«Le défi, c’est de faire de l’humour de gauche»


«Le défi, c’est de faire de l’humour de gauche»

didier porte rtl sarkozy

Chroniqueur sarcastique avec des restes de journaliste, humoriste selon son humeur, comédien de one-man-show plus que perfectible, très porté sur les produits dérivés du pinot noir (quand ses revenus le lui permettent), il aime la polémique et les pamphlétaires en général. Didier Porte a officié, notamment, treize ans sur France Inter. Il publiera le 14 octobre l’Atlas de la France qui gagne (Autrement).

Causeur. Vous vous êtes élevé, comme beaucoup d’autres, contre la placardisation des Guignols. Que cette émission passe en crypté après vingt-sept ans de diffusion en clair, c’est un tel scandale ?

Didier Porte. C’est de la censure politique. C’est exactement ce qui m’est arrivé sur France Inter. Pour moi, il n’y a aucun doute, c’est Sarkozy qui est derrière. Bolloré, avec qui il est très copain, a voulu lui faire plaisir. En se débarrassant des Guignols, il fait un geste.

Bizarre, une censure dénoncée par l’intégralité de la classe politique… Et si Bolloré souhaitait tout simplement passer à autre chose, renouveler les programmes ? Et si Les Guignols étaient tout simplement moins bons ?

On dit que Les Guignols ont baissé, mais quand ils parlent de Sarkozy, ça n’a pas tant baissé que ça. Ils sont d’une virulence qui, moi, me satisfait pleinement. Le pilonnage de Sarko n’est pas du tout opportuniste ou démago, c’est un truc personnel qu’on ressent quand on fait ce boulot-là et qu’on a officié sous le régime de ce personnage. Sarkozy, c’est un point de fixation pour eux.

On dirait même une fixette. Et c’est une fixette que vous partagez avec eux et un paquet de vos confrères, tout comme Guillon, si on se rappelle bien vos chroniques sur France Inter, jusqu’à votre limogeage en 2010.

Pour moi, il n’y a absolument aucun doute sur le fait qu’on ait été virés sur ordre de Sarkozy, un an et demi avant les présidentielles. Et comme par hasard (sourire), il vire Les Guignols un an et demi avant les prochaines. Je constate que, par ailleurs, il ne fait plus de meetings, il fait de l’humour, du stand-up. Et au moment où il entre officiellement dans la carrière d’humoriste, il vire les concurrents ![access capability= »lire_inedits »]

Sarkozy humoriste, quelle blague subversive ! On a l’impression que vous découvrez l’eau chaude : à savoir que, quand on se paye la tête du puissant, lui aussi peut se payer la vôtre. En réalité, c’est un adoubement !

C’est peut-être un adoubement mais c’est un « empêchement de travailler ». Et on ne va pas se laisser faire. Quand un président de la République agit directement sur une station publique, il y a de quoi gueuler. D’ailleurs, on a gueulé comme des ânes à ce moment-là… Il n’y a pas que Sarkozy, mais je trouve que c’est un bel exemple, particulièrement emblématique.

En supposant qu’il ait eu vos têtes, vous ne l’aviez pas un peu cherché, à vous acharner sur lui et sur la direction de la radio ?

Non, on ne cherchait pas particulièrement à se faire virer. On était censés être des bouffons et attaquer le pouvoir. Ce qui est intéressant, c’est d’attaquer les puissants, pas les plus faibles. On faisait notre boulot. Si ce boulot-là n’est pas viable, pas acceptable sur le plan démocratique, il faut faire voter une loi pour supprimer les humoristes et leur fermer le clapet définitivement. En attendant, j’accepte le job mais je ne vais pas me laisser faire sans rien dire. Sinon, je ne pourrais plus bosser. D’ailleurs, je peux beaucoup moins bosser depuis cette affaire-là.

Étrangement, François Rollin a été viré de France Inter dans l’été et personne n’a bronché, alors que votre licenciement avait provoqué un tollé…

Je crois que pour lui ça n’a pas été tout à fait du même ordre. Je ne pense pas que François Hollande ait pris son téléphone pour le faire virer. On ne me fera pas croire que François Rollin a été victime d’une fatwa politique. Et je ne l’ai jamais vu comme un type très dérangeant par rapport à la norme de France Inter.

Donc, en somme, quand un type qui se fait virer n’est pas de gauche, c’est un martyr, sinon, c’est un nul ? Pardon, mais la norme, sur France Inter, c’est plutôt l’humour de gauche à la François Morel, non ?

François Morel est la grosse vedette de l’humour sur Inter. Mais sa chronique, ce n’est pas vraiment un brûlot gauchiste. Quant aux jeunes humoristes qui sont arrivés avec Ruquier, et ont littéralement envahi tous les plateaux télé, ils n’ont aucune position politique. Finalement, il y a très peu d’humoristes engagés à gauche sur le marché : Les Guignols, Christophe Alévêque et Sophia Aram.

Pas tout à fait des inconnus non plus, sans jeu de mots… Vous-même êtes sans doute dans le top 10 des humoristes les plus connus en France.

Oui, mais je suis tout à fait marginalisé. Je collabore encore à Paris Première, qui a la gentillesse de diffuser mes spectacles, et j’ai plusieurs chroniques sur le web. Mais je ne représente pas les gens qui peuvent constituer la voix dominante. Les grosses pointures sont sur les stations privées : Laurent Gerra, on ne peut pas dire qu’il soit d’un gauchisme échevelé. Quant à Canteloup, on ne pas dire que ce qu’il fait sur TF1 soit d’un marxisme-léninisme affirmé ! On ne peut pas dire que la voix majoritaire soit celle de la gauche bien-pensante. Ce n’est pas Sophia Aram, le matin sur France Inter, qui cumule le plus d’audimat. Il faut arrêter de dire qu’il y a une forme d’impérialisme de la part des humoristes de gauche… D’ailleurs, à la base dans le fond, l’humour, c’est un truc de droite.

Au moins, sur ce point, vous êtes d’accord avec Élisabeth Lévy.

L’humour, et surtout l’humour noir, est un truc de droite parce qu’il doit être transgressif, tous azimuts, et donc s’attaquer aux victimes. Et ça, c’est un repoussoir pour la gauche.

Donc, l’humour de gauche n’est pas transgressif, CQFD. Le problème dans votre raisonnement, c’est qu’entre Les Guignols et Sarkozy, le puissant n’est pas celui que vous croyez. Et puis, aujourd’hui, la faiblesse est une force : d’ailleurs, tout le monde veut être victime parce que les victimes font peur…

Ça, je vous le laisse, c’est bien une idée de droite… En tout cas, le défi aujourd’hui, c’est d’arriver à faire de l’humour de gauche. En respectant les codes qui font qu’on s’attaque aux puissants, jamais aux faibles. Avec des valeurs de gauche qui sont des valeurs chrétiennes, compassionnelles, tout ce que vous voulez. Celui qui y arrive, il est vraiment très doué. Parce que les grands humoristes à travers l’histoire, ce sont souvent des polémistes de droite. Il n’y a pas de Philippe Muray à gauche. Tous ses discours sur la festivocratie sont d’une méchanceté désopilante. Aujourd’hui, Gaspard Proust incarne un peu ça. C’est sûrement une des figures émergentes de l’humour, et ce n’est certainement pas un mec de gauche bien-pensant…

Certes, d’ailleurs, il vient de se faire éjecter de Salut les Terriens. Quoi qu’il en soit, que reste-t-il de l’humour si le point de départ est qu’il doit être de gauche ?

Non, le point de départ, c’est qu’il ne faut pas faire le jeu du FN. Parce que, pour quelqu’un qui est de gauche, c’est un risque.

Vous en êtes encore là, à vous faire peur avec Marine Le Pen ? À moins que lui taper dessus soit la dernière chose qui reste à l’humour de gauche…

Oui, on peut considérer que, vu les reniements successifs de la gauche dite démocratique, le débat à gauche est effectivement pathétique. N’empêche que le FN est un danger pour la démocratie et qu’il faut le dénoncer. Alors d’accord, ce n’est peut-être même plus drôle, ni subversif. Ce n’est pas brillant ni subversif, mais quand on est de gauche, on doit le faire.

Nous respectons vos convictions à défaut de les partager. Donc, quand on est de gauche, on ne peut pas être un « artiste dégagé », comme disait Desproges ? Il faut absolument édifier les masses ?

Être un artiste dégagé, c’est toujours payant. S’engager ouvertement à gauche, en prenant parti, est beaucoup plus périlleux. Je l’ai fait, publiquement, dans les médias et dans mon spectacle, en appelant à voter pour Mélenchon aux élections de 2012 (Je lui avais même donné le rôle de Dieu. On utilisait sa voix, qu’il avait gentiment accepté de me prêter, pour en faire celle du Seigneur dans Don Camillo : je m’adressais à lui, il s’adressait à moi, et je lui demandais de dire du bien des journalistes). Mais ça, aucun autre humoriste ne l’a fait. Ils s’engagent contre le Front national mais aucun n’a donné de consigne de vote. Pourquoi ? Parce que cela signifie s’aliéner une partie du public, et commercialement c’est toujours très casse-gueule. Moi, pour passer sur un plateau de France Télévisions, dans une émission de service public généraliste, je peux me gratter. Quelqu’un qui a appelé à voter Mélenchon, on ne l’invite pas. Même appeler explicitement à voter François Hollande, aucun humoriste ne l’a fait. Parce que ça peut nuire…

Vous êtes très drôle en fait. En 2012, ils appelaient tous à faire barrage au FN et à Sarkozy, mais ce n’était pas un appel « explicite » à voter Hollande… ? Admettons. Vous ne pensez pas qu’appeler à voter FN ou UMP, par exemple, pourrait leur nuire beaucoup plus ?

Évidemment, mais merde, faut pas déconner !

Jean Roucas l’a fait. Est-ce qu’il est subitement devenu moins drôle pour autant ?

Je crois que sa meilleure blague, tordante, c’est d’avoir appelé à voter FN.

Admettez qu’au moins, c’est à contre-courant…

Je peux vous dire que, sur une radio comme RTL, il était beaucoup plus risqué de se dire simplement de gauche que d’appeler à voter FN ou en tout cas d’exprimer sa sympathie pour le FN.

Allons bon, maintenant vous allez nous expliquer que RTL vous a viré à la suite d’un coup de fil de Marine Le Pen ? À moins que ce ne soit encore Sarkozy ?

Non, il n’y a pas eu de coup de fil, mais à la direction de RTL, certains peuvent faire des hypothèses sur les prochaines présidentielles. Mon papier de juin dernier sur Maud Fontenoy, déléguée à l’environnement des Républicains et très proche amie de Sarkozy, n’a pas dû les enchanter.

La direction parle d’un choix « artistique » consistant à supprimer les chroniques écrites, ponctuelles.

Sur sept chroniques écrites, les deux seules à sauter sont celle d’une jeune femme qui était là depuis à peine un an et la mienne. Mais moi, ça fait quatorze ans que je travaille avec Stéphane Bern ! Quand elle m’a recruté, la station a communiqué allègrement en me présentant comme d’une « prise de guerre », une preuve que la liberté d’expression était plus chez RTL que chez France Inter. Au bout du compte, on me vire comme une merde, en invoquant un « choix artistique » et je perds 15 000 euros par an dans l’affaire. Et croyez-moi, 15 000 euros pour moi, ce n’est pas de l’argent de poche.

Rassurez-vous, pour nous non plus ! Et on ne se souvient pas vous avoir entendu vous inquiéter pour Éric Zemmour quand il a été évincé d’iTélé l’an dernier.

Zemmour est quand même sur RTL deux fois par semaine, dans la matinale, c’est à dire en prime time. Il est défendu bec et ongles face à la rédaction par Christopher Baldelli, qui ne cache pas sa sympathie. C’est logique, puisqu’on est sur une radio commerciale dont une large partie des auditeurs votent FN. Mais pour ma part, en plus de trente ans de carrière, entre guillemets, c’est la première fois que je n’ai pas une seule case dans un média traditionnel. Bref, je peux crever la gueule ouverte.

C’est un droit à vie, une « case dans un média traditionnel » ? Après tout, un paquet d’auditeurs peuvent se sentir insultés par vos chroniques sans voter FN, et RTL n’a peut-être pas envie de faire fuir ses auditeurs… Allez-vous nous dire que vous pratiquez le « rire de résistance » défini par Jean-Michel Ribes, le bon ami de notre président ?

Parler de « rire de résistance », c’est un peu boursouflé, pas très sérieux, voire indécent. Ce qui est clair malgré tout, c’est que Hollande, en termes de liberté d’expression, a beaucoup de marge par rapport à un Sarkozy. Vous pouvez être sûr qu’il n’interviendra jamais dans une rédaction pour faire dégommer un journaliste. Il y a une tradition chez les socialistes, et c’est à peu près la seule chose qui leur reste : ils ne sont pas liberticides. C’est peut-être ce que voulait dire ce bon Jean-Michel Ribes avec sa déclaration énamourée à François Hollande.

Là, pardon, mais vous charriez grave ! Ça se fait de manière beaucoup plus discrète, feutrée, mais bizarrement, depuis l’élection de Hollande, les soi-disant « nouveaux réacs » sont beaucoup moins présents, quelle coïncidence !

Pauv’biquets ! Bienvenue au club des tricards !…

Et quand vous traitiez 800 000 Français qui défilaient avec la Manif pour tous de « crétins en loden », ce n’était pas excessif ou indécent ? Vous n’aviez plus de vrais « puissants » à vous mettre sous la dent ?

C’est un combat d’arrière-garde et ils avaient un look rigolo, anachronique. Je n’allais pas me gêner ! Mais vous avez raison, on est parfois mauvais, démago, maladroit. On peut considérer qu’il est un peu facile de s’en prendre aux gens qui s’habillent en loden et mocassins à glands, j’admets que ce n’est pas ce que j’ai fait de plus glorieux. Il y a des chroniques dont je suis plus fier.

Laquelle, par exemple ?

Lorsque j’ai attaqué Arthur frontalement, sur France Inter, sur la revente de ses parts d’Endemol, le pognon, les jeux absolument débiles qu’il faisait, la téléréalité qu’il avait introduite en France… Je m’en prenais à plus fort que moi, médiatiquement parlant : il m’a attaqué sur mon salaire, m’a piégé et je n’en suis pas sorti gagnant. Mais je n’étais pas mécontent d’avoir tenté le coup. J’estime que j’avais pris des risques, je m’étais exposé.

C’est en effet plus courageux que de taper sur les cathos de province. D’ailleurs, maintenant que tout le monde est Charlie, pourquoi personne ne se paye la tête des musulmans ?

J’aime les vieux gimmicks sur les curés, les flics et tout ça, c’est bien de garder cette tradition. En revanche, sur les musulmans, je suis totalement politiquement correct, et je vais vous sembler affligeant. Depuis l’Algérie, il y a un fonds raciste en France, antiarabe, antimusulman. Je n’ai pas envie de me faire instrumentaliser en amplifiant ça, en alimentant ce racisme que je combats depuis toujours. Effectivement, le risque, c’est qu’on me dise : vous faites le jeu de ceux qui nous menacent et veulent imposer leurs lois, sous couvert de bons sentiments vous êtes d’une terrible lâcheté. Désolé, mais pour moi, il serait plus dangereux d’en rajouter.

Votre plus grande peur, ce n’est donc pas qu’on vous tire dessus, mais que Marine Le Pen soit élue ?

Oui. Je crains quand même qu’on me tire dessus, et je me moque des djihadistes dans mes chroniques et dans mon spectacle. En tant qu’humoriste, on ne peut pas fermer sa gueule devant cette menace. Mais en même temps, je ne veux pas faire le jeu de Marine Le Pen.[/access]

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*Photo: DR.

Septembre 2015 #27

Article extrait du Magazine Causeur



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