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La droitisation n’est pas la solution


La droitisation n’est pas la solution

herve gaymard ump

Causeur. Pourquoi avez-vous perdu l’élection présidentielle ?

Hervé Gaymard. Une défaite n’a jamais une cause unique. En l’occurrence, j’en vois trois : d’abord un besoin d’alternance, assez naturel ; ensuite, évidemment, les effets de la crise ‒ à l’exception de Barack Obama, tous les dirigeants en place au moment de son éclatement, en 2008, ont été remerciés ; enfin, une partie de notre électorat ne s’est pas reconnue dans ce que l’on a appelé à tort ou à raison la « droitisation » du discours politique de ces dernières années. Quand on regarde les cartes, il est très clair que nombre d’anciens électeurs RPR ou UDF, notamment dans l’Ouest du pays, ont préféré François Hollande.[access capability= »lire_inedits »]

Cet argument est parfaitement réversible ! Si Hollande a gagné, c’est notamment parce qu’une partie des électeurs de Le Pen, qui avaient voté Sarkozy en 2007, a préféré le faire élire. Ceux-là n’ont pas eu peur de la « droitisation » : ils ont déploré qu’elle ait été purement rhétorique…

Sauf que l’électorat de Le Pen est extrêmement composite et très différent selon les régions. Dans mon département, le vote Le Pen, traditionnellement plutôt faible, provient autant de la droite que de la gauche et progresse depuis quelques années. Mais Marine Le Pen a réalisé ses meilleurs scores dans des communes anciennement communistes. Il faut en tirer les conséquences : si la moitié de l’électorat frontiste vient d’une gauche qui n’a jamais voté pour la droite dite « libérale » et qui ne votera jamais pour elle, additionner les voix de l’UMP et celles du FN en affirmant que cela ferait une majorité formidable n’a aucun sens.

Cela n’interdit pas de chercher à comprendre les ressorts du vote Le Pen…

Ce vote exprime des souffrances intimes qui, très souvent, n’ont rien à voir avec la politique. J’ai pris le temps de parler avec ces électeurs : beaucoup n’avaient pas de problèmes de fins de mois ni même avec l’immigration, mais des brisures intimes. Le vote Le Pen était une sorte de bras d’honneur qu’ils adressaient à la société pour témoigner de leur mal-être et de leur ressentiment.

Beaucoup en ont plus qu’assez d’être psychiatrisés et traités comme s’ils étaient dingues. Ils affirment que leur vote est raisonnable…

Je n’ai pas dit « dingues » mais « souffrants » ! Je respecte les électeurs. Encore une fois, l’électorat Le Pen n’est pas un bloc homogène.

Permettez-nous d’insister ! Au total, on peut expliquer votre défaite de deux façons : une partie de vos électeurs a été découragée soit par la « droitisation », soit par le fait qu’elle n’a pas eu lieu et que les promesses de « Kärcher » et de ralentissement de l’immigration sont restées sans lendemain. Au demeurant, ces deux explications peuvent être complémentaires…

J’insiste à mon tour : depuis des années, nous avons eu un discours très droitisé par rapport à la sensibilité qui est la mienne. Je constate que cela n’a pas empêché Le Pen de faire un excellent score au premier tour de la présidentielle et que l’UMP a perdu les élections législatives et l’élection présidentielle. Si cette stratégie était miraculeuse, cela se saurait !

Dans les raisons de l’échec, vous ne mentionnez pas la personnalité de l’exprésident…

C’est un peu lié tout de même… Pour être clair, nous n’avons jamais été proches. Nous n’avons pas soutenu le même candidat en 1995, je n’ai pas été son ministre. Ma relation avec lui est neutre. Il a été un bon président sur beaucoup de dossiers, notamment au cours de la crise mondiale, où il a bien pris le taureau par les cornes, remuant l’UE et le G20 sur les questions économiques et financières. Sur d’autres sujets, il a manqué d’esprit de rassemblement. Concrètement, après le discours de Grenoble, à l’été 2010, j’ai senti qu’une partie de notre électorat avait fui, sans que sa défection soit compensée par un afflux d’électeurs du Front national.

Justement, que se passe-t-il d’un point de vue idéologique au sein de votre parti ? Quelle est l’alternative à cette stratégie de « droitisation » ?

On pense en termes de « droite/gauche » par commodité, mais je pense qu’en France, ce clivage ne peut pas être opérant car, si la gauche existe sur le plan idéologique, la droite n’existe pas ! Le texte fondamental sur le sujet est celui de Louis Dumont, philosophe mort à la fin des années 1990 et un peu oublié aujourd’hui. Dans son dernier livre, L’idéologie allemande : France-Allemagne et retour[1. Homo aequalis, II. L’idéologie allemande. France-Allemagne et retour, Gallimard, 1991.], publié en 1991, Dumont dit de manière claire que la gauche existe et domine sur le plan idéologique et que la droite est une non-gauche, un camp par défaut. Ceci n’est pas vrai dans tous les pays européens. Cette singularité s’explique par notre histoire spécifique liée à la Révolution française. Longtemps « monarchiste de regret », comme le disait de Gaulle, la droite a adopté l’idée républicaine très tardivement, lors de la Première Guerre mondiale.

Oui, mais cela fait quand même un siècle ! Or, dans l’inconscient collectif, la gauche reste la seule détentrice de l’héritage révolutionnaire, donc de la légitimité. C’est-à-dire le camp du Bien. Et le plus surprenant est que la droite, finalement, ait en quelque sorte intégré son infériorité morale…

Vous avez tout à fait raison. À cela s’ajoute le fait que, quand on se dit « de droite », on ne sait pas à quoi cela se réfère. À Maurras et ses épigones ? À la présumé bonne gestion de Poincaré, Pinay, Barre ou Balladur ? Pour ma part, je préfère me définir comme gaulliste. Si le gaullisme n’avait pas existé, je ne me serais pas engagé dans la vie politique, car je ne me serais reconnu ni dans la gauche ni dans la droite.

Que signifie aujourd’hui le terme « gaulliste » ?

Je dégagerai trois thèmes spécifiques au gaullisme : d’abord la liberté de l’esprit. N’oublions pas que, sous la IVe République, la revue théorique du RPF s’appelait précisément Liberté de l’esprit. Ce qui signifie que le gaullisme s’oppose au conformisme et aux comportements moutonniers. Ensuite, je pense que la liberté économique est compatible avec le progrès social et que leur conjonction favorise l’égalité. D’ailleurs, dans notre histoire, il a souvent existé entre les deux une relation dialectique plutôt qu’une opposition. On a beaucoup moqué le discours d’Egletons, dans lequel Jacques Chirac, en octobre 1976, avait promis « un véritable travaillisme à la française ». Nous sommes encore nombreux à partager cette intuition fondamentale, même si l’État-providence, mal géré, a mal tourné. Enfin, je fais mien le mot d’ordre, plus facile à énoncer qu’à mettre en œuvre, d’« une France libre dans une Europe libre ». Derrière cette idée d’un sonderweg[2. Une voie particulière, spéciale.] à la française, il y a le refus d’une Europe réduite à une zone de libre-échange et incapable d’accéder au rang de construction politique à part entière.

Si le clivage droite-gauche est problématique, l’inscription de l’UMP à droite n’est-elle pas intellectuellement absurde ?

L’UMP, dont j’ai été un cofondateur, me fait aujourd’hui penser à un pâté qui a réduit à la cuisson. Les raisons de sa création étaient liées à la situation politique du pays : à partir de 1981, le RPR, l’UDF et les autres partis gravitant autour ont toujours fait candidature commune. Mais une fois les élections passées, ces braves gens, qui avaient grosso modo les mêmes électeurs, lesquels ne se disaient pas spécifiquement RPR ou UDF, se retrouvaient dans des groupes séparés à l’Assemblée nationale. En même temps, les sujets de discorde perdaient leur importance. Dans les années 1960, le premier sujet de clivage entre les gaullistes et les centristes giscardiens était l’Europe : Michel Debré contre Robert Schuman, l’Europe des patries face à l’Europe supranationale. Mais avec la notion de « confédération d’États-nations », Jacques Delors a sifflé la fin de ce débat artificiel. Un autre thème de discorde était la place de l’État et son rôle dans l’économie, et là aussi, nos différences se sont amoindries. Partant de ces constats, nous avons pensé qu’il fallait construire une grande formation politique abritant des sensibilités diverses comme il en existe dans d’autres pays.

Mais l’UMP était surtout une réponse à la présence de Le Pen au deuxième tour de la présidentielle en 2002, non ?

Ce qui a joué, avant même le 21-Avril, c’est que le FN était en progression et tout le monde le savait. C’est pour cela que nous avions créé l’Union en mouvement, préfiguration de l’UMP. S’il y avait eu deux candidats de droite au premier tour de la présidentielle, le second aurait opposé Jospin à Le Pen. Songez que la différence entre Jacques Chirac et Lionel Jospin était d’une centaine de voix par bureau de vote ! Ensuite, aller aux législatives en ordre dispersé, c’était risquer de mauvaises surprises. Ce que je regrette, c’est qu’à l’UMP plurielle, dirigée au départ par Alain Juppé, ait succédé un parti dans lequel le courant le plus droitier jouit d’une parole hégémonique. Un discours cassant, clair et simplificateur, affirmant par exemple qu’il y a trop d’immigrés, passe forcément la barrière des médias. Les autres voix, plus modérées et nuancées, deviennent alors inaudibles.[/access]

*Photo : Hannah Assouline.

Novembre 2012 . N°53

Article extrait du Magazine Causeur



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Elisabeth Lévy est journaliste et écrivain. Gil Mihaely est historien.

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