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Juste des gens bien


Juste des gens bien
Anne Wiazemsky.
Anne Wiazemsky
Anne Wiazemsky.

De l’admiration. De l’amour. De l’héroïsme. Enfin ! Selon l’idée reçue que les familles heureuses se ressemblent toutes et n’ont pas d’histoire (cette imposture colportée depuis la naissance du romantisme), jamais le malheur n’avait autant marché en librairie. Les sujets qui ont bonne presse, ces temps-ci, ce sont les misery memoirs, entendez par là je vous raconte − avec talent, c’est ça le pire − ma souffrance, mon histoire, ma rupture, mon bébé, ma dépression, mon cancer. Le stade au-dessus, c’est la souffrance par génération interposée : ma mère était méchante, mon oncle me violait, mon grand-père était collabo. Le stade ultime, c’est la psychanalyse opérée sur le dos de l’Histoire : des guerres de religion à la guerre d’Algérie en passant par Vichy, la révocation de l’édit de Nantes et l’affaire Dreyfus, y’a pas à tortiller, on est tous des salauds.

[access capability= »lire_inedits »]Et voici quelqu’un qui ne dit pas de mal de ses parents, ni de leur époque, ni d’elle-même, ne révèle aucun scoop scabreux, ne divulgue aucune petitesse propre à rassurer le lecteur et à le conforter dans sa bonne conscience. C’est même l’inverse : elle convoque des individus formidables, qu’elle aime, qu’elle admire et qui lui manquent. Elle leur rend grâce et hommage, comme elle l’a déjà fait, entre autres, avec une élégance infinie, pour Robert Bresson (Jeune fille, Gallimard, 2007) et pour ses arrière-grands-parents (Une poignée de gens, Gallimard, 1998). Tout devrait donc, logiquement concourir à l’échec public et critique. Eh bien, non ! Au contraire, et c’est une bonne nouvelle sous le soleil de la rentrée littéraire. Il faut croire que certains ont compris qu’il n’y a pas de honte à préférer le bonheur.

Mais cessons de ne louer ce livre que par des négatives : il n’est point mesquin, il n’est point souffrant. Certes. Il est surtout porté par la voix unique, vibrante de justesse et d’épure, d’Anne Wiazemsky. Et tout n’est pas rose, loin de là, dans l’histoire de cette rencontre, puisqu’elle a pour arrière-plan l’une des périodes les plus sombres de notre siècle : l’après-guerre, à Berlin. Claire (la mère d’Anne), fille du « grantécrivain » François Mauriac, y est partie en tant qu’ambulancière pour la Croix-Rouge. Elle a laissé derrière elle une France grise, où l’attendait un fiancé bien sous tous rapports, pour sauver des vies dans une Allemagne en ruines. Jean, dit « Wia », descendant d’un prince russe (ce que papa Mauriac prendra soin de vérifier après avoir confié l’enquête à Henri Troyat), négocie avec les Soviétiques les libérations des prisonniers. Sur le point de l’épouser, Claire écrit à ses parents : « Je ne suis pas sûre de faire une princesse bien présentable. » Partout, autour d’eux, misère et souffrance, mais ils sont jeunes, ils s’aiment, tout les sépare, ça paraît trop mais ça fonctionne parce que c’est vrai. D’autant plus vrai qu’Anne Wiazemsky a rythmé son roman des lettres de Claire, dont elle n’a rien retiré ni modifié. Miracle de l’écriture, la mère et la fille finissent par faire entendre une même voix : bon sang ne saurait mentir. Comme Anne sans doute, Claire est fragile, mais elle est forte ; percluse de migraines, elle refuse de s’écouter, et elle s’éloigne de ses chers parents pour mieux les aimer de loin. Montherlant (ennemi juré de Mauriac par ailleurs, mais tant pis) a dit quelque part : « Annoncez une bonne nouvelle, vous vous rendez agréable ; annoncez en une mauvaise, vous vous rendez intéressant : choisissez. » Anne Wiazemsky a choisi la première option. Heureusement : on avait presque oublié que l’amour existait.

Mon enfant de Berlin

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Octobre 2009 · N°16

Article extrait du Magazine Causeur



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Charlotte Liébert-Hellman est éditeur.

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