Télé Burgalat


Télé Burgalat

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Albert Robida (1848-1926), artiste et écrivain français né à Compiègne a légué à l’humanité une invention remarquable : le « téléphonoscope ». Dans son roman futuriste, fantaisiste et prospectif Le vingtième siècle, de 1883, il imagine la vie dans les années 1950, et introduit l’idée de grands écrans qui diffuseraient à domicile des imagines animées du vaste monde – transmises par les câbles du téléphone. Cela ne vous rappelle rien ? À la différence de Jules Verne, Robida n’a pas envoyé les hommes faire du tourisme sur la lune, ni sous les mers, ce qui lui valut une notoriété nettement moins grande – même à Compiègne. Mais un jour le « téléphonoscope » s’est matérialisé.

À force d’efforts, il est devenu bien réel. Il a envahi les foyers. Il a même pris le nom de télévision, et la face du monde en a été changée. La suite est connue : Léon Zitrone, Guy Lux, Loana, l’ « esprit Canal », le Manège enchanté, Yves Mourousi, et le pathétique télé-crochet musical de l’Eurovision. La télévision fait et défait des hommes politiques, et des artistes de music-hall. La télévision promeut des cultes et fabrique des idoles ; ainsi Conchita Wurst, vainqueur autrichien travesti et barbu (ce qui fait beaucoup) de l’Eurovision, qui est devenu en quelques heures une icône de je-ne-sais-pas-quoi-au-juste, mais ça lui a valu de faire la Une du Monde. Le quotidien vespéral progressiste voyant un bouleversement civilisationnel dans les provocations d’une « femme à barbe » parmi d’autres. Hubert Beuve-Méry est parti à temps. Mais la télévision ne produit pas que des fétiches, elle transmet aussi de l’émotion. Ainsi, la semaine dernière, les téléspectateurs d’un programme turc du genre « Tournez manège » où chacun cherche sa chacune, ont assisté en direct aux révélations inattendues et sidérantes d’un « candidat » promettant qu’il ne tuerait pas son hypothétique nouvelle amoureuse – comme il avait jadis assassiné sa femme et tué « accidentellement » son ex-petite amie (décédée alors qu’il nettoyait sa hache, et que le coup est parti tout seul. Ce qui est hachement fréquent).

La télévision c’est aussi, plus rarement, de l’art. Le « Ben & Bertie show » que diffuse de temps en temps la chaîne Paris Première est une de ces trop rares pépites cathodiques visant non seulement à nous distraire, à nous enrichir l’âme et le cœur, mais ayant également des ambitions esthétiques. Le musicien, compositeur, chanteur, producteur, et désormais homme-de-télévision, Bertrand Burgalat est reparti au charbon avec son complice le réalisateur Benoit Forgeard, pour un nouveau numéro de leur série musicale loufoque « L’incruste », dédié à un certain Sven Larsson, inventeur putatif du dispositif technique vidéo du « fond vert » – permettant d’incruster électroniquement des individus filmés sur un fond vert neutre, dans toutes sortes d’images fixes ou animées (depuis une carte météo – mais si, souvenez-vous, Évelyne Dhéliat ; jusqu’à un paysage lunaire). Un procédé dont ont usé et abusé les réalisateurs de télévision des années 70/80, et qui est au cœur de l’esthétique des « Ben & Bertie show » depuis le début (L’année bisexuelle, Ceux de Port Alpha, L’homme à la chemise de cuir) … Ce nouvel épisode – paradoxe délicieux – ne fait aucunement appel à cette technologie, mais en fait l’apologie… L’intrigue de « L’incruste » se résume en peu de mots : Ben & Bertie ont l’opportunité de réaliser un long-métrage de cinéma, immense joie, mais doivent partager des studios avec une émission télé de variété. C’est là que les problèmes commencent.

Cultivant toujours un humour pince-sans-rire hilarant, et un ton faussement compassé, les deux compères (ici cinéastes dilettantes et sursitaires), évoluent entre les caméras, les décors, les figurants, et cherchent à imposer leur projet de film dans l’exquis désordre ambiant des deux tournages imbriqués. Un désordre d’où émergent des séquences musicales délectables… (Francis Lai interprétant in-extenso le générique nostalgique qu’il a écrit dans les années 70 pour le programme « Le cinéma de minuit » sur FR3, Yasmin Hamdan, les rockers cuir démodés de Chalard & Co, Etienne Daho impérissable quel que soit la DLC, les talentueux Aquaserge (qui ont récemment accompagné April March, révélée en France par Burgalat), Chilly Gonzalès, Bertrand Burgalat lui-même et son groupe les A.S. Dragon… et j’en oublie.

Déjà culte en hexagone, le Ben & Bertie show s’impose peu à peu comme une référence que la télévision américaine nous envie. Les Chinois aussi réclament bruyamment le concept. Sans parler des indiens, des pakistanais, des portugais et des belges. Et j’ajoute les nord-coréens !

Ah… Albert Robida (1848-1926), artiste et écrivain français né à Compiègne, qui a légué à l’humanité le « téléphonoscope », n’imaginait peut-être pas tout ça dans ses rêveries primitives… peut-être était-il encore loin de la télévision ?

Ben & Bertie show, « L’Incruste » cette nuit à 00h15 sur Paris Première.



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Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

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