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La ferme des animalistes


La ferme des animalistes
Elevage de charolaises. Image: Jeff Pachoud.
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Elevage de charolaises. Image: Jeff Pachoud.

Ils remplissent les salles et convertissent des foules. Convaincus de détenir la vérité et prêts à mouiller leur chemise pour l’offrir à leurs contemporains (la vérité, pas leur chemise), ils se sont mis en tête, après tant d’autres, de créer un Homme nouveau. Et nouveau, il le sera sacrément s’ils parviennent à leurs fins qui sont, rien que ça, de faire de nous des herbivores. Pour les nouveaux militants de la cause animale, l’avenir radieux est un avenir sans viande.

Lors d’un colloque organisé par L214, le funeste Aymeric Caron, devenu en deux best-sellers et en popularisant la pensée de Peter Singer, le grand gourou de la vie veggie en France, s’est déclaré convaincu que le grand soir arriverait : « Il y a un avantage que nous n’exploitons pas, a-t-il expliqué à un public conquis, c’est que nous avons la Raison pour nous. Tous les arguments rationnels aujourd’hui amènent à la conclusion qu’il faut arrêter de manger de la viande et de maltraiter les animaux. » J’ai raison parce que j’ai raison, et ceux qui ne sont pas d’accord avec moi sont des imbéciles ou des fous.

Au chapitre de l’arrogance idéologique et du déni du réel, on le voit, les nouveaux défenseurs de la cause animale n’ont rien à envier à leurs ancêtres bolcheviks. Ceux-ci voulaient sauver le peuple, au besoin en le fusillant. Ceux-là prétendent sauver les animaux, et tant pis s’il faut pour cela en faire disparaître la plupart de la surface de la terre. En effet, si l’homme interrompait sa longue coopération avec les animaux, entamée il y a onze mille ans, toutes les espèces qui peuplent nos campagnes et nous offrent leur travail, leur production ou leur chair ne survivraient que dans quelques zoos – adieu, veau, vache, cochon, couvée…

Peu importe à Caron et à ses partisans : la défense des animaux n’a rien à voir avec une quelconque « sensiblerie », a-t-il répété, ironisant sur les mangeurs de viande qui aiment leur chien. « Mon respect pour les animaux est purement intellectuel », a-t-il conclu, très applaudi. À l’image des gauchistes qui aiment l’Autre mais maltraitent leur secrétaire, Aymeric Caron aime tous les animaux mais n’éprouve d’affection pour aucun en particulier – comme ça, il n’est pas influencé par ses émotions. C’est bien le problème. À l’écouter, on dirait que les animaux sont pour lui un paramètre dans l’équation du Progrès et, plus encore, un bon moyen d’accuser ses contemporains et de se mêler de leurs affaires.

Logiquement, notre ami des bêtes est devenu un propagandiste frénétique de l’ « antispécisme », théorie qui récuse la différence des espèces. Pour qui aime dénoncer, le spécisme c’est encore mieux que le racisme : tout le monde est coupable.[access capability= »lire_inedits »] Il suffit d’avoir écrasé une mouche ou mangé un œuf. Mais dans l’imaginaire de l’antispéciste, l’ultime et haïssable avatar du beauf réac, colonialiste et tout le reste, c’est le bouffeur de barbaque. Hier, il exploitait l’indigène, aujourd’hui, il torture les bêtes. Tout ça parce qu’il a l’arrogance de se croire différent d’elles. Bizarrement, aucun antispéciste n’a encore réclamé le droit de convoler avec une grenouille ou un corbeau, mais on ne voit pas pourquoi la glorieuse lutte pour l’égalité s’arrêterait en si bon chemin.

Bien sûr, on n’a pas besoin d’adhérer à ces élucubrations New Age pour être sensible à la souffrance animale – depuis Aristote les philosophes n’ont pas attendu le professeur Caron pour s’empailler sur le sujet. Et, sur le plan individuel, tous les choix sont respectables. Du reste, les végétariens, de plus en plus nombreux, ne sont pas tous victimes de la mode idéologique. Cependant, les fumeuses théories des « animalistes », pour reprendre le terme de Francis Wolff, seraient restées confidentielles sans le concours objectif de l’industrie de l’alimentation en général et de la viande en particulier. Si, d’un côté, on peut proférer sans être la risée générale que « l’animal est une personne », c’est parce que, de l’autre, on croit que « l’animal est une chose » ou plus encore une machine seulement destinée à générer du profit.

Poussins broyés, vaches confinées, poulets agglutinés, veaux dépecés, canards gavés : les images, proprement concentrationnaires, des fermes-usines et de certains abattoirs, diffusées lors des campagnes-chocs d’associations comme L214, ont de quoi dégoûter les carnivores les plus endurcis. Si de plus en plus de gens renoncent peu à peu à se nourrir d’animaux, ce n’est pas parce qu’ils les prennent pour leurs semblables, mais pour ne pas être complices d’un business qui les réduit à des facteurs de production.

L’existence d’une différence irréductible qui autorise l’homme à tuer l’animal sans pour autant se rendre coupable de crime ne signifie pas qu’il puisse lui infliger n’importe quoi. Nous avons peut-être un droit de vie et de mort sur les animaux, pas de n’importe quelle vie et pas de n’importe quelle mort. (Faute de place et d’idées claires sur le sujet, on ne traitera pas ici l’épineuse question de l’abattage rituel, abordée par Mohammed Hocine Benkheira .

Pour autant, il est possible d’accorder sa conscience et son plaisir. De nombreux mangeurs de viande sont désormais sélectifs et s’assurent que le poulet ou le steak qu’ils vont déguster a pu vivre sa vie de poule ou de vache et gambader au grand air avant d’être tué.

Amoureux de la bonne chère et grand avocat de la cause animale, dilections qu’il a transformées en talent professionnel, notre ami et confrère Éric Conan parcourt la France pour acheter sa viande à des éleveurs qui vivent, comme le dit Jocelyne Porcher, en symbiose avec leurs bêtes – avant de les envoyer à l’abattoir. Avec quelques amis, dont la philosophe Élisabeth de Fontenay, il a cependant décidé de ne plus manger de veau ni d’agneau : « Pas d’enfants, dit-il. Il faut qu’ils aient pu vivre leur vie avant d’être abattus. »

On peut donc aimer les animaux et les manger. Ce qui est certain, c’est qu’on ne peut pas vivre avec eux, les nourrir, les soigner, les protéger et in fine les tuer si on ne les aime pas. Les véritables défenseurs des animaux ne se recrutent pas chez les lecteurs de Peter Singer, mais parmi les éleveurs, qui n’ont rien à voir avec les exploitants de fermes-usines – le terme « élevage industriel » est un oxymore. Ils sont de plus en plus nombreux à refuser les diktats de l’Union européenne et des multinationales qui prétendent leur fourguer du soja ou du maïs pour nourrir leurs troupeaux et à revenir à une alimentation naturelle et gratuite – l’herbe, que nos vaches industrieuses et rêveuses excellent à transformer en lait. L’ennui, c’est que la viande issue de ces exploitations modèles reste réservée à la France qui ne va pas à l’hypermarché. S’il y a aujourd’hui un combat que devrait mener un défenseur conséquent des animaux, ce n’est pas contre la viande mais pour la survie d’un élevage à visage humain et pour que sa production soit accessible à tous.

Les ultras de la cause animale sont prêts à sacrifier toutes ces bêtes, bien réelles, à l’idée qu’ils s’en font – et les éleveurs avec, il faut bien casser quelques œufs quand on fait l’omelette de l’Histoire. « L’antispécisme est un humanisme », claironne Caron. Comme l’observe Jean-Pierre Digard, une idéologie qui se propose explicitement de destituer l’homme de sa centralité, ça s’appelle plutôt un anti-humanisme. À force de se priver de viande, on finit souvent par bouffer de l’homme.[/access]

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Septembre 2016 - #38

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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