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La lecture, ce vice enfin puni


Danton, juste après le Saint-Just du bonheur qui est une idée neuve en Europe, a prononcé une des plus belles phrases de la Révolution Française : « Après le pain, l’éducation est le premier besoin du peuple. »
Ce qui est intéressant, dans la déclaration de Danton, c’est qu’elle nous interroge sur la notion de produit de première nécessité. La question redevient d’actualité aujourd’hui, où la crise refait de l’achat de nourriture le premier poste de dépense de ménages paupérisés par la crise. On avait oublié ce phénomène qui nous renvoie au bon vieux temps de la révolution industrielle où les salaires assuraient à peine la survie alimentaire et nécessitait qu’on fasse travailler les enfants. Mais on n’est plus dans Germinal, me direz-vous ?

On remarquera aussi, à propos de cette question de produits de première nécessité, que depuis quelques années les Français ont également pris la fâcheuse habitude de se rationner sur les soins. Ambroise Croizat, le créateur de la sécurité sociale française en 1945, alors qu’on fêtait le soixantième anniversaire de sa mort en 2011 dans une remarquable discrétion, a dû se retourner dans sa tombe : près d’un tiers des Français d’après un sondage de la fin de l’année dernière, a dû renoncer à se soigner ou reporter des soins faute de moyens contre 11% seulement il y a deux ans. A la question, « Au cours de l’année écoulée, vous est-il arrivé de renoncer ou de reporter des soins médicaux pour vous ou un membre de votre foyer, en raison de difficultés financières ? », 23% répondaient oui à cette question en 2010. Avec 29% de réponses positives en 2011, la France est devenue franchement mal placée par rapport à ses voisins européens et même aux Etats-Unis où les mesures d’Obama ont resserré l’écart. Seuls les Polonais sont plus nombreux (36%) à dire qu’ils ont dû faire le choix entre la metka et le toubib. On ne parle pas des Grecs, qui sont hors concours depuis 2008…

Alors, tiens, si pour passer le temps et oublier son mal de dents, on lisait Germinal, justement ?
Eh bien, ça va devenir plus compliqué. Au milieu d’une absence presque complète de réactions, en dehors des professionnels du secteur, une des mesures du dernier plan de rigueur de Fillon a été l’augmentation, entrée en vigueur au 1er avril, de la TVA sur le livre qui est passée de 5,5% à 7%. En faisant glisser le livre du statut de produit de première nécessité avec une TVA à taux réduit à la nouvelle TVA, dite « à taux réduit intermédiaire », François Fillon a fait le choix d’un bénéfice économique nul mais symboliquement très lourd. On aurait d’ailleurs, par exemple, aimer entendre Frédéric Mitterrand sur une question qui le concerne au premier chef, plutôt que de ne faire parler de lui que par une charge hargneuse et pavlovienne contre ce que serait la gauche au pouvoir : une catastrophe, forcément…

Sur le plan économique, à part fragiliser un peu plus le remarquable réseau des libraires indépendants, une belle spécificité française déjà aux abois pour de multiples raisons (baisse du pouvoir d’achat des consommateurs, géants de la vente en ligne, etc…), la mesure ne rapportera pratiquement rien au budget de l’Etat, 60 millions d’euros d’après les estimations les plus optimistes. Cette TVA sur le livre est l’archétype de la stupidité injuste d’un impôt qui, outre son côté inégalitaire, a pour principale mesure de perdre d’une main ce qu’il prend de l’autre en contractant la demande, du fait de la hausse des prix. On sait très bien que le secteur qu’un ménage sacrifie en premier quand il doit arbitrer ses dépenses, c’est son budget culture/loisir s’il en a encore un et que dans ce budget culture, c’est le livre.

Pour 60 millions d’euros, l’équipe au pouvoir a donc perdu une occasion de racheter un certain mépris pour le livre qui aura marqué le début du quinquennat avec La princesse de Clèves, bolossée à plusieurs reprises, en ombre passante.
6O millions d’euros, c’est au hasard, quatre ou cinq rémunérations annuelles de quelques grands patrons du CAC, en général assez cultivés, qui, eux, continueront à acheter leurs livres à une TVA de 7% sans vraiment se rendre compte de la différence.
Aux autres, on pourra dire d’aller en bibliothèque. On fera juste remarquer que les bibliothèques aussi achètent leurs livres et surtout que ce genre de conseil aurait un petit air désinvolte de « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche… ».

N’est-ce pas, Danton ?



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