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Femmes à la chambre


Je me demande si je vais encore pouvoir aller travailler à l’Assemblée nationale en jupe. Depuis l’affaire Strauss-Kahn, on répète partout que les hommes politiques
sont d’affreux obsédés, principalement soucieux de draguer puis de baiser tout ce qui passe : employées, militantes, journalistes…
Les journalistes du genre féminin peuvent-elles, dans ce contexte de harcèlement permanent, continuer à travailler sereinement ? Ou doivent-elles dépenser une énergie folle à repousser les avances de ces Barbe-Bleue à cocarde ? Dans ces conditions, celles qui continuent à porter des jupes sans rien dire sont-elles de fieffées salopes, briseuses de ménages, des Barbie reporters prêtes à tout pour un scoop – ou un coup ?

J’imagine que, dans le cas DSK, la pénurie d’informations réelles oblige à broder pour meubler les heures d’antenne en attendant le vrai procès. À ce titre, rien de tel qu’une petite auscultation du milieu politico-médiatique pour conserver l’attention des téléspectateurs. Attention, c’est parti pour l’opération « culs propres » !

Première idée : les hommes politiques sont d’affreux obsédés. Je suis bien obligée de convenir que ce n’est pas faux.[access capability= »lire_inedits »] Les regards de haut en bas destinés à mesurer le potentiel de séduction de l’interlocutrice sont monnaie courante. Pour peu qu’on soit un peu familier de la salle des Quatre colonnes, le répertoire des blagues qu’on y sert se situe souvent au-dessous la ceinture. Oui, j’ai vu des mains baladeuses, et même des mains au cul – pas sur le mien, voyons ! Je ne parle pas des SMS parfois à la limite du harcèlement, et si ça se trouve des invitations directes à coucher. Mais je n’ai jamais senti d’obligation et je dois avoir une trop grande estime de moi-même pour considérer qu’une telle proposition ne peut se refuser.

La première fois que je suis arrivée à l’Assemblée, il y a une bonne dizaine d’années, j’étais accompagnée d’un collègue et ami qui m’a aussitôt mise en garde : j’allais être regardée, matée, zyeutée, scannée. C’est exactement ce qui s’est passé, mais en vérité, pas plus et pas moins que lorsque, quelques mois plus tôt, couvrant un championnat du monde d’athlétisme, j’étais rentrée dans une salle de presse masculine à 99 %, peuplée de confrères éloignés pour trois semaines de toute épouse ou maîtresse légitime.

Petite chose fragile ? D’accord, mais avec option gifle

L’Assemblée, c’est pareil : on y croise des hommes, qui sont souvent élus, et des femmes qui sont souvent journalistes ou, en tout cas, qui occupent des positions
sociales ou professionnelles moins prestigieuses. C’est ainsi qu’on fait de la politique et plus si affinités. À ceci près que ces affinités, on les retrouvera aussi dans
une multinationale à La Défense, un orchestre symphonique ou un ministère.

Faites-vous raconter par vos amis cadres sup’ les séminaires divers et variés et les voyages de motivation à l’étranger. Mettez des hommes et des femmes dans un vase
clos, hôtel, train, bus, amphi, assurez-vous qu’ils sont hors de portée de la famille, du Franprix, du JT de 20 heures et du barbecue chez les voisins, et vous verrez que,
bizarrement, ils trouveront le moyen de s’apparier pour passer le temps.

On est loin, me dira-t-on, de l’appétit sexuel dévorant décrit partout. Oui et non. Je constate juste que, si torts il y a, ils sont largement partagés. Il ne s’agit évidemment
pas du viol, qui est juridiquement, moralement et effectivement un crime : pour ça, il y a la loi, la police, la justice et les flammes éternelles de l’Enfer. Mais dans le milieu qui nous occupe, j’ai un conseil à donner : au lieu de pleurnicher sur les SMS harceleurs, rien ne vaut une bonne vanne en public, un bon coup de pied verbal dans les couilles. Qu’on ne m’accuse pas de justifier l’injustifiable.

Mais une journaliste politique, même pigiste, même débutante, n’est pas la caissière de l’hypermarché harcelée par son chef de service et obligée de coucher pour
assurer ses 900 euros mensuels. Je veux bien revendiquer le statut de petite-chosefragile-à-protéger-de-la-concupiscencemâle, mais avec option gifle, s’il vous plaît.
Deuxième idée : les femmes qui gravitent en politique sont forcément les victimes de ce climat délétère. Pour ce que j’en sais, je dirais que c’est faux. Encore une fois, rien n’interdit de se défendre quand on en a les moyens. Et on les a souvent. Se défendre ne signifie pas forcément être glaçante, hautaine et désagréable, ou se saper moche (comme préconisé par certaines consoeurs), ou refuser systématiquement les invitations à dîner, ou je ne sais encore quelle autre recette de bonne femme. Il n’y a pas de recette, ni de règle. Ou alors, il va falloir admettre que, si vous ne les respectez pas, vous serez au mieux une mauvaise professionnelle, au pire une salope qui couche.

Rouler une pelle a un(e) élu(e), est-ce le début de la connivence ? Pour ma part, j’ai longtemps pensé que coucher avec un élu posait probablement ensuite un problème de crédibilité journalistique. Aujourd’hui, je n’en suis pas aussi sûre, en tout cas dans certaines situations. Après tout, nous nous sommes toutes retrouvées un jour où l’autre à discuter autour d’un verre avec un élu, un conseiller ou un ministre impatient de connaître notre précieuse analyse de la situation politique. Rien de tel pour l’ego. En tout cas, moi, je ne connais personne qui refuse de la livrer, son analyse. N’est-ce pas le vrai début de la collusion, le début de la fin de cette fichue «indépendance» qu’on a d’autant plus à la bouche qu’elle ne veut rien dire?

Accepter des reportages organisés aux frais des entreprises ou des institutions ne serait pas un problème mais, attention, rouler des pelles à un(e) élu(e) serait la preuve de votre mauvais penchant connivent ? Si ça se trouve, les temps glorieux du journalisme politique sont aussi un peu révolus. Quand beaucoup considèrent que le « Petit Journal » de Canal + – qui débusque plutôt drôlement les ridicules, petites phrases niaises et automatismes de langue en chêne massif de nos élus − est ce qui se fait de mieux en la matière, il faut peut-être songer, sinon à renoncer au métier, à arrêter de pontifier sur son utilité sociale et son rôle irremplaçable de gardien-de-la-émocratie.

Les femmes – j’étais à deux doigts de mettre une majuscule à femmes, j’imagine le savon que m’aurait passé la patronne qui, au passage, est la preuve irréfutable de la douceur maternante des femmes de responsabilité − seraient victimes de cette distorsion des relations humaines qu’on sait pourtant équitables, dénuées d’arrière-pensées et asexuées. Il faut pourtant avoir vu de ses yeux, dans les meetings ou les congrès, les hordes de militantes qui tentent de s’approcher des élus de leur coeur, de leur corps et parfois de leur Fédé, dans l’espoir de leur taper dans l’oeil ! La haine que ces agnelles vouent aux conseillères (je l’ai été) à qui on parle à l’oreille, pas par goût du marivaudage, mais parce que certaines choses ne passent que murmurées, notamment celles qui concernent les camarades de parti ! La fascination qu’exercent le pouvoir, ses pompes et ses ors sur certains humains des deux sexes peut, de surcroît, se conjuguer à un calcul pragmatique, financier ou carriériste, mais pas nécessairement. La puissance du discours, de la parole publique suffit souvent comme catalyseur de désir. Une tribune, quelques phrases enlevées, quelques gestes balancés, et on entrevoit le Paradis.

Les femmes, le cul et la longueur des jupes amusent la galerie

L’équation est donc bien plus complexe que les lieux communs ânonnés par les professionnelles de la hargne victimaire qui voient les mâles partout, nourrissant leur narcissisme des décolletés et de l’admiration des dames. Pas mal de femmes se sentent exister quand elles sont repérées par ceux qui détiennent un peu de pouvoir, qu’ils soient chanteurs de rock, héros de téléréalité ou députés.

Mais revenons au journalisme. Un peu d’honnêteté ne nuit pas. Si on aime ce métier, c’est aussi pour la proximité qu’il offre avec ces étranges animaux, masculins et féminins, que sont les politiques. J’entends des consoeurs expliquer qu’elles ne parlent jamais de sujets personnels avec leurs interlocuteurs et que jamais, au grand jamais, ils ne pourraient devenir des amis, comme si elles devaient se faire pardonner de les fréquenter. Cette mise à distance serait, paraît-il, la garantie d’un
journalisme de qualité – en même temps qu’une tentative pour faire croire que la connivence médiatico-politique n’existe pas ou, en tout cas, qu’on ne mange pas de
ce pain-là. Mieux vaudrait assumer. On se croise dans les mêmes endroits, à la sortie des mêmes écoles, dans les mêmes dîners et il n’est pas rare qu’on ait usé nos fonds
de culotte sur les bancs des mêmes universités.

Relisez donc les papiers d’Hunter S. Thompson sur les campagnes présidentielles aux États-Unis. Il a passé son temps à dîner, à picoler, à se droguer dans des avions, des bars, des hôtels, avec tous les candidats de l’époque. Ça ne l’a pas empêché d’être le meilleur reporter qui soit et d’afficher des convictions de gauche qui tenaient peu mieux la route que celles de bien des stars hexagonales de l’édito vertueux. Ne jouons pas les vierges effarouchées, ni même les femmes libérées effarouchées.

La question posée par la frénésie de scoops sexuels post-DSK est celle du sens de l’information et du journalisme politique aujourd’hui. Les femmes, le cul, la longueur des jupes, les dîners ou pas, amusent la galerie. Si on en est là, c’est parce que personne ne croit plus à ce qu’il dit, ni à ce qu’il écrit. On cède à la cruauté par conformisme.

On tombe dans la caricature par manque de curiosité. L’indignation remplace le goût du réel. À ce compte-là, autant essayer d’amuser les lecteurs. Et prendre du bon temps. Entre adultes consentants.[/access]

Juin 2011 . N°36

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste

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