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Féminisme: vivement le 9 mars!


Féminisme: vivement le 9 mars!
Manifestation féministe à Lyon, janvier 2017. SIPA. 00789773_000003
Manifestation féministe à Lyon, janvier 2017. SIPA. 00789773_000003

Cela n’a pas dû vous échapper: nous sommes le 8 mars. Pourquoi cette journée est-elle différente des autres jours ? Parce qu’hier nous étions esclaves et qu’aujourd’hui nous sommes des femmes libres – ce qui mériterait bien quelques festivités et libations ? Que nenni. Tous les autres jours, les femmes pensent, parlent, travaillent, aiment, rient, produisent, quittent, souffrent, s’énervent, énervent, pleurent, en un mot vivent. Mais ce jour-là, elles doivent exclusivement se plaindre et être plaintes. Et n’essayez pas d’en profiter  messieurs (ou mesdames, d’ailleurs), l’ambiance n’est pas à la drague, même légère. Airs graves, statistiques effrayantes et récits apocalyptiques sont de rigueur. « Toutes victimes ! », c’est la devise de cette belle journée. D’ailleurs, je me suis faite avoiner par la secrétaire d’Etat Pascale Boistard pour avoir osé prôner un féminisme joyeux. Joyeux, vous vous rendez compte.

 

Moi j’appelle ça la sainte-chipie, de façon un peu conjuratoire. Parce que, je vous jure, chaque année c’est un calvaire. D’accord, je suis souvent invitée à la télé où je suis gracieusement pomponnée et coiffée par des gens adorables. Cette année, c’était chez Pascal Praud, sur CNews, où j’aime bien aller. Bonne ambiance, rien à dire, même la fille d’Osez le féminisme était aimable (Caroline de Haas, c’était pas vraiment ma copine). En plus, il y avait ma chère Eugénie Bastié, qui se bat comme une lionne. L’ennui, c’est que tout le monde a la même idée super-transgressive : le 8 mars, on fait un plateau de femmes, c’est bon ça chef ! Toute la journée, vous avez donc entendu ou vu des femmes (et le premier qui parle de volière devra en subir les conséquences). Les seuls hommes tolérés sont priés de faire leur autocritique pour toutes leurs mauvaises actions, paroles ou pensées passées, présentes ou futures. Alors, il paraît qu’on vit sous le joug de la domination masculine, mais des femmes qui parlent de problèmes de femmes entre femmes, ça peut évoquer ce que d’aucuns appellent la toute-puissance féminine. Enfin, ça doit être un fantasme de juif viennois. Il ne saurait y avoir de pouvoir des femmes, puisqu’elles sont dominées. En plus, avec tous ces techniciens Orange qui rôdent et risquent d’utiliser votre zéro-six pour vous faire un compliment on n’est plus en sécurité.

De toute façon, quand je suis arrivée sur le plateau, j’étais déjà bien déprimée. En faisant ma gym – avec le sentiment coupable d’être aliéné aux stéréotypes masculins –, j’ai écouté comme chaque jour ou presque la matinale de Guillaume Erner sur France Culture. Deux minutes après 7 heures, premier chiffre accablant : 26 % de différence salariale, pauvre exploitée, à partir de 15h40 t’es pas payée. Bien sûr, c’est une entourloupe, qui repose sur une moyenne –, et qui, comme l’a rappelé Eugénie, tient au fait, pour l’instant dirimant (quoi que veuillent certaines-et-certains  comme on dit dans le jargon bêtement féminisé de notre époque), que les femmes portent les enfants. D’ailleurs, plus tard j’ai appris que selon l’INSEE, pour les jeunes diplômés, cette différence n’existe quasiment plus, ce qui signifie que les écarts actuels sont un héritage d’époques où l’égalité n’était ni la norme, ni la loi. C’est moche d’annoncer une bonne nouvelle pour les femmes le 8 Mars.

À 7h15, toujours sur Culture, on m’avait promis un bilan à charge et à décharge du quinquennat de Hollande sous ce rapport. Je résume, avec un zeste d’ironie : Hollande comme tous les autres a fait de chouettes lois pour les femmes. Sauf qu’elles ne sont pas appliquées. Conclusion, il faut bien sûr plus de lois, ça ne fait jamais de mal, mais surtout plus de sanctions et plus de contrôles : des Inspecteurs du sexisme au travail, des Brigades des plumeaux dans les foyers pour mesurer le partage des charges domestiques. Sans oublier l’élaboration urgente d’un indice permettant de dénoncer les entreprises sexistes – et accessoirement de faire prospérer quelques entreprises créées par des femmes avisées pour décerner le précieux label. Dans la foulée, on parlera, bien sûr, des violences faites aux femmes – dont il ne s’agit pas de minimiser la gravité, mais peut-être pas non plus d’exagérer l’ampleur. Or, à entendre la litanie de chiffres égrenés tout au long de la journée, avoir échappé à toutes ces violences relève du miracle.

Ma journée n’avait pas commencé depuis une demi-heure que tout l’attirail idéologique et rhétorique du nouveau féminisme s’était déployé : victimisation générale pour les filles, soupçon universel pour les garçons. Et surtout, humour pour personne. Non seulement les héritières présumées de mai 68 adorent les interdits, les sanctions et les contrôles, mais elles détestent les blagues.

En sortant de chez moi, je me sentais maltraitée, mal payée, exploitée. Pour un peu j’serais remontée me coucher. Dans la voiture qui me conduisait à Boulogne, le chauffeur m’entendant parler au téléphone, apprend que c’est la fête des femmes. Il ne savait pas mais il allait, m’a-t-il dit, offrir des fleurs à la sienne. Malheureux ! Il n’avait pas écouté France Culture où une journaliste avait solennellement mis en garde : la « Journée internationale des droits des femmes » (c’est comme ça qu’on dit), ce n’est pas une fête pour offrir des fleurs ou des chocolats à ses copines ou à sa mère et faire marcher le commerce, c’est une journée de lutte. Aujourd’hui les filles, trêve de badineries, l’homme est un ennemi de classe. Pascal Praud a tout de même dû rappeler que les hommes n’étaient pas tous des violeurs en puissance.

Dans notre pays, il y a des femmes qui ne peuvent pas se promener où et quand bon leur semble

Coup de chance, j’avais rendez-vous avec Natacha (la Polonium en personne). On a parlé chiffons, politique et coiffure (et aussi de Orwell TV qu’elle lance bientôt), dit quelques vacheries, ça m’a bien remonté le moral. Et puis je me suis précipitée chez moi pour écrire tant que j’étais payée. Et là, avant de m’y coller, je m’suis accordé mon péché mignon : La Nouvelle Edition, sur CNews. C’est le royaume de la bien-pensance mais il y a plein de filles marrantes, comme la grande Daphné, meneuse de jeu qui réussit l’exploit de rester jolie dans les tenues les plus fantasques. Et puis, Emilie Bez, qui présente le JT de Canal à la mi-journée est, à mon avis, l’une des journalistes les plus compétentes et les plus distinguées du PAF (je n’ose pas dire charmante ou jolie elle trouverait ça sexiste). Elle déteste les blagues graveleuses et les anorexiques exhibées pour vendre des bagnoles, elle est même parfois un brin collet monté, mais ce quant-à-soi tranche délicieusement dans l’atmosphère furieusement cool de Canal. Et voilà qu’elle m’assène le dernier chiffre catastrophe : 87% des femmes auraient déjà subi une agression sexuelle dans les transports en commun. Rokhaya Diallo parle de « sollicitations non désirées » pour désigner ce que le commun des mortels appelle la drague. Peut-être faut-il pour parvenir à ce chiffre de 87 % considérer comme une agression tout regard non désiré.

Inutile de vous énerver, je sais parfaitement que les violences faites aux femmes existent et il me semble même qu’il y a des lois pour les interdire, une police pour les empêcher et une justice pour les sanctionner. De même, ce que le féminisme plaintif oublie dans sa lutte contre une domination masculine dont il ne reste plus, dans nos sociétés, que des lambeaux, c’est que l’égalité entre les sexes est aujourd’hui la norme sociale, politique et même économique (qui renoncerait aujourd’hui à la contribution des femmes ?). Qu’elle ne soit pas pleinement réalisée (comme toute chose en ce bas monde) est indéniable. Cela ne justifie certainement pas de décrire la vie des femmes en France sous le seul signe de l’oppression. Le mâle blanc de plus de cinquante ans, harceleur et amateur de grosses blagues lourdes, que les néo-féministes adorent détester, existe encore mais il n’est pas très en forme. D’ailleurs, la preuve que le féminisme a réussi est qu’il est devenu un vecteur de marketing. Ainsi, pour la sainte-gonzesse, Axa nous a offert une publicité rappelant que, si en grammaire le masculin l’emporte sur le féminin, dans la vie c’est pas vrai… Et que dire de cet hilarant supplément du Monde intitulé « Féminisme la nouvelle vogue » et destiné, avec force photos, à nous vendre de la fripe de luxe ?

Hilarant, sauf que, sous couvert de combat pour l’égalité, c’est la différence des sexes qui est menacée. Les nouvelles dames patronnesses qui aiment fourrer leur nez dans nos chambres à coucher, voudraient soumettre le désir aux bienséances démocratiques, oubliant que celui des hommes et celui des femmes ne paraît pas obéir aux mêmes lois (ni à aucune loi d’ailleurs, même s’il doit s’incliner devant elles). Oubliant aussi que dans le monde occidental, les hommes portent désormais une muselière intérieure qui leur permet de ne pas prendre leur désir pour un consentement. Elles rêvent d’un monde où, enfin affranchis des lois d’airain de la biologie, on pourra se reproduire sans avoir à rencontrer – donc à affronter – l’autre sexe. Ça fait rêver.

Surtout, cette obsession de l‘égalité a fini par rendre le féminisme d’aujourd’hui presque indifférent à un bien, peut-être plus précieux encore, qui est la liberté des femmes. Des hommes gagnent plus que des femmes, d’accord (le contraire est aussi vrai du reste). Mais la plupart des femmes se voient offrir les mêmes chances de réussite, d’épanouissement et de réalisation que les hommes. Or, non seulement nos féministes font mine de ne pas voir les progrès réalisés, mais elles refusent aussi de voir que, dans certains territoires engagés dans un processus de séparatisme culturel sous l’influence d’un islam radical, ces progrès n’ont pas cours. Dans notre pays, il y a des femmes qui ne peuvent pas se promener où et quand bon leur semble, s’habiller comme elles veulent et fréquenter qui elles veulent. Et tant que les féministes préféreront faire la police du langage et de la pensée que de mener ce combat, je les combattrai. En attendant, je pars à RTL. Je crois qu’il n’y aura que des femmes autour de Fogiel, mais on ne parlera pas de femmes. Vous voyez, on progresse.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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