Faut-il sacraliser la mixité?


Faut-il sacraliser la mixité?

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Lundi, le journal Sud-Ouest a révélé qu’une épicerie musulmane du quartier Saint Michel, à Bordeaux, pratiquait la non-mixité, ouvrant ses portes exclusivement aux hommes en semaine et aux femmes le week-end. Depuis, la terre ne cesse de trembler dans tout l’Hexagone.

Et pour cause, cette affaire – qui n’est pas la première du genre – s’attaque à l’un des fondements idéologiques de notre époque moderne : la mixité.

Probablement hantés par les fantômes du passé et soucieux de ne pas donner de grain à moudre aux intégrismes religieux qui nous ont fait tant de mal, nous rejetons avec un automatisme forcené tout débat sur le sujet. A l’école, il faut mélanger garçons et filles. Et ce, malgré les études qui tendent à démontrer que les uns et les autres ne grandissent pas au même rythme, obéissent à des mécanismes différents et alors que le système scolaire actuel conduit le « sexe fort » à l’échec. Au travail, gare au sectarisme : il faut embaucher hommes et femmes en quantité égale et faire cohabiter tout ce beau monde dans le même espace. A la salle de sport, il faut suer de concert ; à la plage, se baigner entre mâles et femelles ; dans le métro, se frotter au sexe opposé. Et sous aucun prétexte remettre en cause la loi sacrée.

Pourtant, toutes les mixités ne se valent pas. Et il se pourrait même que le combat contre l’indifférenciation aveugle des sexes exige parfois le recours à la séparation hommes/femmes…

Hommes et femmes sont des animaux bien différents et toute fréquentation implique un rapport de séduction. Il ne s’agit pas là d’une légende urbaine mais bien d’un fait entériné par des études scientifiques. Or, dans la vie il y a un temps pour tout. La séduction ne peut être un état permanent que chez des individus qui souffrent d’un sévère dysfonctionnement, dont on peut tout de même leur souhaiter de guérir. Côtoyer le sexe opposé tout le temps, c’est subir une cohabitation sans repos avec une personne venue d’une autre planète. C’est s’adapter à un climat lointain et imposer à son cœur un rythme qui lui est étranger. C’est ne pas pouvoir travailler, soigner sa posture quand il faut accomplir la besogne, avoir à choisir entre son efficacité intellectuelle, son confort émotionnel ou un certain mystère nécessaire à la magie des rapports entre les sexes, quand nous avons besoin des deux. C’est marcher dans des chaussures chinoises et avoir sans cesse à pervertir sa nature comme on corrompt la pousse d’une plante.

Hommes et femmes ont parfois besoin de prendre congé l’un de l’autre et de se retrancher dans leurs pénates pour mieux se retrouver. Chez les tribus primitives, le cloisonnement est un réflexe. Dans certaines d’entre elles, les adolescents ont par exemple leur propre « maison » dès la puberté ; ils y grandissent et se découvrent à l’abri de leurs parents. De même, hommes et femmes ne vivent pas toujours ensemble en huis-clos. Et ce compartimentage offre un heureux paradoxe : le groupe n’en est que plus uni. Qui pourrait dire alors que ce cloisonnement altère la cohésion sociale et le sens du collectif quand ces tribus – pour lesquelles la notion d’individu est inconnue et le partage une valeur souveraine – la pratiquent quotidiennement et ne s’en portent pas plus mal ?

La séparation est un préalable nécessaire à la rencontre. Quand la présence de l’autre devient source d’agacement, la querelle guette et le plaisir de l’échange s’éteint. Les hommes et les femmes souffrent d’être tout le temps ensemble. Ils vont finir par se haïr et perdre l’attrait qu’ils exercent l’un sur l’autre à force de s’entendre respirer en toutes circonstances.

C’est sur ce terreau désespéré que fleurit l’intégrisme musulman qui propose, lui, une stricte séparation entre hommes et femmes, mais également des solutions aussi factices que séduisantes à bien d’autres ennuis de notre époque.

Aux inacceptables problèmes d’insécurité qui menacent les femmes et violent leurs libertés fondamentales, on répond par le voile. Ses partisanes se hâtent alors de le présenter comme un gage de leur libération du regard masculin, quand il n’est en réalité qu’un pansement posé sur une plaie qui ne devrait même pas avoir le droit d’exister.

Aux défaillances d’un marché du travail qui ne s’est pas adapté aux spécificités des femmes et qui les prie de bien vouloir ranger leur utérus, leurs hormones et leurs émotions au fond d’un tiroir, on oppose un simple retour au patriarcat, au couple traditionnel et au foyer.

A l’individualisme galopant qui charrie sur nos rivages contemporains la solitude et la misère affective –anciens qui finissent à la rue et jeunesse livrée à elle-même – on réplique par des structures strictes mais solidaires, et ô combien rassurantes.

Bien sûr, ces solutions sont de beaux mirages que les enfants de demain se hâteront de rejeter avec violence, dans un éternel détricotage que l’on nommera bêtement « conflit de générations ». Dans un va-et-vient semblable à nos alternances politiques, on tangue de gauche à droite, on déshabille Pierre pour habiller Paul, avant de déshabiller Paul pour rhabiller Pierre. On passe d’un ordre « progressiste » à un ordre « traditionnel », faute de trouver un ordre naturel capable de réconcilier tous les élans nécessaires à l’épanouissement humain.

Ainsi s’installe le dogme religieux, figé dans sa liqueur, mais diablement efficace quand il s’agit de panser les blessures d’une époque sans docteurs – pour en creuser d’autres que nous ne verrons que trop tard.C’est bien chez nous et dans les fondations de notre société que se trouve le germe de notre propre faillite.

Alors soyons audacieux : réapproprions-nous la non-mixité. Absurde dans une épicerie, elle peut se révéler utile et bienvenue dans d’autres contextes. Allons braconner sur le terrain de l’ennemi, qui ne peut pas avoir le monopole des valeurs éternelles. Concurrençons sans crainte ces intégrismes religieux, non dans leur violence, leur médiocrité, leur dogmatisme insensé ou leurs structures répressives, mais bien dans leur proposition idéologique, qui n’est souvent qu’un édifice fragile. Un coup de pied suffirait à le faire valdinguer et disparaître dans les oubliettes de l’Histoire. En somme, osons guérir de nos démons et proposer une société nouvelle… ou ces gens s’en chargeront à notre place.

*Image : Pixabay.



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est etudiante en Lettres Modernes et blogueuse

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