Nous sommes tous autrichiens!


Nous sommes tous autrichiens!
Sipa. Numéro de reportage : AP21899505_000003.
autriche hofer vers fpo
Sipa. Numéro de reportage : AP21899505_000003.

Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, Jean-Marie Colombani, alors directeur du Monde s’exclamait « Nous sommes tous américains ! », voulant signifier ainsi que dans le malheur, la solidarité des démocraties s’imposait au delà des différences et des divergences pouvant les séparer.

Trop longtemps, en tout cas depuis l’affaire Waldheim en 1986, ce candidat à la présidence de la république d’Autriche élu malgré les révélations sur son passé d’officier nazi, on n’a voulu voir dans les péripéties politiques de ce pays que les conséquences d’un passé occulté. L’ascension du FPÖ de Jörg Haider ? Une remontée nauséabonde des égouts du IIIème Reich, dont l’Autriche officielle persistait à se proclamer «  la première victime », au mépris d’une vérité historique établissant que l’adhésion populaire au nazisme avait été aussi forte, sinon plus, à Vienne qu’à Berlin. L’invocation rituelle de l’apostrophe brechtienne «  le ventre est encore fécond etc… » permettait de s’adonner sans états d’âmes à la paresse intellectuelle de celui qui ne se sent pas concerné. Eux, c’étaient eux, et nous, c’était nous.

S’il ne fallait retenir qu’une seule chose du drame politique qui vient de se dérouler en Autriche à l’occasion de l’élection présidentielle,  c’est que ce mode d’explication par une prétendue singularité de la république alpine dans son rapport à l’histoire est aujourd’hui totalement infondé.

Comment croire, en effet que la moitié des Autrichiens aient accordé leur suffrages à un candidat d’un parti classé à l’extrême droite pour cautionner la réhabilitation d’un IIIème Reich dont leurs grands parents furent majoritairement les supporteurs ? Et, qu’en conséquence la victoire, sur le fil et inattendue, d’un vieux prof d’économie écolo doit être célébrée comme un coup d’arrêt à l’accouchement de la bête immonde ?

Oui, nous sommes tous des autrichiens, car ce qui se passe là-bas est la version concentrée d’une crise européenne qui affecte, avec plus ou moins d’intensité toutes les nations de l’UE. Usure des partis traditionnels de gouvernement, fracture territoriale et sociale entre les gagnants et les perdants de la mondialisation, défiance envers les institutions de Bruxelles, insécurité culturelle liée à la vague migratoire… Quel pays de notre continent n’est pas confronté aujourd’hui à ces problèmes ?

Si leur expression politique est plus visible,  et plus tranchée en Autriche, cela est dû à sa position géographique, au contact des zones de turbulences de l’Europe, les Balkans, l’Ukraine, et une Mitteleuropa secouant le joug politique et économique germanique. Orban, Fico, Kaczynski sont écoutés à Vienne, car ils sont, eux aussi des héritiers du vieil empire austro-hongrois. Cela est aussi la conséquence lointaine du dépeçage ce cet empire après la Première guerre mondiale : l’Autriche « allemande », Restösterreich, est un pays hydrocéphale, doté d’une capitale surdimensionnée par rapport à sa taille et à sa population. Cela accroît la fracture entre la métropole, ville-monde ouverte et dynamique, et le reste du pays- espace rural et petites villes repliées sur leur folklore et leur entre-soi… Il suffit de regarder la carte électorale de l’Autriche, avec les zones vertes pour les districts ou le candidat écolo Van der Bellen est majoritaire, et les zones bleues où dominent les partisans du FPÖ Norbert Hofer pour en être persuadé. Le vert est concentré à Vienne, et autour de Salzbourg, et le bleu partout ailleurs.

Enfin, cette séquence autrichienne dont on saura plus tard si elle relève de l’opera seria ou de l’opéra bouffe, du Don Juan de Mozart, ou de la Chauve-souris de Johann Strauss, démontre, s’il en était encore besoin, que la question sociale, le chômage,  ne sont pas les causes principales de  la crise politique européenne. A force d’être déniée, l’angoisse identitaire des plus faibles au sein de nos sociétés provoque  les turbulences électorales que l’on déplore…

Quel Bill Clinton made in Europe viendra dire, enfin «  it’s the identity, stupid ! » ?



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