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Gainsbourg, comme un boomerang


Gainsbourg, comme un boomerang
Serge Gainsbourg en concert au Palace, Paris,1978 © Patrick SICCOLI/SIPA Numéro de reportage: 00776259_000016

L’artiste a disparu il y a 29 ans.


Lundi 2 mars, le 5 bis rue de Verneuil pleurait son locataire éternel, l’un des Français les plus marquants de la culture pop, l’homme qui inventa un style inimitable, grandiose et populaire, ironique et ombrageux, le juif russe qui a grandi dans la France occupée sous son nom de naissance Lucien Ginsburg, le peintre avorté qui a « retourné sa veste parce qu’elle était doublé de vison », le prince des dandys qui détestait qu’on lui accolât l’image de poète assassiné par la société de consommation.

Serge Gainsbourg célébrait son 29ème anniversaire dans le cœur des français à qui il manque même lorsqu’ils ne l’ont pas connu. Comme seuls quelques grands, il laisse un héritage à toute la nation et un clan talentueux qui porte magnifiquement ses couleurs, en la personne de Charlotte Gainsbourg, de Jane Birkin ou de Lulu.

Le rock de Nerval

Gainsbourg est l’inventeur d’une posture artistique. Venu de la génération des colosses de la chanson française – il est né la même année que Brel, cinq ans après Brassens et Aznavour –, Gainsbourg a foulé de ses Repettos zizis tous les styles musicaux qui ont traversé la France pour en faire de nouvelles figures littéraires, depuis Ronsard 58 jusqu’à You’re Under Arrest (1987) qui préfigure le slam et l’arrivée du hip-hop. Le compositeur disait lui-même que si l’on écrivait l’histoire de la chanson française dans un cahier, il faudrait le mettre en marge. Il n’y a en effet aucun artiste comparable à Gainsbourg : aucun compositeur aussi prolifique, aucun interprète aussi éclectique, aucun artiste aussi complet.

Un homme aussi libre serait aujourd’hui comme un éléphant dans le magasin de porcelaine de la modernité où sont alignées sur des étagères les petites préciosités de chaque communauté…

Il introduit dans la chanson moderne et post-68 une hauteur, une métrique littéraire rigoureuse et incisive, nourrissant les bas instincts d’un public qu’il lui arrivait de mépriser tout en revenant à des projets qui renouaient avec ses premières amours pour le classique et la littérature romantique. Loin de ces artistes qui ne parlent que de subjectivité pour mieux cacher leur médiocrité objective, Gainsbourg mêlait Dvorak, Rachmaninoff ou son fidèle Chopin à des paroles de variété, il mettait les rythmes afro-cubains au service de la Nuit d’Octobre de Musset ou du Serpent qui danse de Baudelaire. Il est l’auteur d’une œuvre importante dont le fameux Histoires de Mélodie Nelson, écoulé à peu d’exemplaires à l’époque (à son grand dam) et qualifié de premier poème symphonique de l’âge pop, continue d’inspirer toute la musique française de Sébastien Tellier à Benjamin Biolay, de Philippe Katherine ou M.

Cet élitisme, ce sens des hiérarchies qui le faisait dire qu’il ne pratiquait en la chanson qu’un art mineur, n’est plus de notre temps, où chacun donne tant de lustre à ce qu’il fait et où l’on tire une preuve de qualité de son succès commercial.

Ecce homo Par hasard et pas rasé

La personne de Gainsbourg est également tout ce qui manque à notre époque et pourtant l’insupporte : sans parler du personnage provocateur qui fumait et buvait en lançant à Whitney Houston qu’il voulait « fuck with her » sur le plateau de Michel Drucker – son amour des femmes, ses paroles et citations frôlant la misogynie romantique d’un Albert Cohen, son mépris pour les fans du yéyé à qui il voulait faire livrer « des wagons de sucettes », ses paroles à double sens, son patriotisme et son engagement pour Giscard et Israël de 1967, tout cela pouvait s’épanouir et susciter la polémique, le scandale n’ayons pas peur de ces mots, et parfois l’émotion et la grâce. La provocation était pour lui une méthode : « On secoue les gens, et il y a des tas de choses qui tombent de leurs poches », disait-il à Sabatier. Autant dire qu’un homme aussi libre serait comme un éléphant dans le magasin de porcelaine de la modernité où sont alignées sur des étagères les petites préciosités de chaque communauté.

Avec la liberté de ton et l’irrévérence qui le caractérisait, Gainsbourg avait le don d’anoblir la bouse et d’en faire de l’art, ainsi qu’un Baudelaire suggérait qu’il n’y avait pas de sujets poétiques ou non, mais simplement des manières poétiques de traiter les sujets.

Gainsbourg était un géant qui passait en un instant de Huysmans au prout-prout, avec une délicatesse et un charisme qui continue de toucher au cœur les vieux prolétaires comme les jeunes bourgeois.

Comme le maitre nous avait appris, avec sa Pauvre Lola, qu’il fallait savoir s’étendre sans se répandre, on en restera là avec la concision française qu’il n’a cessé d’honorer : merci p’tit gars.

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