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Tempête dans un urinoir


J’étais à deux doigts de publier une parodie du désormais célèbre « Piss Christ », mais puisque l’actualité m’a dépassé, je renonce à la mettre en ligne. Dans mon petit photomontage, on voyait un bouquin flotter dans un liquide jaune, c’était un Coran immergé dans de la bière. Hu hu hu, humour.

Tout est navrant dans cette histoire. La discipline artistique se complaît dans l’idéologisme foireux. Elle serait subversive, saboterait nos convictions bourgeoises, dérangerait nos habitudes, bousculerait nos tabous.

Quiconque a des yeux pour voir a bien compris que cet art-là n’intéresse plus personne, tant il roule dans les ornières du conformisme, de l’académisme, de la facilité, et même de la rengaine la plus pénible. Même les lecteurs du Monde, qui sont pourtant des modèles de gens de progrès et d’ouverture d’esprit, ne sont pas dupes, eux. Dans la quasi-totalité des commentaires, ils estiment qu’il est totalement nul d’accorder du crédit artistique à un type qui photographie son urine, a fortiori quand un crucifix y est immergé, puisque absolument tout est permis contre le Christ sans qu’on puisse être inquiété. Subversion mes fesses, donc.

Depuis Malévitch et Duchamp, on sait qu’on peut représenter rien et en faire une œuvre, et que n’importe quoi peut prétendre au statut de production artistique. Mais ça, ça date des années 1910. Ça fait un siècle qu’on nous bassine avec l’évolution artistique et le refus pour l’artiste d’avoir des maîtres ou des écoles, mais ça fait un siècle, un bon gros siècle bien tassé, que personne, absolument personne, n’a remis en cause, ou plutôt n’a réellement su dépasser Malévitch et Duchamp, lesquels règnent de facto en maîtres sur l’académisme nihiliste moderne. Mais je radote. Bref.

C’est pourquoi la réaction des catholiques qui ont été démolir l’œuvre d’art est tout aussi navrante. On peut difficilement faire pire que ce genre de « coup d’éclat » qui ne fait que grandir l’artiste en apportant la preuve qu’il a des ennemis « violents » et « réactionnaires », apporte de l’eau au moulin de sa subversion autoproclamée et finit par faire retomber sur les catholiques une image désastreuse d’imbéciles prêts à s’emparer de la plus grosse perche qu’on puisse leur tendre, une bonne grosse perche en plastique mou qui sent le pipi. C’est vraiment nul.

Ce que je crois, c’est qu’il faut répondre à ce genre de choses en tendant la joue gauche, c’est à dire en jouant leur jeu. Il faut, concrètement, se foutre de leur gueule et les encourager à aller toujours plus loin, les acculer au bout de leur raisonnement. Il faut jouer au con, en somme. Ce qu’il aurait fallu, c’est envoyer des milliers de bocaux de pisse à l’artiste ou à ses mécènes, faire parader une piss-pride, poser une caravane sur une place d’Avignon invitant au don de pisse solidaire et citoyen pour sauver l’art, n’importe quoi de complètement idiot pour répondre à l’idiotie avec ses propres armes. Il faut savoir être dada, tourner les choses en dérision, répondre au trash par le trash ou même essayer de répondre à la tristesse et à la névrose artistique par la joie et le bon sens, sans tomber dans le festivisme débile de l’idéologie lipdub/sympa.

On aurait encore pu imaginer une contre-exposition organisée juste à côté, pour montrer et commenter les trésors du catholicisme (retables, tableaux, littérature, conférence de Fabrice Hadjadj, concerts prestigieux de musique sacrée,…), ou une grande manifestation dans toute la ville sur les activités réelles du catholicisme à travers le monde (organisations caritatives, lutte contre l’illettrisme et la misère, histoire des écoles et des dispensaires à travers le monde,…) histoire de montrer combien il est pitoyable de vouloir, du haut de ses petites prétentions artistiques, se mesurer à l’œuvre réelle de l’Église depuis deux mille ans. Bref, il aurait fallu jouer sur le même terrain qu’eux, avec les mêmes mots qu’eux, pour les battre avec leurs propres armes et, en fin de compte, les remettre gentiment à leur place.
Tout, sauf cette réaction de culs-bénits offusqués. Si l’Église veut bien me confier un poste de dircom, je prends tout de suite.



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est architecte.

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