L’Ange gardien : rédemption noire


L’Ange gardien : rédemption noire

jerome leroy ange gardien

Noir d’encre déchiré de flammes, le dernier grand roman de Jérôme Leroy, Le Bloc, revisitait sans concession à l’espérance les thèmes de l’amitié et de la trahison sur fond de prise du pouvoir par un parti d’extrême droite. D’un noir moins dense, car sous-tendu par une vision presque optimiste de la nature humaine, son nouvel opus, L’Ange gardien, peut se lire comme une réflexion fiévreuse sur la rédemption. Sur la capacité des hommes à se remettre debout dans un monde qui tombe.

Comme dans Le Bloc, l’histoire se déroule dans une France quasi contemporaine, celle que Leroy ne cesse de pourfendre, écrasée par la « mondialisation heureuse » et dépecée par les grands prédateurs ; une France déliquescente où les « valeurs républicaines » ne sont plus qu’une formule qui fait pleurer les nostalgiques et ricaner les puissants lorsqu’ils sont sûrs qu’on ne les enregistre pas. Dans ce pays en mille morceaux subsiste pourtant une institution omnipotente, l’Unité, instance secrète dont seuls les agents connaissent l’existence, mais dont mêmes eux ignorent tout de la structure, de la direction et des objectifs, sinon qu’ils se réclament du concept encore plus obscur de « l’État profond ».[access capability= »lire_inedits »] Depuis un demi-siècle, c’est elle qui manœuvre l’opinion, dirige les dirigeants, élabore les stratégies et élimine ceux qui pourraient lui faire obstacle. Le plus froid des monstres froids, puisqu’il n’a ni sang ni tête, juste des agents qu’il envoie torturer ou assassiner, sans que ces derniers puissent savoir s’ils ne figurent pas sur la liste, et s’ils ne seront pas abattus une fois leur mission accomplie. Dans cet univers hautement paranoïaque, deux hommes, deux pécheurs vont pourtant être réunis par une jeune femme, Kardiatou Diop, qui va leur donner l’occasion de se racheter.

Le premier, Berthet, la soixantaine altière, passionné de poésie contemporaine, a été l’un des meilleurs agents de l’Unité. Le tueur absolu. Mais cet ange déchu est devenu un ange gardien lorsqu’en septembre 1992, juste après avoir égorgé un innocent afin de faire porter le chapeau à d’autres innocents, il a croisé Kardiatou, collégienne dans une ZEP de Roubaix, sublime comme une idole noire. Aussitôt, c’est l’illumination. Sans cesser ses activités, le tueur va désormais se racheter en offrant à cette parfaite inconnue un amour absolument gratuit, pur et illimité.

Les fautes que doit expier le second, le romancier Martin Joubert, sont d’un autre ordre : c’est d’avoir renoncé, au nom du confort, à sa vocation de professeur, de passeur de savoir et d’espoir, mais aussi à son intégrité d’écrivain. Résultat, son œuvre patine, mais son couple explose, de même que son surpoids et sa consommation quotidienne de Xanax. La rédemption de Berthet passait par l’amour, celle de Joubert passera par la révolte. Révolte contre le système tout entier lorsque, recruté par Berthet, il acceptera d’écrire, sous la dictée de celui-ci, un roman à clef dévoilant la façon dont l’Unité a pourri ses fondations.

Quant à leur rencontre, explosive, elle va se réaliser sous l’égide de l’Unité, qui a ourdi un complot machiavélique visant à faire assassiner Kardiatou. À cette occasion, Berthet sacrifiera sa vie, et Joubert, son confort : entré en clandestinité, il fera connaître au monde les crimes de l’Unité. Et suscitera du coup, par sa propre rédemption, celle de la société tout entière, réveillée par la divulgation, secouée jusqu’aux tréfonds et enfin libérée de ceux qui « se prenaient pour Dieu, avec un pouvoir illimité merveilleusement confondu avec la puissance démocratique ».[/access]

L’Ange gardien, Jérôme Leroy, Gallimard, 2014.

*Photo : Hannah.

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Février 2015 #21

Article extrait du Magazine Causeur



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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