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Apéro Goutte d’or, kiss-in gay, même combat


Apéro Goutte d’or, kiss-in gay, même combat
Photo Flickr / Philippe Leroyer
kiss-in
Photo Flickr / Philippe Leroyer

Tout le monde semblait bien chaud pour un bon gros foutoir dont la Gaule a le secret à l’occasion de cet « apéro saucisson-pinard » organisé le 18 juin prochain, à la Goutte d’or, c’est-à-dire en plein quartier islamique de Paris. Sans surprise la préfecture (et donc le gouvernement) a tranché : pas de pinard-saucisson à la Goutte d’or. On ne peut que comprendre cette décision : au-delà du bordel absolu qui se profilait, à coup de contre-manifestations et d’appel aux gentils apéros hallal, comment imaginer que les autorités politiques, alors qu’elles interdisent les « apéros facebook » des djeuns, auraient pu décider d’en autoriser un, organisé par des vieux, vraisemblablement fascistes, dont le but était selon les plus autorisées de nos autorités antiracistes de « stigmatiser » nos compatriotes musulmans ?

Rideau donc, sur l’apéro saucisson-pinard

Mais ce qui m’étonne dans cette affaire, c’est que personne à ma connaissance n’ait eu l’idée de rapprocher l’initiative des saucissonneurs bouffeurs d’imams de celle des associations LGBT qui organisèrent très récemment quelques embrassades publiques (quand je dis embrassades, je veux dire de grosses pelles, avec la langue) devant quelques unes des plus belles cathédrales de notre pays. Apparemment, « stigmatiser  les musulmans » à coup de pinard-saucisson est un crime beaucoup plus grave que l’envahissement des parvis d’Eglise par des groupes d’homos militants bien décider à choquer du catho à coup de bisous unisexes. Il me semble pourtant que les deux démarches sont très similaires. À chaque fois on vient en territoire ennemi exhiber ses pratiques qui se veulent le plus choquantes possibles pour la partie adverse sous la protection de la police.

Homo kiss-saucissonus veut braver l’ennemi sous protection policière

Comme l’écrivait très justement Bruno Maillé dans un article désopilant, les LGBT ont eu l’idée de leur kiss-in devant Notre-Dame sans doute parce qu’ils éprouvaient un malaise obscur, un manque sur lequel il fallut bien mettre un nom : c’était une « carence d’homophobes ». De même, les ultras de Risposte Laïque éprouvent-ils sans doute, en allant se coller à leurs adversaires rue Myrha une carence d’atteinte à la laïcité (de laïcophobes ?) depuis que l’Eglise catholique a perdu à peu près toute influence sur la vie publique en France. Le rapprochement peu paraître osé. En effet, l’on n’a guère entendu Patrick Lozès ou Jean-Luc Mélenchon s’élever contre la « cathophobie » des LGBT lorsque leurs invasions pacifiques des places d’Eglises furent programmées au mois de mai dernier, comme ils le font aujourd’hui contre la xénophobie et l’islamophobie (voire le nazisme !) supposées des organisateurs de l’apéro pinard-saucisson. Personne ne s’est trop soucié de défendre les catholiques contre les provocations des homos de tous poils. Cependant, au-delà de la différence de traitement médiatique, il me semble que les deux phénomènes sont assez identiques sur le fond et le produit d’une tendance très caractéristique de l’époque. Il faut donc inventer un nouveau concept qui saisirait ce qui est commun à ces deux phénomènes et qui serait aussi, à la manière de ce que proposa Muray, un personnage, celui d’Homo Kiss-saucissonus, pour caractériser le goût de l’homme moderne d’aller dénicher ses ennemis jusque dans leurs tanières obscures pour mieux parader devant eux en donnant libre cours à ses lubies, à l’abri des forces de police.

Les musulmans de la rue Myrrha ne sont pas mes ennemis

Bon, ouvrons ici une parenthèse, que les choses soient claires. Ce n’est pas parce que je mets bouffeurs de curés et de langues de gays et bouffeurs d’imams et de saucisson dans le même sac que pour moi l’islam et le christianisme c’est la même chose. Personnellement, en tant que catholique pratiquant dans le neuf-trois, que l’islam remplace le catholicisme dans notre pays ne me dit franchement rien. Je trouve que l’on perdrait beaucoup au change, à commencer par un petit détail de l’histoire que l’on appelle le Christ. Il me semble aussi qu’aujourd’hui, dans un souci peut-être louable d’éviter la « stigmatisation des minorités » on montre beaucoup de complaisance à l’égard des revendications de certains musulmans, et que le vocable « islamophobie », tel qu’il s’est imposé très récemment et très largement dans notre pays et ailleurs, permet de discréditer toute forme de critique de cette religion, ce qui est assez étrange dans un pays où la critique de la religion était un sport national. Mais ce n’est pas pour autant que j’irai faire des musulmans de la rue Myrha mes ennemis personnels en allant saucissonner sous leurs nez, un vendredi, jour de prière pour eux, et faut-il le rappeler, jour de la semaine durant lequel les catholiques sont cessés y aller mollo sur la bonne chère.

Rien de plus festiviste que cet apéro qui brandit les traditions

Les identitaires et les riposteurs laïques invoquent les bonnes et belles traditions de notre pays pour justifier leur apéro à la mode facebook, c’est-à-dire pas du tout traditionnel. Je ne vois quant à moi rien de plus moderne et de plus empreint de festivisme que cet apéro « saucisson-pinard » organisé via le net et qui doit avoir lieu au milieu du camp ennemi certes, mais sous la protection des forces de l’ordre. Venir narguer ses ennemis à l’abri de la police, voilà tout le courage dont est capable le rebelle du jour, que ce soit dans sa version LGBT ou dans celle des riposteurs identitaires.

Au fond, les saucissonneurs se foutent comme de l’an 40, 18 juin ou pas, des traditions qu’ils prétendent défendre. Pour ceux qui viennent partager en privilégiés des câlins homos ou des rasades de rouge au milieu du camp ennemi, on a l’impression qu’il s’agit moins d’apprécier la chose en soi que d’offenser ceux qui s’en privent, de les narguer, un peu à la façon des petits garçons qui viennent brandir leurs billes toutes neuves sous le nez de leurs camarades dans la cour de récréation pour s’assurer de leur valeur à travers l’envie qu’ils espèrent secrètement lire (sans doute un peu vainement) sur le visage des autres. « Tu voudrais être à ma place, hein », semble dire Homo Kiss-saucissonus lorsqu’il investit l’espace d’autrui, esplanade Jean-Paul II ou rue Myrha. Il y a quelque chose de platement narcissique dans la démarche des uns et des autres : on vient seulement affirmer devant ses ennemis que l’on a raison d’être ce que l’on est : rouleur de pelles homo, bouffeur de saucisson. Une forme d’exhibitionnisme identitaire, à mille lieux du bon vieux militantisme à l’ancienne. Les mots d’ordre passent au second plan, s’ils ne sont même parfaitement inaudibles.

Il est d’ailleurs symptomatique que la querelle se focalise sur la question de l’espace public. La place de l’église appartient à tout le monde disent les uns, et j’ai le droit de venir y rouler des pelles à tout le monde si ça me chante. La rue Myrha appartient à tout le monde disent les autres, et j’ai le droit d’y venir me bourrer la gueule en pleine prière musulmane si ça me chante aussi disent les autres.

Ces alterolâtres qui se foutent d’autrui

Dans ce légalisme infantile se manifeste me semble-t-il de façon criante le fait que notre époque, aussi alterolâtre soit-elle, éprouve de sérieuses difficulté à faire une place symbolique à autrui, lorsqu’autrui n’est pas le simple porteur d’une différence « sympa » et abstraite, mais d’une vraie divergence de fonds, d’opinion ou de croyance par exemple. Les rouleurs de pelles homos contestaient aux catholiques que le parvis de Notre-Dame leur appartienne. Au fond, ce qu’ils recherchaient en venant se bisouter sur l’esplanade Jean-Paul II c’est l’approbation de la société tout entière, cathos compris, de leurs pratiques sexuelles. Haro sur la dissidence ! L’idée même que quelqu’un pourrait les désapprouver est vécu à la fois comme un scandale et comme la preuve de leur identité dérangeante et subversive, c’est-à-dire de leur statut de roi de l’époque. Approuvé et dérangeant à la fois, voilà le fantasme ultime de l’adepte du kiss-in. Quant au plaisir qu’il est censé éprouver en roulant des pelles en public à n’importe qui, il n’en est guère question sérieusement. Et l’idée que n’importe quel homosexuel à l’ancienne aurait sans doute, idée suivant laquelle ces néo-homos ne seraient ni dérangeants ni admirables, mais seulement ridicules, ne semble pas traverser l’esprit de ces briseurs de tabous protégés par la police. De même les ultra-laïques et les identitaires, qui se parent sans vergogne des oripeaux de la résistance, ne supportent pas que les Arabes pour les uns, la religion musulmane pour les autres, existent si peu que ce soit sur la place publique en France.

Résumons donc. Qui est Homo Kiss-saucissonus ? C’est un grand résistant, qui s’oppose à la doxa à coup de bisous et de verres de rouge, protégé par la police d’occupation. Que fait Homo Kiss-saucissonus ? Homo Kiss-saucissonus ne débat pas, puisqu’il a la bouche pleine. Il occupe tout le terrain à lui tout seul, ou devrais-je dire le bac à sable ?



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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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