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Corbeaux et Colombe


Corbeaux et Colombe

Tapis derrière leur anonymat, de courageux justiciers se sont assigné une noble tâche : faire virer Colombe Schneck de France Inter. Vous voyez le truc, intérêt général, salubrité publique et tout le bazar. Nos conspirateurs ont établi leur QG sur Facebook sous l’enseigne sobre et de bon goût d’une Ligue pour l’abolition de Colombe Schneck – j’ai tenté d’aller y voir mais c’est très compliqué d’aller sur Facebook et, en plus, c’est un peu vexant, depuis que ce machin a remplacé le bistrot, seules 4 personnes ont demandé à être mes amies. On se croirait à l’école maternelle : « Non, tu n’es plus mon amie, mes nouveaux meilleurs amis sont Kangoo et Laguna. » On appelle ça un « réseau social ». En clair, c’est la planque idéale pour fomenter un mauvais coup sans prendre de risque.

« Zappez Colombe », c’est avec ce titre alléchant que les conjurés recrutent par courrier électronique. Il y a urgence, vous pensez. Il y va de la dignité des citoyens. Dans l’ensemble de la bouillie qui s’écoule à grands jets sur les écrans et sur les ondes, parmi tous les programmes concoctés pour rendre nos cerveaux disponibles, il en est un « plus laid, plus méchant, plus immonde », c’est l’émission « J’ai mes sources » de France Inter, animée par Colombe Schneck et diffusée tous les jours de 9 h 30 à 10 heures. Pour les oreilles affutées de nos résistants des ondes, c’est un supplice. Imaginez que récemment, elle a parlé de « l’agence Zenith Média… non Zenith Optimédia » – impardonnable. Pire encore, elle a présenté « le communicant Thierry Saussèze… non Saussé ». C’en est trop. Chaque citoyen responsable est donc invité à apporter « le petit ruisseau d’approximations, erreurs, impropriétés… qu’il aura relevées au fleuve de l’incompétence de la chère Colombe ». Allez, les corbeaux, à vos claviers.

Certains se demandent sans doute quelle mouche me pique. Précisons que Colombe Schneck n’est pas une copine. Pour ne rien vous cacher, moi, je l’aurais bien prise, sa quotidienne, vu qu’elle est arrivée sur Inter au moment où j’étais débarquée de Culture – et avant d’apprendre sa nomination, je l’ai susurré à l’oreille de Frédéric Schlesinger. Sans succès. Elle m’a invitée deux fois, la première face à David Kessler, ce qui était plutôt gonflé et le débat fut assez sportif. La deuxième fois, venue parler de livre que j’ai écrit avec Philippe Cohen Notre métier est mal parti (le titre résume assez bien la thèse), je suis tombée dans un véritable traquenard – qu’elle n’avait pas organisé. Elle a semblé encore plus surprise que moi de voir Sylvain Bourmeau, qu’elle semble tenir pour un garçon civilisé, se transformer en moulin à éructations et imprécations, dont il ressortait que j’étais coupable de toutes les turpitudes de Jean-François Kahn et Franz-Olivier Giesbert réunis. Je n’ai qu’un véritable grief à l’encontre de Colombe Schneck : elle croit qu’il existe seulement trois sites Internet en France (devinez lesquels !).

On a le droit de juger que « J’ai mes sources » n’est pas la meilleure émission du PAF. Moi, je ne l’aurais pas faite comme elle. Quand il est question de médias, on aimerait un peu plus de vitriol et un peu moins de sirop, un peu plus de jugement et un peu moins de promo. Le côté « ingénue » de mademoiselle Schneck m’agace souvent, son numéro d’élève dissipée avec l’instit’ Demorand m’ennuie vite. Son rire de petite fille me fait sursauter. Il lui arrive de parler avant de réfléchir, donc de proférer des absurdités, comme lorsqu’elle demande à Jean-Marie Cavada, 68 ans, s’il est intéressé par la direction de France Télé. On a l’impression qu’elle en rajoute dans la naïveté et puis non, elle est vraiment naïve. C’est son charme. Et il lui arrive souvent d’être courageuse. En tout cas, dans le chœur de la fausse critique qui se déploie à travers de multiples émissions de prétendu décryptage des médias, « J’ai mes sources » tient honorablement son rang.

On me dira qu’après avoir tempêté tant et plus pour qu’il soit permis de critiquer les médias, il serait déraisonnable de prétendre soustraire les critiques à la critique. Sauf qu’il ne s’agit pas ici de critique mais d’une campagne anonyme de démolition – assortie, qui plus est, d’une demande de licenciement. « Il faut virer Colombe », ça c’est une revendication. On est élégant ou on ne l’est pas. De vrais menschs, je vous dis. J’ai toujours été sidérée par la facilité avec laquelle des gens souhaitent votre mort sociale au motif que vous ne pensez pas comme eux. Ils ne font pas rouler les têtes, ils se débrouillent pour qu’on vous coupe les vivres. Je les imagine écoutant chaque matin l’émission dans l’espoir d’y pêcher un bafouillage ou une maladresse dont ils pourront rire avec les autres insurgés. Car sous couvert de débusquer « l’incompétence », cette guéguerre de lâches n’a certainement pas d’autre motif que le ressentiment et autres passions tristes. Pas grand-chose à ajouter à ça. Ou plutôt si : viens le dire ici, si t’es un homme.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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