Vote FN: Hamid et Marine


Vote FN: Hamid et Marine

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J’avais un peu perdu de vue Hamid. Pas vraiment un ami, une connaissance. Le compagnon de Sylvie ou son mari, je ne sais plus et, dans la bande de copains de cette époque, cela avait si peu d’importance et même si peu d’intérêt que personne n’avait jamais demandé, ou alors je n’avais pas retenu la réponse. Était-il français venu du Maroc ou Marocain venu en France ? Je n’en sais rien non plus. On s’était très peu vu, j’avais dû diner deux ou trois fois chez eux, avec d’autres. Beaucoup trop peu pour perdre du temps avec ce genre de détails. On ne demande pas à nos amis leurs papiers, on leur demande s’ils vont bien.

Elle dessinait chez un architecte, il travaillait dans une boîte de travaux publics ; il ne montait pas dans les tractopelles, il était commercial, sur la route, ou plutôt dans les embouteillages, du matin tôt au soir tard. Elle élevait des lapins, deux ou trois, pas pour les manger, pour les câliner. « Ils sont trop mignons, je les boufferais !» Tu parles, elle avait le cœur beaucoup plus gros que le ventre. C’est lui qui faisait à manger et qui apportait les plats, sans enlever son tablier. Pendant qu’elle parlait et qu’elle riait, il servait et veillait à ce que rien ne manque. « Ça va les amis ? Rien ne manque ? » En chœur ou en canon : « Viens t’assoir Hamid !!! »« J’arrive j’arrive… » Il était un peu gros, un ours qui n’aurait pas su grogner, et sans sa protection, sans son affection, Sylvie aurait été exposée à la mesquinerie du monde, et elle n’était pas vaccinée.

En mars 2010, j’étais particulièrement remonté. Sarkozy s’était bien foutu de moi. Le volontarisme affiché de sa campagne tournait à l’agitation. J’attendais le retour de la civilisation et j’assistais au réensauvagement généralisé. Les courbes de l’immigration et de la criminalité tardaient à s’inverser autant que celle du chômage, la laïcité était compromise et la discrimination positive promue. Après l’assimilation, on renonçait à l’intégration pour célébrer le respect et l’amour de toutes les différences, toutes sauf de la nôtre, cette exception culturelle, cet idéal républicain, ce modèle qui avait fait la France et qu’un président un peu trop européiste, libéral et atlantiste semblait ne plus savoir, vouloir ou pouvoir défendre. Quant au Karcher promis, il semblait remisé au fond des ateliers ministériels. Le chef de l’État se contentait de faire les gros yeux aux juges pour la galerie quand il aurait fallu leur tordre le bras, pour de bon. Si on avait gardé les récidivistes en prison, j’aurais été rassuré, si on y avait suicidé par paquets de douze les irrécupérables dangereux, les multi-multi-récidivistes, j’aurais regardé ailleurs ; au lieu de ça, on les laissait dehors, dans ces rues qu’arpentent ma fille, ma femme et ma mère.

Pour la première fois, j’étais décidé à voter FN pour, comme le déclarait Marine Le Pen, « remettre le Front national dans le jeu », ni plus ni moins. Les élections étaient régionales et le risque était nul de donner des responsabilités à ce parti qui compte aujourd’hui les votes dieudonnistes comme les élus des autres bords en territoires perdus comptent les votes musulmans. Je voulais juste appuyer un peu sur l’aiguillon qui devait réveiller la droite endormie aux affaires en rappelant au président ses promesses de candidat, et ajouter mon souffle aux vents populaires, et même populistes, pour remettre ces girouettes politiciennes dans le bon sens républicain. Tout me poussait à ce vote utile, du « cordon sanitaire » de Laurent Joffrin à l’arrogance de Pascale Clarke, ou inversement, et j’en oublie tellement. L’intimidation antifasciste avait fait son temps, Soral avait claqué la porte au nez d’un parti qui avait perdu de vue le complot sioniste, Florian Phillipot avait remplacé Bruno Gollnisch, et la nouvelle présidente se faisait acclamer en criant Vive la république et Vive de Gaulle.

Le « front républicain » était déjà une posture, et même une imposture. Qui défendait alors la République ? Ceux qui remplaçaient la méritocratie par le nivellement ? Ceux qui institutionnalisaient les orientations sexuelles ? Ceux qui laissaient entrer le halal à l’école et la prière au boulot ? Qui répondaient de leur politique étrangère au dîner du CRIF ? Qui ménageaient les susceptibilités religieuses au mépris des souffrances animales ?  Ceux qui entravaient les historiens avec des lois mémorielles ? Renonçaient à la souveraineté nationale, à la maîtrise des frontières, au contrôle de l’immigration, à l’enseignement de l’histoire, à la transmission de la culture ?

Qui défendait la République ? Qui faisait front pour défendre l’intérêt supérieur de la nation face aux communautarismes, aux clientélismes, aux corporatismes, aux laxismes, aux dogmatismes, aux parlementarismes, aux syndicalismes, aux libreséchangismes, aux droits-de-l’hommismes, aux sans-frontièrismes, au moralisme des rombières luxembourgeoises  (Rappelez-vous Viviane Reding) ? Et au-delà de la République, qui défendait la démocratie ? Qui écoutait le peuple ? Qui légiférait pour une plus grande représentativité par la proportionnelle ou le référendum ? Qui défendait les classes populaires fuyant les quartiers de même nom contre la racaille diverse au lieu de les contraindre au mélange par la loi ? Qui entendait, au lieu de les insulter, ces gens qui avaient autant envie d’accueillir l’islam que d’attraper la scarlatine ? Roselyne Bachelot ? Alain Juppé ? Bruno Le Maire ? Bien sûr, toute la droite n’était pas honteuse et lâche, incapable et opportuniste, elle était aussi populaire et comptait dans ses rangs Christian Vanneste, Xavier Lemoine ou Jacques Myard, et j’avais quelques scrupules à les désavouer dans les urnes mais Jean-François Copé, déjà chef de l’UMP, s’en était chargé avant moi. En fait, le « front républicain » et le Front national, avec leurs conneries, c’était devenu la même chose.

Je marchais d’un pas décidé vers le bureau de vote et sur qui je tombe ? Cet enfoiré de Français marocain. Hamid. « Qu’est-ce que tu fous là ? » Il n’a pas saisi tout le sens de ma question. Qu’est-ce qu’il venait faire en travers de ma route et de mes résolutions toutes fraîches, avec sa bonne tête et son allure débonnaire ? « Je vais voter. » « Moi aussi. » Il ne m’a pas demandé pour qui. Il ne m’a pas obligé à me défiler. Je ne lui aurais pas balancé comme ça, pas sans de longues explications qui auraient sûrement plombé un dîner, pas sans lui dire que je m’oppose à l’islamisation de la France mais que les détendus de l’islam sont les bienvenus et les dissidents mes frères. Sûrement pas sans ces précisions essentielles. Je ne lâche rien mais je ne veux gifler personne. J’ai voté FN et je le referai le 25 mai pour les mêmes causes et pour les mêmes effets mais le sourire de Hamid, comme le regard de Finkielkraut, me hante. Qu’ai-je fait pour la France ? Un moindre mal nécessaire qui m’empêche aujourd’hui d’avoir la victoire joyeuse. J’ai donné du poids à des foules qui se défoulent en scandant : « On est chez nous ! » Lui, loin des slogans, des discours et des tambours battants, il  rend une femme heureuse. J’aimerais pouvoir en dire autant.

*Photo: LCHAM/SIPA.00684448_000004

Mai 2014 #13

Article extrait du Magazine Causeur



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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