouflé, les bourrelets de Michael Moore. Au Monde diplo, on s’en réjouit déjà. Rue des Saints-Pères, les bien nommées éditions Grasset ont déjà réceptionné le nouvel essai géopolitique d’Alexandre Adler : Peser dans le monde. Chez Jacques Attali, on écrit un rapport prescrivant la libéralisation du marché de la liposuccion : « Le jour est bientôt venu où il sera aussi difficile de se faire retirer les tissus adipeux que de trouver un taxi à Paris. Nous déconseillons de traiter le mal à sa racine : cela freinerait durablement la consommation et provoquerait le licenciement d’innombrables clowns Ronald McDonald. En revanche, avec l’ouverture au plus grand nombre de l’exercice de la chirurgie plastique et réparatrice, la culotte de cheval deviendra un gisement d’emplois important. »

Le gouvernement français n’a pas voulu attendre que les prophéties de Jacques Attali se réalisent. Il est, quand même, l’un des rares futurologues français à ne s’être jamais trompé ni sur le futur ni sur le passé – il a juste un léger différé avec le présent. Une angoisse terrible a étreint François Fillon : celle de voir la France bientôt peuplée de petits Philippe Séguin en culotte courte. Qu’y a-t-il de plus terrible que d’essayer de distinguer entre deux amas de graisse les yeux chagrins d’un enfant obèse ? Le Premier ministre a essuyé la larme qui déjà perlait sur sa joue, recoiffé d’une main experte sa mèche, puis commandité une mission parlementaire afin de lutter contre l’obésité[1. Apprenant cela, Philippe Séguin, son ancien mentor, a recommandé une double Quatre Fromages à la pizzeria Pino des Champs-Elysées.]. Du Weight Watchers à échelle nationale.

Pendant plusieurs mois, cette mission a auditionné tout ce que la France comptait en spécialistes de la nutrition, y compris le chef du restaurant du Sénat, dont la recette de racines de pissenlits est approuvée internationalement par de nombreux diététiciens. Les parlementaires se sont accordés sur un point : la surcharge pondérale rend gros. Sur le reste, le débat a révélé des lignes d’opposition conséquentes : « On pourrait ravoir du pain ? », « Touche pas à mes frites, y en avait pas dans ton menu ! », « Qui reprend un pousse-café ? ». En fin de compte, ils ont rendu un rapport prescrivant la taxation des produits gras et sucrés. Généralement, lorsqu’un homme politique ne sait pas quoi faire face à un problème, il crée une nouvelle taxe. C’est ce qu’on appelle un réflexe pavlovien. Mais ici ce n’est pas tout à fait le cas. On peut même supputer que les parlementaires avaient abusé sur le digestif lorsqu’ils ont proposé d’instaurer plusieurs taux de TVA indexés sur la composition en lipides et en sucre ajouté des produits alimentaires.

Quittons la buvette de l’Assemblée et descendons dans la vraie vie. Imaginez votre épicier de quartier, celui chez lequel vous allez vous approvisionner chaque fois que vous décidez d’arrêter de financer la holding monopolistique qu’est la grande distribution en France – de toute façon, à 20 heures, c’est fermé chez Holding. Mohammed – c’est son nom[2. En allemand, Mohammed se dit Yilmaz ou Hakan. C’est selon.] – sait qu’il ne faut pas s’être fait empapaouter à la London Business School pour comprendre que, dans l’épicerie, pour gagner plus il faut ouvrir plus tard. Vous lui prenez quatre tranches de jambon, une plaquette de beurre, une baguette et des cornichons. Comme précisément Mohammed n’a pas fait HEC, il lui faudra quarante-six minutes pour déterminer le taux de TVA adaptable à chaque produit que vous lui achetez, avant de vous rendre la monnaie.

Voilà la réalité des choses. C’est visiblement ce qui a poussé Roselyne Bachelot, ministre française de la Santé, à refuser sans appel cette taxation à la gueule du produit. Pas question de discriminer lipides et glucides !, a déclaré celle qui, jour après jour, tente de devenir le sosie de Maïté. Elle sait que plus c’est gras meilleur c’est, qu’en été il faut manger beaucoup et qu’il vaut mieux faire envie que pitié. Maintenant que la question des plus de deux cents livres a été traitée avec brio par le gouvernement, les parlementaires n’ont plus qu’à s’occuper des anorexiques.

Octobre 2008 · N°4

Article extrait du Magazine Causeur



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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