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Présidentielles maliennes: une lueur d’espoir


Présidentielles maliennes: une lueur d’espoir
Ibrahim Boubacar Keita en campagne au Sévaré, le 21 juillet 2013 ©SIPA Numéro de reportage : AP21443648_000001

Décimé par le salafisme et délaissé par l’Europe, le Mali a plus que jamais besoin d’une refonte de son paysage naturel et politique. Les futures élections présidentielles permettront-elles de rediriger le pays vers une prospérité financière, spirituelle et intellectuelle ?


 

En terme de géostratégie, le Mali est un pays très important. Il convient donc de suivre minutieusement l’élection présidentielle qui s’y trame, ce que la presse française ne fait quasiment pas. Or, malheureusement, rien ne permet de penser que cette élection va empêcher une nouvelle dégradation de la situation.

Grand potentiel économique

Pays immense (dont la surface équivaut à celles de la France, de l’Espagne et du Portugal réunies), pays d’émigration et de trafics (migrants, armes stupéfiants), pays de guerre civile, et de transit pour les groupes islamistes, c’est aussi un pays à grand potentiel économique : son sous sol est riche (or, hydrocarbures, lignite, etc) et le delta intérieur du Niger aurait dû devenir, depuis bien longtemps, le grenier de l’Afrique.

C’est, dans la conjoncture actuelle, un foyer de rébellions et de phalanges islamistes qui portent la mort dans tout l’ouest africain. De plus il est, depuis l’origine (et la dictature répressive de Moussa Traoré), un terreau propice à des revendications politiques, sociales, territoriales et culturelles qui sous tendent toute la vie politique de la région : or le Mali est une véritable plaque tournante du continent africain ayant des frontières communes avec trois immenses pays aux frontières étirées et mal surveillées (l’Algérie, la Mauritanie, le Niger) ainsi qu’avec la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Burkina Faso. Et par delà ces frontières, vers les incendies permanents que sont la Libye et le Nigeria.

L’opération française était inévitable

On doit se souvenir que, fin 2012 et début 2013, le Mali a subi à la fois une offensive islamiste venue du nord et menaçant Bamako, et des coups d’états soldatesques. C’est l’armée française qui, par une opération (Serval, puis Barkhane) remarquable, reconnue comme telle du bout des lèvres par les classes supérieures maliennes, a sauvé la capitale et cantonné les forces djihadistes dans les déserts du nord. Sans les éradiquer complètement car le nord, fier et mal aimé du sud, a été poussé dans les bras des mouvements radicaux. Les premières frappes françaises le 10 janvier 2013 ont reçu le soutien de presque tous les partis français (sauf Mélenchon et Mamère). Trois questions se sont depuis lors posées chronologiquement.

1 – La première question était de savoir si l’intervention française était légale. Elle l’était au regard des conventions franco-maliennes et de l’appel des autorités légitimes, mais pas aux yeux du Conseil de sécurité de l’ONU : contrairement à ce que soutenaient, sans vraisemblance, MM. Fabius et Hollande, l’intervention militaire française ne se situait pas ‘‘dans le cadre légal des résolutions du Conseil de sécurité des Nations-Unies ». Bien au contraire, en obéissant, depuis 6 mois, à ces résolutions, la France se mettait dans la même situation que le Gouvernement du Front populaire face au nazisme, se soumettant à l’historique lâcheté de la SDN, et aux drames atroces qui s’ensuivirent. En effet, la résolution 20 85 du CSNU (21 déc. 2012), rappelée au iota près (11/01/13) par le même CSNU invoque :

– un appel au déploiement d’une force internationale missionnée par ledit CSNU,

sous conduite africaine, la MISMA, et  »coordonnée »( ?) par la CEDEAO, organisme sous-régional dominé par les anglophones, qui avait placé sous embargo portuaire les armes modernes destinées au Mali agressé…

…. mais nos gouvernants avaient failli

Il était difficile de faire plus stupide, 18 mois après les premières exactions des gangs de criminels et terroristes. L’intervention de nos troupes se situait, fort heureusement en dehors de ce contexte formaliste, dans le cadre plus simple, plus légitime, plus intelligent, et plus humain, de la réponse de notre peuple à l’appel au secours des institutions d’un peuple frère de longue date. La France exerça la légitime défense d’autrui. Mais nos gouvernants avaient laissé pourrir la situation et failli.

– Non seulement en laissant s’installer et s’organiser, sans réaction, des gangs criminels et islamistes, martyrisant les populations civiles, sur un territoire francophone de 700 000 km2

– Mais aussi en se gardant bieb de demander publiquement à l’Algérie comment des convois de dizaines de véhicules, camions et armements compris, ont pu traverser son territoire sans éveiller son attention,

– en soumettant sa politique étrangère et de défense à la translucide Mme Ashton, à la CEDEAO, au CSNU,

– en désertant de ses responsabilités historiques quant à la défense de ses amis, et en laissant sa place à d’autres puissances, bien plus avisées.

Une structure politique exsangue

La deuxième question, la plus importante, a été négligée par les gouvernements français successifs. C’est de ce déni paresseux que découlent tous les drames passés, présents, et sans doute à venir. Nous l’avons écrit à plusieurs reprises : tant que la structure politique du Mali ne sera pas changée, et adaptée aux réalités et aux demandes des populations, son instabilité persistera et s’aggravera jusqu’à devenir incoercible. MM. Hollande et Fabius ne l’ont pas compris, ou pas voulu l’entendre, au moment idoine : quand l’armée française était victorieuse, en juin 2013. Il fallait alors organiser une conférence de réconciliation nationale, conformément à la tradition africaine; conduire à une profonde modification de la constitution, évoluant vers une régime fédéral; permettre ainsi aux grands groupes (7 ou 8) ethno-historico-géo-linguistiques de se sentir constitutionnellement reconnus, politiquement et culturellement respectés, démocratiquement et économiquement impliqués. Au lieu de cela la France a poussé à une élection présidentielle précipitée et a abandonné à Alger (en plein conflit d’intérêts avec la questions touarègue) sur fond d’intromission US, LA question fondamentale : celles des grandes régions, de leur organisation démocratique, et de leurs attributions économiques pour, enfin, développer ce pays qui a tant d’atouts gâchés.

Pourquoi confier la réconciliation malienne à Alger?

Les tensions internes au Mali sont multiséculaires, pré-coloniales, et on peut les simplifier en tensions nord/sud ou les caricaturer en frictions bambaras/touaregs. La constitution malienne de 1992, centralisatrice, abstraite, a placé les uns en situation de domination politique et économique par les autres. Il fut donc aberrant de confier à Alger (qui redoute les questions irrédentistes qui se ramifient sur son territoire) la tache de réconciliation Nord/Sud. Ni les Accords d’Alger pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal, de 2006, ni les Accords d’Alger (décidément) de 2015 ne pouvaient aboutir. Ces accords dénient le Pacte national signé en avril 1992 entre le gouvernement malien et les Mouvements et fronts unifiés de l’Azawad (nom que les peuples du Nord, Touaregs, Peuls, Songhoï et Maures donnent à leur territoire); de plus ils sont très insuffisants et ne sont pas appliqués.

Le nouvel accord d’Alger des 15 mai et 20 juin 2015 négocié entre le gouvernement et la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad), en présence de l’Ambassadeur… américain, n’a pas réussi à enclencher les processus vertueux de démocratie, de paix et de développement .

La France n’a pas vocation à rester sur le terrain

Quant à la troisième question elle ne se pose que parce que la seconde a été bâclée. C’est celle de la défense du Mali que les Maliens sont incapables d’assurer. A l’inverse du légendaire orgueil de Bamako.

Or la France n’a pas vocation à rester sur le terrain mais seulement à assurer une fonction d’assistance logistique et technique. Mais ni l’armée malienne, ni le G5 Sahel en gestation, ni la belle armée tchadienne trop éloignée, ni l’Europe, ne sont une solution satisfaisante envisageable, alors que le khalifat chassé de Syrie semble vouloir rassembler ses forces au Sahel, ou il sera plus difficile à éradiquer….Pour le Huffington Post, Guillaume Lagane (Europa Nova) le Mali doit être l’occasion de relancer l’Europe de la défense. Or celle-ci n’existe pas : la France est intervenue seule au Mali et a supporté, seule, la totalité des morts de nos fils et l’essentiel des frais liés à cet engagement militaire. Mais nous désapprouvons la conclusion que propose le Huff Post : « Le pacifisme allemand étant au cœur du problème, il est crucial que Paris pèse sur Berlin pour tenter de faire évoluer le seul pays européen capable, par son poids économique, de relancer le projet d’Europe de la défense. » Ce ne sont pas les 300 soldats allemands qui sont au Mali sans la moindre expérience ni du pays ni de ce type d’opération qui peuvent accréditer cette démarche. D’ailleurs, comme le reconnaît Guillaume Lagane, « les soldats envoyés ont clairement une mission non- combattante. Comme en Afghanistan, l’Allemagne maintient donc une position d’extrême réticence face aux interventions extérieures et, plus généralement, face aux opérations de guerre’. À la dernière conférence de Munich sur la sécurité européenne, le ministre allemand de la défense, Thomas de Maizière, a ainsi rappelé que ‘ce n’est pas parce que vous avez un marteau que chaque problème est un clou’. Un faux fuyant assez minable.

Second tour le 12 août

Peut être que les algarades et menaces de Donald Trump contre la faiblesse militaire allemande feront évoluer les choses (comme pour le Japon qui renforce son budget défense). Mais la question n’est pas là : c’est la France qui doit organiser les choses pour des raisons géopolitiques, tactiques opérationnelles; et le G5 Sahel est une bonne idée mais elle ne fonctionnera pas sans son appui. Un appui intelligent ce qui n’est pas le cas : l’occasion pathétiquement gâchée de 2013 se représentera peut être avec l’élection présidentielle dont le second tour se joue le 12 août.

C’est dans ce contexte aussi difficile, aggravé par l’incurie des gouvernements français, que se déroulera le second tour de l’élection présidentielle au Mali.

Le taux de participation à ce premier tour culmine à 43%, encore plus faible que pour les précédents scrutins présidentiels. Comme il y avait 24 candidats, la légitimité du vainqueur sera très faible. D’autant que la sincérité du vote a été mise cause par quinze des candidats (767 bureaux, soit 3,3 % du total, ont été privés d’élection. La mission d’observation de l’Union européenne, a réclamé à plusieurs reprises, mais en vain, leur publication. Un des leaders de l’opposition (Cisse) a beau jeu de soutenir que c’est dans la zone qui lui est favorable que ces votes n’ont pu avoir lieu.

IBK en ballottage favorable

Le président sortant Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) atteint 41%,42 des suffrages. Il est donc contraint (c’est une première au Mali pour un président sortant) à un second tour. Il est vrai que son bilan n’est pas bon et que sa personnalité passive est contestée. Il affrontera donc, le 12 août, Soumaila Cissé qui a récolté 17,80 % des voix, en baisse par rapport à ses deux précédentes tentatives : car l’homme, ancien ministre de l’Economie puis président de la Commission de l’UEMOA (le marché commun de l’Afrique de l’ouest) est discrédité sur le plan politique (allégations d’ambiguïté ou de compromissions) et au plan moral (allégations de corruption).

De plus, on peut penser que les trois autres  »accessits » ne lui apporteront pas leurs voix car ses chances sont désormais infimes et son horizon politique réduit par l’âge. Les deux candidats qui peuvent peser sont Aliou Diallo (7,95%), et Cheick Modibo Diarra 7,46%.

Le premier, des deux très investi dans la filière or (dont le Mali est un important producteur) a aussi mis de son côté les milieux dévots musulmans (il est hadji), et même les chefs de clan du nord grâce à sa fondation  »Maliba » ( »Grand Mali » en bambara) pour venir en aide aux populations des zones occupées par les djihadistes. Ce diplômé en économie de l’Université de Picardie est le seul à pouvoir apporter du sang neuf à une marigot politicien malien épuisé et consanguin.En janvier 2013, il a créé l’Alliance Démocratique pour la Paix-Maliba (ADP-Maliba), un parti politique qui se donne pour mission de ‘‘renouveler la politique » malienne par  »la construction d’un Mali démocratique et prospère par l’économie sociale de marché, ce qui signifie que l’État garantit la liberté des activités économiques tout en créant un équilibre social ». ADP-Maliba est la troisième force politique parlementaire avec huit députés élus à l’Assemblée nationale. Gageons que son parcours politique ne fait que commencer s’il est bien, comme tout le laisse augurer, le faiseur de roi.

Car l’astrophysicien américano-malien de 66 ans Modibo Diarra, ancien premier ministre par intérim, ne semble pas pouvoir porter le besoin de renouveau d’un pays très jeune, en dépit du prestige relatif que lui confère le fait qu’il est aujourd’hui président de Microsoft Afrique. Mais il est le gendre de Moussa Traoré qui fut condamné à mort puis gracié par l’establishment bamakois.



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