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DiCaprio, pas que beau


DiCaprio, pas que beau

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En février 2000, Leonardo DiCaprio déclare au Times : « Je n’ai rien à voir avec celui qu’on a identifié à moi pendant tout ce phénomène Titanic et avec ce que ce visage est devenu dans le monde »[1. « I have no connection with me during that whole Titanic phenomenon and what my face became around the world. » « What’s eating Leonardo DiCaprio ? », Times, 21/02/2000.] . Cette phrase n’est pas très originale venant d’Hollywood, mais la manière dont il tourne le propos a quelque chose de significatif : il est question d’un « moi » qui se serait perdu dans un visage trop reproduit. Il n’aura de cesse, par la suite, de remodeler ses traits, de contredire son côté poupon qui plaît tant aux midinettes. En 2002, il incarne Frank Abagnale Jr. dans Catch Me If You Can, un as de l’escroquerie qui détourne des millions de dollars en se faisant successivement passer pour un professeur d’université, un pilote de ligne et un médecin – personnage-caméléon à la recherche d’un foyer. Janvier 2013 : à l’affiche dans Django Unchained de Tarantino, Leonardo DiCaprio annonce vouloir faire une pause significative, se disant épuisé par ses derniers rôles. Que s’est-il passé de si fatigant pendant cette décennie ? A-t-il retrouvé son visage ?
Après la « Leo-mania » qui fit rage à la sortie de Roméo+Juliette puis de Titanic, l’acteur semblait destiné aux personnages de mélodrames et de comédies romantiques, comme un Rock Hudson en son temps. Mais son apparition ironique dans Celebrity, de Woody Allen, montre qu’il en a décidé autrement.[access capability= »lire_inedits »] Ses rôles suivants, il les choisit et les aborde avec un sérieux papal. Il ne met plus les pieds dans une comédie et s’applique à jouer avec les réalisateurs américains les plus réputés du moment : Spielberg, Eastwood, Nolan, Scorsese, Mendes et, aujourd’hui, Tarantino. Rien n’entache le tableau, aucun film alimentaire, aucun blockbuster qui ne soit signé d’un grand nom ou ne traite d’un grand sujet, les deux de préférence. Leo est un bon élève. Aurions-nous dégoté l’anti-Nicolas Cage ?
Les personnages joués par DiCaprio ne sont pas non plus des rigolos. Leur socle commun, c’est la névrose : la paranoïa dans Shutter Island ou dans Aviator, une forme de schizophrénie dans Catch Me If You Can et Inception. Le J. Edgar qu’il campe dans le film d’Eastwood est hanté par son enfance et la figure de sa mère, comme le Howard Hughes qu’il interprète dans le film de Scorsese. Le jeu de DiCaprio est influencé par ce travail sur la folie : un regard halluciné, toujours intense et interrogatif. Il ne sourit plus ou, s’il le fait, c’est sous les traits de Monsieur Candie, le Sudiste cruel et naïf de Django.
C’est probablement sous la direction de Scorsese que DiCaprio est allé le plus loin. Dans Shutter Island, il porte le poids d’une culpabilité invisible qui se reflète dans ses hallucinations. DiCaprio semble avoir trouvé un véritable mentor en Martin Scorsese, avec qui il tourne actuellement son cinquième film. Si son personnage dans Gangs Of New York a été quelque peu effacé par celui de Daniel Day-Lewis, il a donné la pleine mesure de son talent dans Aviator, où sa gueule d’ange colle étrangement avec les phobies d’un Howard Hughes obsédé par la pureté. Plus qu’un visage hollywoodien, il est devenu un corps-cinéma bourré de névroses, sur lequel chacun projette ce qu’il veut.
Pour le film de Scorsese, il a travaillé son allure et sa voix, devenue plus grave et plus rauque. Son Howard Hughes est frappé par une série de tics et porte, lors de ses crises, une barbe de Jésus. On note d’ailleurs plusieurs tentatives de barbes, pas toutes convaincantes, dans la filmographie de DiCaprio. De la barbichette de Gangs Of New York à celle, plus conséquente de Django Unchained, il y a aussi eu celle, transitive, de Mensonges d’État. Comme Orson Welles, Leo a longtemps eu un côté enfant qu’on essaie de dissimuler derrière des barbes et des faux-nez.
Eastwood a pris au mot ce désir enfantin de maturité en le grimant en vieillard dans J. Edgar. Une malléabilité adolescente : voilà en somme ce qu’aura apporté DiCaprio au cinéma américain des années 2000. Une sorte d’éternel fils, que de grands cinéastes ont adoubé pour jouer de grands personnages. Un visage partagé entre l’enfance et le vieillissement, entre la naissance et la mort.[/access]

Février 2013 . N°56

Article extrait du Magazine Causeur



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Timothée Gérardin est l'auteur du blog cinéphile <a href="http://fenetressurcour.blogspot.com">Fenêtres sur cour.</a>

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