Le Docteur est occupé!


Le Docteur est occupé!

petiot jean pierre lucovich

« La rue Lauriston ?…Une légende, monsieur le Président » déclarait Henri Lafont au cours de son procès en décembre 1944. Aplomb incroyable du tortionnaire ou fanfaronnade d’un criminel avant le couperet de la guillotine. « Quatre années au milieu des orchidées, des dahlias et des Bentley, ça se paie, non ? » ajoutait-il, la lucidité du condamné en prime. Dans son dernier roman « Satan habite au 21 » paru aux éditions de l’Archipel, Jean-Pierre de Lucovich croise le regard du sinistre Lafont et de toute une bande de malfaisants. Des affreux de la Carlingue, des grossiums du marché noir, des miliciens amateurs d’art ou de misérables délateurs de paliers, tout ce que le Gai Paris compte d’engeances, figure dans cette fiction sur fond d’Occupation. Le Docteur Petiot tient une place brûlante dans ce chaudron. Insaisissable, cet as du déguisement se joue de la Brigade Criminelle qui perd continuellement sa trace. Il se permet même de doubler les impitoyables pégriots du « 93 », plus adeptes du Luger Parabellum que de l’audience de conciliation.

Seul, Jérôme Dracéna, détective privé, amateur de jolies actrices, mi-justicier, mi-mariole, tente de barrer la route à ce dangereux psychopathe, proche cousin du Dr Mabuse. Lucovich, ex-journaliste mondain, grand connaisseur du gotha s’est transformé en historien rigoureux doublé d’un romancier généreux. Sa documentation ne souffre d’aucune lacune. Sur un canevas de faits vérifiés, il laisse libre cours à son imagination. Son héros n’est pas un inconnu pour ceux qui ont eu la chance de lire son précédent livre Occupe-toi d’Arletty ! couronné par le Prix Arsène-Lupin 2012. On se demande ce que font les scénaristes de télévision pour ne pas s’emparer immédiatement de ces deux romans. Tous les ingrédients d’une série à succès sont présents : des personnages attachants, des bourre-pif, des filles de joie, des méchants vraiment très méchants, des gros bras au cœur tendre et des larmes qui vous submergent quand, au petit matin, une rafle vient enlever votre charmante voisine. Lucovich a fignolé tous les détails pour que son requiem sonne juste. Quand nous lisions, il y a une trentaine d’années, ses Carnets des Hommes en vogue, il avait déjà le sens de la formule, l’œil pour remarquer une imperceptible ride chez une femme, le nez pour sentir un parfum de luxe ou le palais pour décrire la carte d’un restaurant étoilé. Lucovich pratique le name-dropping historique (Rudy de Mérode, Joanovici, Viviane Romance, Ginette Leclerc, Jean Luchaire, etc…) avec gourmandise. De cette ambiguïté entre le vrai et le faux, naît un plaisir de lecture à l’ancienne.

Nous sommes loin des auteurs qui nous perdent dans les méandres de l’autofiction, voie de garage de la littérature française. Avec lui, on ne s’ennuie pas. Lucovich ne mégote pas sur les rebondissements, ses lecteurs ont droit à la totale. C’est-à-dire une succession de chapitres échevelés où tous les genres sont permis (action, érotisme, émotion, suspense, etc…). Une belle variété et des changements de vitesses rapides qui tiennent le lecteur toujours éveillé. Avec, en filigrane, une connaissance exacte du monde des spectacles (cinéma et chanson) de ces années-là. Ce gros roman d’hiver se dévore au coin du feu…pas trop près tout de même. Arletty y parle avec l’accent de Courbevoie, Pierre Brasseur provoque des esclandres dans les cabarets, les vélos-taxis ont remplacé les automobiles et les salons particuliers de Lapérouse incitent aux débordements affectifs. « Satan habite au 21 » ne fait pas toc ! Entre le couvre-feu et les topinambours, la vie des Parisiens s’assombrit sous le ciel fridolin. La Libération est pourtant proche mais Petiot semble échapper à toutes les polices officielles ou non. Depuis que Jérôme Dracéna a découvert le charnier de la rue Le Sueur, il est bien décidé à prendre rendez-vous avec le Docteur.

Satan habite au 21, Jean-Pierre de Lucovich – L’Archipel.

Satan habite au 21

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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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