Stalinien, moi non plus


Stalinien, moi non plus

Apocalypse Staline documentaire

Il faudrait donc avoir honte d’être communiste. Le monumental opus de Daniel Costelle et Isabelle Clarke sur Staline devrait, sur le champ, faire rentrer sous terre tous ceux qui n’y sont pas déjà et croient encore à l’horizon radieux de la société sans classe ou se répètent cette phrase du Manifeste que je continue à trouver la plus belle qui soit pour résumer l’idéal communiste : « Une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ». Ou, pour dire les choses autrement : « On ne pourra jamais être heureux tout seul. »

Eh bien, je n’ai pas honte. Le stalinisme est un effroyable moment historique. Il a tout de même permis, au passage, de vaincre le nazisme mais cela ne suffit pas, c’est entendu, à dédouaner celui qui est présenté, à juste titre dans le documentaire, comme un des plus grands criminels de masse du vingtième siècle.  Seulement, voilà, j’ai du mal à faire le lien entre ce que je connais de l’engagement communiste, des camarades que je côtoie et le Petit Père des Peuples. Après tout, je suis né pile un mois après la mort de Thorez et je n’avais pas 12 ans quand le PCF a abandonné la dictature du prolétariat au XXIIe congrès, en 1976.

Il ne s’agit pas, encore une fois, de minorer l’horreur stalinienne mais de se demander en quoi elle concernerait spécifiquement les communistes français ou européens des années 70, 80, 90 et 2000. J’ai bien dit « spécifiquement ». Je m’explique : nul besoin d’être communiste pour être stalinien aujourd’hui, ou avoir des comportements de type stalinien. Dans son livre de 2007, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, Badiou définissait un « transcendantal pétainiste », c’est-à-dire un corpus d’idées, de comportements qui se sont particulièrement incarnées dans Pétain mais qui ont existé avant lui et après lui.

Il y a de même, à mon avis, un « transcendantal stalinien » qui s’est incarné dans Staline et le stalinisme mais qui, hélas, ne se limite pas à eux. Si l’on entend par stalinisme, comme le montre le documentaire de Costelle et Clarke, une vision totalitaire du monde, le désir de créer un homme nouveau pour l’adapter à ce monde – le tout servi par des mécanismes intellectuels qui interdisent toute pensée dissidente et même l’expression audible de cette pensée dissidente –, alors je ne peux que constater que le libéralisme, dans ses phases aiguës, emprunte à l’occasion au stalinisme.

Il se présente comme sans réplique et comme horizon indépassable de l’humanité, et je ne connais pas de phrase plus stalinienne, par exemple, que le TINA de Margaret Thatcher, « There is no alternative », pour justifier la mutation à marche forcée du Royaume-Uni vers la fin du Welfare State. Tout récemment encore, l’épisode grec nous a appris ce qu’il en coûtait de vouloir sortir du modèle austéritaire. Quoi que dise ou répète le peuple dans les urnes, l’UE lui opposait que ce ne serait pas possible. Et si analogie historique il y a pour parler de la manière dont les banques ont fait rentrer Tsipras dans le rang, il me semble que la plus pertinente est justement celle de l’URSS envahissant « les pays frères » qui montraient des velléités de changement. Par exemple la Tchécoslovaquie en 68, dont le « stalinien » Aragon, précisons-le au passage, a dit que c’était un « Biafra de l’esprit » : Dubcek avait eu l’arrogance d’opposer aux hiérarques de Moscou l’idée d’un communisme à visage humain comme Tsipras a eu l’arrogance de prétendre à une Europe sociale quand cette dernière se veut avant tout libérale.

Différence de degré dans la violence, évidemment. De nature cela reste à prouver, sinon comment expliquer que 1984 d’Orwell, à l’origine fable antistalinienne, nous donne chaque jour un peu plus l’impression que c’est de notre monde, ici et maintenant, qu’il est question.



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