Soudan: l’Afrique du Sud fait un doigt d’honneur à La Haye


Soudan: l’Afrique du Sud fait un doigt d’honneur à La Haye

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Lundi soir, le vingt-cinquième sommet de l’Union Africaine (UA) s’est achevé sous la présidence de Robert Mugabe à Johannesbourg, chez son parrain sud-africain. Au premier rang de la photo de famille se tenait tout sourire Omar El-Bechir, poursuivi par la Cour Pénale Internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Premier chef d’Etat, dans l’histoire de la CPI, à être recherché pour génocide de trois groupes ethniques, les Fours, les Masalit et les Zaghawa, il serait responsable de plus de 300 000 morts et 2,5 millions de réfugiés au Darfour. Depuis que les premiers mandats d’arrêts ont été lancés contre lui en 2009, Jacob Zuma lui avait déconseillé de venir aux précédents sommets en Afrique du Sud, évoquant les risques que la Justice faisait peser sur sa liberté.

L’Afrique du Sud, en tant que signataire du traité de Rome fondateur de la CPI, se devait de livrer le président soudanais à La Haye. Mais son président Jacob Zuma avait pris soin de rassurer son hôte ; cette fois-ci son immunité personnelle lui était garantie.

Le jour du sommet, la CPI a rappelé comme il se doit à l’Afrique du Sud ses engagements et lui a demandé de livrer Omar El-Bechir. Pour toute réponse, la cour s’est vue opposer un refus assez ferme sous prétexte que c’est l’UA et non l’Afrique du Sud qui recevait les chefs d’Etat africains. Une ONG sud-africaine saisit alors un tribunal de Pretoria dont les juges interdisent en urgence la sortie du territoire du président soudanais, en attendant de pouvoir statuer sur le fond de l’affaire. Amnesty International publie de son côté un communiqué solennel en faveur de l’arrestation du général qui depuis 1989 dirige Khartoum d’une main de fer.

Jusqu’à la fin du sommet, un faux suspense a donc tenu en haleine l’opinion publique. Les dépêches de presse se sont succédé et ont maintenu l’espoir d’une interpellation par la justice sud-africaine. Mais le président de la république islamique du Soudan, tout juste réélu avec 94% des voix en avril, n’était pas plus effrayé que d’habitude. Sans doute était-il absorbé par les travaux de l’UA sur les graves dysfonctionnements de la démocratie burundaise, thème (authentique) du sommet. Le jet d’Omar El-Bechir a donc décollé vers sa capitale où un comité de soutien l’attendait. Un envol qui a mis fin aux espoirs des apôtres de la démocratie en Afrique et un nouveau triomphe pour celui qui nargue la communauté internationale à chacun de ses déplacements. Tout d’abord parce que les pays occidentaux se sont bien gardés de s’ingérer dans les affaires africaines. D’autre part, la CPI, qui dépend politiquement de l’ONU, ne pouvait pas subir plus cruel désaveu : le secrétaire général adjoint de l’ONU était présent sur la photo finale de l’Union africaine, non loin de l’accusé. Comme si de rien n’était.

Non seulement l’Union africaine s’est moqué du droit international – pour Mugabe et les siens cette cour internationale est raciste puisqu’elle s’attaque essentiellement aux dictateurs africains – mais l’Afrique du sud a foulé au pied son propre droit constitutionnel. Cette affaire, mondialement médiatisée, jette une ombre supplémentaire sur la nation arc-en-ciel de Mandela. Depuis la fin de l’Apartheid, le parti au pouvoir, l’ANC, s’affranchit progressivement de l’Etat de droit. Une liberté d’autant plus aisée que la Chine, le Qatar ou l’Egypte ont également reçu El-Bechir, comme les dizaines d’autres pays depuis l’inculpation de la CPI.

La conclusion de ce sommet de l’UA est sans doute que Mugabe et El-Bechir vont continuer à donner des leçons de bonne gouvernance au Burundi, au Burkina ou à la Centrafrique. Quant à l’exclusion de la CPI, l’Afrique du Sud n’y songe pas. La Cour de La Haye a fait savoir que cet épisode médiatique pourrait relancer dans l’opinion l’intérêt pour ses missions. Ce qui donne une idée du discrédit qui entoure le tribunal de La Haye. La gifle infligée par Omar El-Bechir à ses magistrats instructeurs ne devrait pas aider la Cour de La Haye à sortir de son isolement.

*Photo : Armando Franca/AP/SIPA. AP20670104_000057.



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est responsable des questions internationales à la fondation du Pont neuf.

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